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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 18 octobre 2018, n° 16/06146

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Monte Paschi Banque (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brylinski

Conseillers :

Mme Bertoux, Mme Mantion

TGI Evreux, du 8 nov. 2016

8 novembre 2016

FAITS ET PROCEDURE

Le 5 mars 2012, la société Decarp a ouvert un compte courant auprès de la banque Monte Paschi (ci-après dénommée la banque).

Le 6 mars 2012, Mme M., gérante de la société Decarp, s'est portée caution solidaire de la dite société à hauteur de 100.000 €.

Le 13 juillet 2012, la banque a adressé un courrier de rupture des relations commerciales avec société Decarp, laissant un préavis de 60 jours.

Par la suite, la banque a mis en demeure la société Decarp d'avoir à lui rembourser les débits impayés pour un montant total de 301.618, 17€ et a assigné Mme M. en paiement de la somme de 100.000 € en sa qualité de caution.

Le 27 septembre 2012, le tribunal de commerce de Versailles a adopté une ordonnance d'ouverture de la procédure de conciliation au bénéfice de la société Decarp.

La Banque faisant application des articles L. 511-1, R. 531-1 et R. 532-1 du Code des Procédures Civiles d'Exécution a saisi le Tribunal de Grande Instance d'Evreux afin d'être autorisée à prendre une inscription d'hypothèque provisoire pour sûreté et conservation de la somme de 100.000 € en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires arrêté au 2 octobre 2012

Le 12 décembre 2012, la banque a assigné Mme M. au titre du cautionnement conclu le 6 mars 2012 aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 100.000 € outre les intérêts au taux conventionnel à compter de la date de mise en demeure, ainsi qu'une somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 24 janvier 2013, un protocole de conciliation est intervenu entre la société Decarp et ses principaux créanciers conformément aux dispositions de l'article L. 611-4 du code de commerce. Le même jour, un protocole d'accord était conclu entre la Banque et Mme M. prévoyant la suspension de l'action introduite à l'encontre de cette dernière sous réserve du respect du protocole de conciliation.

Par jugements des 12 mars 2013 et 30 juin 2015, l'affaire a fait l'objet de deux retraits du rôle successifs.

Le 28 avril 2014, la société Decarp a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par le tribunal de commerce de Versailles.

Le 3 décembre 2015, un plan de redressement a été adopté par le tribunal de commerce de Versailles au bénéfice de la société Decarp.

Par conclusions signifiées le 1er mars 2016, la société Monte Paschi Banque a sollicité le rétablissement de l'affaire au rôle et a repris l'intégralité de ses demandes à l'encontre de Mme M.

Par jugement en date du 8 novembre 2016, le tribunal de grande instance d'Evreux a débouté la société Monte Paschi Banque de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration en date du 20 février 2016, la SA Monte Paschi Banque a interjeté appel du jugement en date du 8 novembre 2016 rendu par le tribunal de grande instance d'Evreux.

La Monte Paschi Banque, dans ses dernières conclusions en date du 20 mars 2018, auxquelles il est renvoyé pour le détail des moyens développés en cause d'appel, demande à la cour de:

- déclarer son appel recevable et fondé ;

Y faisant droit,

- infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau ;

- dire et juger que la Monte Paschi Banque est recevable et bien fondée en sa demande

En conséquence,

- condamner Madame M., à payer à la Monte Paschi Banque, la somme de 60.677,43 €, au titre de sa garantie de caution solidaire du 6 mars 2012, outre les intérêts au taux conventionnel à compter de date de mise en demeure ;

- condamner Madame M., à payer à la société Monte Paschi Banque, la somme de 3.000 € en remboursement des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner Madame Francine M. aux dépens.

Madame M., dans ses dernières conclusions en date du 17 mai 2018, auxquelles il est renvoyé pour le détail des moyens développés, demande à la cour de confirmer la décision de première instance en toutes ses dispositions et condamner la banque Monte Paschi à lui verser la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Au soutien de son appel, la Banque Monte Paschi fait principalement valoir que le protocole d'accord conclu dans le cadre de la procédure de conciliation est caduc conformément aux dispositions de l'article L. 611-4 du code de commerce ; que la société Decarp ayant été placée en redressement judiciaire, il résulte de l'article L. 611-12 du code de commerce qu'à compter du 28 avril 2014, date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Decarp, le débiteur principal ne peut plus se prévaloir du protocole de conciliation et que la banque libérée de l'accord passé avec la caution retrouve sa liberté d'action, sous réserve de la suspension des poursuites pendant la période d'observation de la procédure de redressement ; que par ailleurs les accords de règlement avec la société Decarp dans le cadre du protocole de conciliation n'ayant pas été respectés, ce dernier se trouve résolu et la banque retrouve ses droits de poursuite vis-à-vis de Madame M., sous réserve des nouveaux droits de cette dernière du fait de l'ouverture d'une procédure de redressement ; que c'est à tort que le Tribunal de Grande instance d'Evreux a entendu opposer les délais du protocole ou ceux du plan de redressement au titre de l'action menée contre la caution ; qu'en effet, le bénéfice de la suspension des poursuites ne profite aux cautions et garants personnes physiques que jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ; qu'une fois le plan de redressement adopté, les cautions et garants peuvent être de nouveau poursuivis par les créanciers.

Madame M. réplique principalement que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la banque ne démontrait pas que la société Decarp SARL avait manqué à ses obligations fixées dans le cadre du protocole de conciliation; que le protocole de conciliation a été remplacé par les dispositions du plan de redressement qui est strictement respecté par la société Decarp ; que la banque ne peut reprendre ses poursuites que dans l'hypothèse d'un manquement de la société Decarp aux obligations mises à sa charge, ce qu'elle ne démontre pas ; qu'elle ne peut donc pas actionner la caution solidaire et réclamer à Mme M. le paiement de la somme de 100.000€ alors que les sommes dues sont remboursées par la société Decarp.

SUR CE:

Il ressort des pièces versées aux débats que par acte sous seing privé en date du 6 mars 2012, Mme M. s'est portée caution solidaire du paiement des engagements de la société Decarp à l'égard de société Monte Paschi Banque dans la limite de la somme de 100.000€ pendant une durée de 5 ans.

La société Decarp qui exerce l'activité de travaux de Rénovation Ingéniérie Conseils depuis 1993, a connu des difficultés financières à la suite de la rupture de commandes par son principal client la CARAC qui a entraîné une baisse significative de son chiffre d'affaires. Or, après reprise des relations contractuelles avec la CARAC, la société Decarp dont Mme M. est la gérante, a bénéficié dans le cadre des dispositions des articles L. 611-4 et suivants du code de commerce d'un protocole de conciliation adopté le 24 janvier 2013.

Le même jour, un protocole d'accord a été conclu entre la Banque et Mme M. aux termes duquel « sous réserve de la bonne exécution du protocole de conciliation signé entre la Monte Paschi banque et la société DECARP, débitrice principale, et constaté par Monsieur le président du tribunal de commerce de Versailles la Monte Paschi Banque s'engage à suspendre sa procédure pendante devant le tribunal de grande instance d'Evreux tendant à exécuter sa créance à l'égard de Mme M. en sa qualité de caution. En cas de manquement de la part de la société Decarp, débiteur principal, aux obligations mises à sa charge dans le cadre du protocole de conciliation, la créance de la Monte Piaschi Banque à l'encontre de Mme M. en sa qualité de caution deviendra alors immédiatement exigible ».

Aux termes de l'article L. 611-12 du code de commerce, « L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l'accord constaté ou homologué en application de l'article L. 611-8. En ce cas, les créanciers recouvrent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, sans préjudice des dispositions prévues à l'article L. 611-11 ».

Ainsi, l'appelante fait valoir à juste titre que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire a mis fin de plein droit au protocole de conciliation du 24 janvier 2013 en application des dispositions de l'article L. 611-12 du code de commerce.

Par ailleurs, s'il est dit à l'article L. 622-28 alinéa 2 du code de commerce que le jugement d'ouverture suspend toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, la suspension produit effet jusqu'au jugement arrêtant le plan, étant rappelé que les créanciers bénéficiant de telles garanties sont autorisés à prendre de mesure conservatoires pendant la période de sauvegarde ainsi qu'il est dit à l'article L. 622-28 alinéa 3.

Or, la société Decarp placée en redressement judiciaire le 28 avril 2014 a fait l'objet d'un plan de redressement adopté suivant jugement en date du 3 décembre 2015 du tribunal de commerce de Versailles. Aux termes de ce plan, la société Monte Paschi Banque qui a déclaré sa créance le 28 avril 2014 pour un montant de 224.930,02€ dont 93.349,89€ au titre du découvert en compte courant, a accepté le remboursement de partie de la dette par la société Decarp.

Enfin, comme il est disposé à l'article 631-20 du code de commerce « par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de l'article L. 626-11 les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan ».

Ainsi, la société Monte Paschi Banque est bien fondée à poursuivre la caution pour obtenir paiement de la somme de 60.677,43€, montant de sa demande correspondant au solde du compte courant de la société Decarp non réglé dans le cadre du plan, outre les intérêts de droit au taux conventionnel, à compter de la date de l'arrêté de compte produit par société Monte Paschi Banque (Pièce 12 ).

Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de société Monte Paschi Banque les sommes qu'elle a dû exposer non comprises dans les dépens.

Mme M. qui succombe sera tenue aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Evreux le 8 novembre 2016 en toutes ses dispositions ;

Condamne Mme M. à payer à la Monte Paschi Banque la somme de 60.677,43€ outre les intérêts de droit au taux conventionnel à compter du 9 mars 2018;

Déboute société Monte Paschi Banque de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme M. aux entiers dépens de première instance et d'appel.