CA Pau, 2e ch. sect. 1, 28 février 2018, n° 16/00647
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France (SA)
Défendeur :
La Douce (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Darracq
Conseiller :
Mme Morillon
Avocat :
Selarl Avocadour
FAITS-PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Courant 2012, la société La douce (sas) a acquis une source d'eau, commune de Sore (40), en vue de son exploitation.
La société Natixis lease immobilier, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France, la société Banque Pouyanne et la société Bred banque populaire ont apporté divers concours financiers destinés au financement de cette nouvelle activité.
Courant 2015, confrontée à des difficultés de trésorerie, la société La douce a déposé une requête auprès du président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan aux fins d'ouverture d'une procédure de conciliation sur le fondement des articles L. 611-4 et suivants du code de commerce.
Par ordonnance du 29/06/2015, le président du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan a ouvert une procédure de conciliation et désigné M° V. en qualité de conciliateur.
Le conciliateur a tenu plusieurs réunions avec les quatre partenaires financiers.
Cependant, le 08/10/2015, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France a fait savoir qu'elle se retirait des discussions. Outre les concours bancaires (facilité de caisse, bordereau créance Dailly) rendus exigibles avant l'ouverture de la procédure de conciliation, cette banque a également mis en demeure la débitrice, le 15/10/2015, de régulariser les encours échus au titre des deux prêts souscrits, sous peine de déchéance du terme.
La Bred devait également adopter la même position.
Suivant exploit du 22/12/2015, la société La douce a fait assigner par-devant le président du tribunal de commerce, en la forme des référés, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France et la société Bred banque populaire en octroi de délais de paiement sur deux ans, sur le fondement de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce.
Dans son rapport du 19/01/2016, le conciliateur a donné un avis favorable à la demande de délais de paiement.
Par ordonnance du 11/02/2016, à laquelle il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le président du tribunal de commerce a :
-débouté les défenderesses de l'intégralité de leurs demandes
-dit que l'exigibilité des sommes dues à la Caisse d'épargne est reportée au terme du délai de deux ans, commençant à courir à compter de la signification de la présente ordonnance, s'agissant des sommes de :
- 216.709,49 euros au titre du contrat de prêt n°9195734
- 168.368,22 euros au titre du contrat de prêt n°9318055
- 250.000 euros au titre de la mobilisation partielle de la créance cédée par bordereau Dailly
- 282.000 euros au titre du remboursement du compte courant
- dit que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêts à un taux réduit (1,01 % x 3 taux d'intérêt légal)
- dit que la société La douce pourra, pendant la durée du report, procéder au paiement des échéances fixées par l'échéancier initial annexé aux deux contrats de prêt précités et sans encourir la déchéance du terme accordé par la présente décision
- dit que la somme de 300.000 euros due à la Bred banque populaire au titre du remboursement du compte courant doit être payée par la société La douce en 24 pactes mensuels d'un montant progressif, à savoir 5.000 euros par mois pendant six mois à compter de la signification de la présence décision, puis 10.000 euros par mois pendant les neuf mois qui suivront et enfin 20.000 euros par mois pendant les neuf mois restants
- dit que les sommes payées à la Bred s'imputeront d'abord sur le capital
- laissé à la charge respective des parties les frais irrépétibles engagées par elles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné solidairement les défenderesses aux dépens
Par déclaration au greffe faite le 25/02/2016, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France a relevé appel de cette ordonnance.
Vu les dernières conclusions notifiées le14/11/2017 par l'appelante tendant à voir, au visa de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce, 1315 et 1244-1 à 1244-3 dommages et intérêts code civil :
A titre principal :
-réformer en tous points l'ordonnance entreprise
-dire que les sommes dues à la Caisse d'épargne au 11/12/2015, majorées des intérêts échus et à échoir au taux contractuel ainsi que des pénalités, sont bien exigibles
A titre subsidiaire :
- dire que le remboursement de toutes les sommes rendues exigibles au 11/12/2015, à savoir :
- 216.709,49 euros au titre du contrat de prêt n°9195734
- 168.368,22 euros au titre du contrat de prêt n°9318055
- 250.000 euros au titre de la mobilisation partielle de la créance cédée par bordereau Dailly
- 282.000 euros au titre du remboursement du compte courant
se fera en 24 paiements échelonnés d'égal montant sur deux ans à compter de la signification de l'ordonnance du 11/02/2016, lesdites sommes dues étant en outre majorées des intérêts au taux contractuel et pénalités ayant couru depuis le 11/12/2015 et qui devront courir jusqu'au remboursement total des créances
En tout état de cause, condamner la société La douce à payer une indemnité de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Vu les dernières conclusions notifiées le 09/05/2017 par la société La douce tendant à voir, au visa de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce et des articles 1244-1 à 1244-3 du code civil :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions
- débouter la Caisse d'épargne de ses demandes
- condamner l'appelante au paiement d'une indemnité de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
MOTIFS
L'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, entrée en vigueur le 01/10/2016, dispose que, au cours de la procédure [de conciliation], le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application des articles 1244-1 à 1244-3 du code civil. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l'accord prévu au présent article. [...] ;
L'aliéna 6 précise que, en cas d'impossibilité de parvenir à un accord, le conciliateur présente sans délai un rapport au président du tribunal. Celui-ci met fin à sa mission et à la procédure de conciliation [...] ;
1- sur les conditions d'application de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce
Selon l'appelante, le juge de la conciliation ne pouvait accorder des délais de paiement à la société La douce alors que :
- en sa qualité de créancier, elle avait décidé de se retirer des discussions suivies avec le conciliateur, de sorte qu'il n'existait pas de procédure de conciliation à son égard lorsque le juge a statué
- la conciliation prend fin en cas d'impossibilité de parvenir à un accord, ce qui était le cas en l'espèce puisque deux banques s'étaient retirées des discussions
- à tout le moins, le juge aurait dû limiter la durée des délais accordés à la durée de la conciliation, les délais accordés ayant vocation de ne pas entraver l'action du conciliateur et les chances de succès de l'accord
- subsidiairement, les délais ne pouvaient concerner les créances rendues exigibles avant l'ouverture de la procédure de conciliation (facilité de caisse et bordereau Dailly)
Mais, en droit, il résulte des dispositions de l'article L. 611-7 alinéas 5 et 6 du code de commerce que, à compter de l'ouverture de la procédure de conciliation et jusqu'à la fin de celle-ci, le juge de la conciliation est compétent pour connaître d'une demande de délais, fondée sur les articles 1244-1 et suivants du code civil, formée par le débiteur qui a fait l'objet d'une mise en demeure ou est poursuivi par un créancier ;
Sauf en cas d'exercice d'une voie d'exécution relevant d'un régime procédural propre, la demande de délais peut être ainsi dirigée contre tout créancier qui a mis en demeure ou poursuivi le débiteur, antérieurement ou postérieurement à l'ouverture de la procédure de conciliation ;
Non seulement il n'y a pas lieu de distinguer selon que le créancier a accepté ou refusé de participer à la conciliation, ce dernier étant même principalement visé par la mesure, mais le juge de la conciliation reste compétent même en cas d'impossibilité de tout accord jusqu'à la décision mettant fin à la procédure de conciliation ;
Enfin, le juge de la conciliation statue sur la demande de délais conformément au droit commun, dans la limite de deux ans, indépendamment de l'existence ou de la durée de l'éventuel accord qui pourrait intervenir les autres créanciers, le juge pouvant seulement décider de subordonner l'octroi avec des délais à la conclusion de l'accord ;
Il suit des considérations qui précèdent que les moyens de droit articulés par l'appelante contre l'ordonnance entreprise sont contraires à la lettre et à l'interprétation des dispositions légales précitées qui ont pour finalité, dans un souci de célérité et de cohérence commandée par la situation du débiteur, de permettre au juge de la conciliation, éclairé par le conciliateur, d'appréhender la situation économique, financière, juridique du débiteur ainsi que les perspectives de règlement des difficultés rencontrées par ce dernier, et d'apprécier l'opportunité de la demande de délais et la capacité du débiteur à respecter les délais sollicités ;
2- sur l'octroi des délais
Selon l'appelante, à supposer même qu'un accord ait été conclu avec la société Natixis, cet accord ne rendrait pas pour autant la solution viable pour la société La douce, de sorte qu'elle est en droit d'exiger des garanties, d'autant que les comptes sociaux ne sont pas publiés ;
Mais, si la défaut de publication des comptes sociaux est passible d'une amende, il reste que la société La douce avait produit les comptes arrêtés au 31/12/2014 accompagnés du rapport du commissaire aux comptes, que le conciliateur a motivé son avis favorable à l'octroi de délais de paiement, qu'un accord a été conclu avec le crédit-bailleur Natexis et que la Bred banque populaire a accepté les délais imposés par l'ordonnance entreprise ;
Or, il n'est pas démontré, ni même allégué, que la société La douce n'aurait pas tenu ses engagements financiers à l'égard de ces créanciers ;
C'est donc par des motifs pertinents que le premier juge a accordé des délais de paiement réalistes de nature à favoriser l'apurement de la dette dans des conditions acceptables pour la Caisse d'épargne, en reportant l'exigibilité des créances au terme de deux ans moyennant un taux d'intérêt réduit ;
Il s'ensuit que l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions ;
La Caisse d'épargne sera condamnée aux dépens d'appel et à payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,
CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France aux dépens d'appel,
CONDAMNE la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile de France à payer à la société La douce (sas) une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.