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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 8 juin 2016, n° 15/03939

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société de distribution et de lavage Selestadienne (SA)

Défendeur :

Norauto France Franchise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

Mme Dorsch, Mme Alzeari

TGI Colmar, du 2 juill. 2015

2 juillet 2015

Dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte le 14 janvier 2014 contre la Société de Distribution et de Lavage Sélestadienne (SDLS), la société Norauto France Franchise (Norauto) a déclaré une créance de 287 166 € à titre privilégié entre les mains de la Selas K. et Associés, mandataire judiciaire. Par une ordonnance du 2 juillet 2015, le juge-commissaire a prié le mandataire judiciaire d'inscrire la créance de Norauto pour la somme déclarée de 287 666 € et condamné SDLS à payer à Norauto une indemnité de procédure 4000 € et mis les frais de la procédure à sa charge.

SDLS a fait appel de cette ordonnance. Elle demande à la Cour de rejeter la créance de Norauto pour 205 959 €, ou à tout le moins pour 164 196 €, de débouter Norauto de toute autre prétention et de la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 5000 €.

SDLS expose : elle a conclu avec Maxauto (aujourd'hui Norauto) un contrat de franchise le 9 juin 2997 puis le 7 octobre 2005 ; par les tarifs appliqués, Norauto l'a mise en péril ; SDLS a voulu renégocier le contrat mais Norauto a rompu le contrat de franchise le 1er février 2011 ; les parties ont régularisé un protocole d'accord le 28 novembre 2011 dans le cadre d'une procédure de conciliation; cet accord a été homologué par le tribunal le 7 janvier 2012 ; l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, prononcé le 14 janvier 2014, a mis fin de plein droit à l'accord homologué; Norauto a déclaré une créance qui a été contestée ; la créance n'a pas été justifiée par des factures et des pièces comptables ; le protocole d'accord n'est pas suffisant pour démontrer l'existence et le montant de sa créance ; le protocole ne vaut pas reconnaissance de dette ; SDLS a transigé sur les réclamations contestées et non justifiées de Norauto ; les créances invoquées pour la période du 30 septembre 2006 au 30 novembre 2006 (soit 164 196 €) sont prescrites depuis le 19 juin 2013 ; seule la déclaration de créance du 25 mars 2014 a pu interrompre la prescription ; la prescription n'a pas été interrompue que pendant la durée de l'accord amiable ; seuls les délais prévus à peine de déchéance ou de résolution des droits sont interrompus, ce qui n'est pas applicable aux délais de prescription ; Norauto pouvait saisir le tribunal à tout moment en cas d'impayés : SDLS n'a demandé une médiation que le 30 septembre 2013, alors que le délai de prescription était déjà expiré, dès après le 29 mars 2012, date du dernier de ses règlements ; subsidiairement, les factures pour la période du 30 septembre 2000 6 au 30 novembre 2006 n'entrent pas dans le champ d'application du protocole d'accord, qui portait sur les seuls exercices négatifs de 2009 et 2010 ; la créance de Norauto est donc prescrite à hauteur de 164 196 € et ne reste recevable que pour une somme de 123 270 € ; deux autres créances, qui ont été payées par lettres de change relevé, sont également prescrites pour un montant de 41 563,42 €, ce qui ramène la créance de Norauto à 81 707 € ; SDLS a par la suite contesté l'existence d'une novation, qui résulterait du protocole d'accord, suivant une note en délibéré qui a été autorisé par la Cour.

Norauto sollicite le rejet de la contestation de SDLS, la confirmation de l'ordonnance déférée et la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité de procédure de 5000 € ainsi que les dépens.

Norauto fait valoir : SDLS a régularisé trois appels successivement : le premier le

15 juillet 2015 (procédure n° 15/03939), le deuxième le 27 novembre 2015 (procédure n° 15/06105) et le troisième le 7 janvier 2016 (procédure n° 16/0055) ; ce troisième appel est irrecevable, compte tenu de l'appel initial du 15 juillet 2015 ; quant au fond, et à titre subsidiaire, la créance de Norauto a été arrêtée d'un commun accord par l'accord amiable ; cet accord prévoyait le règlement du montant reconnu soit 300 000 € à la charge de SDLS en faveur de Norauto ; le protocole a été signé le 28 novembre 2011 et homologué le 17 janvier 2012 ; SDLS n'a effectué que trois versements, 4000 € le 30 janvier 2012, 4167 € le 28 février 2012 et 4167 € le 29 mars 2012, soit au total 12 334 € ; Norauto a donc déclaré sa créance pour le solde, s'élevant à 287 666 € ; SDLS a invoqué la prescription par une note en délibéré devant le juge-commissaire ; une deuxième partie de la dette, soit 300 000 € au profit du bailleur la société Remax, a été reconnue par SDLS selon le protocole, et n'est pas contestée par l'appelante ; le protocole conclu résulte de négociations entre les parties et comporte un engagement express de la part de SDLS ; le protocole vaut novation au sens de l'article 1271 du code civil et se substitue aux créances existantes ; il fait aussi preuve des montants reconnus; SDLS a reconnu la créance identique au profit du bailleur Remax résultant du même protocole ; le redressement judiciaire ne met pas fin à la substance du protocole mais seulement à son exécution; le montant déclaré est appuyé par un titre, le protocole d'accord ; les créances sont justifiées par les décomptes produits aux débats ; la prescription invoquée n'est pas applicable, dans la mesure où les créances pour la période 2006 n'étaient pas prescrites en 2011 lors de la conclusion du protocole ; de plus, la prescription s'est trouvée suspendue par ce protocole qui empêchait Norauto d'agir ; SDLS a reconnu sa dette en payant plusieurs échéances puis en demandant une médiation pour obtenir un délai ; SDLS a émis des lettres de change relevé, qui sont revenues impayées ; elles démontrent aussi la reconnaissance par SDLS de la dette correspondante.

Sur ce, la Cour,

L'avocat de SDLS a initialement omis de faire mention du mandataire judiciaire dans l'acte d'appel, dans la mesure où le mandataire judiciaire était absent de l'en-tête de l'ordonnance déférée à la Cour.

La Cour a, par un arrêt rectificatif du 18 novembre 2015, complété cette ordonnance sur ce point, en mentionnant le mandataire judiciaire Me K. comme partie.

SDLS a régularisé la procédure par un second acte d'appel visant la décision ainsi rectifiée.

L'avocat de SDLS a par la suite commis une seconde erreur en mentionnant Me K. comme étant le mandataire judiciaire de Norauto, avant de rectifier cette indication par des conclusions ultérieures (procédure n° 16/ 0055).

Par une ordonnance du 2 mai 2016, la procédure n° 16/ 0055 a été jointe à la procédure n° 15/ 03939.

Par suite de l'erreur affectant l'ordonnance du 2 juillet 2015, qui ne mentionnait pas le mandataire judiciaire dans l'en-tête, le conseil de la société débitrice a formé appel pour celle-ci sans mentionner Me K. en cette qualité. Cette erreur ayant été rectifiée par l'arrêt de la cour précité du 18 novembre 2015, la procédure a été régularisée au nom du mandataire judiciaire étant relevée que SDLS bénéficie depuis le mois de janvier 2015 d'un plan de redressement judiciaire et n'était plus sous l'assistance d'un mandataire de justice. Enfin, Norauto a demandé à la Cour de juger SDLS "irrecevable et en tous cas mal fondée dans sa contestation" sans conclure expressément à l'irrecevabilité de l'appel, selon le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la Cour.

La procédure est donc régulière et l'appel recevable.

Quant au fond, la contestation soulevée par SDLS à l'encontre de la créance déclarée par Norauto est fondée en premier lieu sur les effets du jugement de redressement judiciaire qui a mis fin au protocole d'accord conclu avec Norauto, en deuxième lieu sur la prescription d'une partie des créances alléguées et en troisième lieu sur le défaut de justificatif des montants déclarés.

En l'espèce SDLS a obtenu l'ouverture d'une procédure de conciliation le 5 juillet 2011. Elle a conclu sous l'égide de Me W., nommé conciliateur, un protocole d'accord en vertu des articles L. 611-4 et suivants du code de commerce avec Maxauto (aujourd'hui Norauto) et avec la société Remax, son bailleur. Ce protocole prévoyait expressément un "abandon de créance, (un) rééchelonnement de la dette (et un) engagement des parties".

Aux termes de ce protocole, la dette de SDLS a été arrêtée d'un commun accord à la somme globale et forfaitaire de 600 000 € TTC, se répartissant par moitié entre les sociétés Maxauto et Remax, et assortie d'un nantissement sur le fonds de commerce. Ce protocole a reçu un commencement d'exécution, d'une part par l'inscription du nantissement sur le fonds de commerce et d'autre part par trois versements de SDLS. Il a été homologué par un jugement du tribunal de grande instance de Colmar le 17 janvier 2012.

L'ouverture de la procédure de redressement judiciaire a mis fin à l'accord conformément à l'article L. 611-12 du code de commerce et entraîné sa caducité. Il en résulte que les remises de dettes et les délais de paiement consentis sont supprimés pour l'avenir tandis que les créanciers se voient autorisés à déclarer leurs créances en totalité, sous réserve des sommes perçues depuis l'accord de conciliation ou en exécution de celui-ci.

Cet accord même homologué ne constitue pas un titre mais constate néanmoins un accord des parties sur le montant des créances.

L'accord amiable conclu entre les parties et avec l'homologation du tribunal vaut également transaction au sens de l'article 2044 du code civil et est revêtu entre les parties de l'autorité de chose jugée pour ce qu'il constate, sans caractériser pour autant une novation à l'égard des créances en cause dont il a consacré le montant accepté par tous.

Le protocole fait lui-même expressément référence aux dispositions des articles 2044 et 2052 du code civil et vaut, selon l'article 5 de l'accord, "transaction définitive" en étant subordonné à la seule condition suspensive de l'homologation du tribunal.

Il vaut par cette reconnaissance expresse du montant transactionnel arrêté entre les parties, interruption des délais de prescription conformément à l'article 2240 du code civil.

En 2011, les créances portant sur les périodes invoquées de 2006 n'étaient pas atteintes par la prescription quinquennale, applicable aux créances antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, qui n'aurait produit son effet qu'en 2013.

SDLS ne peut donc opposer à Norauto la prescription de ses créances dans la mesure où les créances portant sur la période de 2006 n'étaient pas prescrites, tant en raison de la reconnaissance de SDLS que de l'interdiction faite à Norauto d'agir aussi longtemps que l'accord était exécuté.

Ainsi, l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire a eu comme seul effet d'interrompre les paiements pouvant être faits en exécution du protocole et d'imposer aux créanciers de déclarer leurs créances.

Elle ne remet pas en cause l'autorité qui s'y attache et que l'homologation a rendu exécutoire.

Selon une mise en demeure du 1er février 2011, Norauto réclamait à SDLS une somme de 487 805,74 €.

Norauto a expressément acquiescé au protocole d'accord en faisant des concessions sur les montants réclamés et s'y réfère expressément, en déclarant sa créance sur la base de cette transaction, sous déduction des montants encaissés en abandonnant ainsi ses prétentions initiales.

C'est donc à juste titre que le juge-commissaire a invité le mandataire judiciaire à inscrire cette créance sur l'état des créances sous déduction des règlements perçus, soit 300 000 € - 12 334 €, d'où un montant de 287 666 €.

Le caractère privilégié a été invoqué sur la base du nantissement inscrit en exécution de l'accord sur le fonds de commerce de SDLS. Le nantissement ne peut être remis en cause par l'ouverture ultérieure de la procédure de redressement judiciaire, sa sûreté ayant été établie en exécution d'un accord amiable homologué. Aucune contestation n'est d'ailleurs formulée à ce titre.

Me K., mandataire judiciaire, intimé, a été régulièrement assigné mais n'a pas constitué avocat devant la Cour. Dans un courrier du 10 novembre 2014 produit aux débats, que le mandataire judiciaire avait adressé à l'avocat de SDLS, il recommandait l'admission de la créance Norauto.

Dans ces conditions, la créance de Norauto doit être admise en considérant que le protocole valait transaction, sans novation du contrat entre les parties.

Le recours formé par SDLS a occasionné des frais irrépétibles à Norauto qui justifient une indemnisation.

P A R C E S M O T I F S

LA COUR,

Constate la mise en cause de la Selas K. et Associés, mandataire judiciaire dans la procédure n° 55/2016 par voie d'assignation du 12 janvier 2016,

Constate que la procédure n° 55/2016 a été jointe à la procédure 3939/2015 et régularisée à l'égard du mandataire judiciaire régulièrement intimé,

Déclare l'appel recevable mais mal fondé,

Confirme l'ordonnance du juge-commissaire,

Y ajoutant,

Ordonne l'admission de la créance de la société Norauto France Franchise pour la somme de 287 666 € à titre privilégié,

Condamne la Société de Distribution et de Lavage Sélestadienne à payer à la société Norauto France Franchise la somme de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les frais de première instance et d'appel.