CA Angers, ch. civ. A, 20 mai 2014, n° 13/01760
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Alain Declercq (SAS), Holding Dad (SAS)
Défendeur :
Merly, Mevel, Exco Bretagne ABO (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
Conseillers :
Mme Grua, Mme Monge
Avocats :
Me Chatteleyn, Me Millat, Me Baki, Me Brecheteau, Me Chevalier, Me Langlois, Me Le Goff, Me Lerouge, Me Gourves
FAITS ET PROCÉDURE
Début 2004, M. Fabien Mével a acquis, par le biais de la société Altéa Finances, constituée à cet effet, des solderies à l'enseigne « Bradeo Dépôt ».
Courant 2005, la société Altéa Finances a acquis 49% de la société Alain Declercq, son principal fournisseur, propriétaire de magasins à l'enseigne Max Plus. Le rachat du solde des titres prévu au plus tard le 30 mars 2009 n'est pas intervenu.
Le 15 décembre 2010, le président du tribunal de commerce de Nantes a ouvert la procédure de conciliation de la société Altéa Finances, nommant la société Ajire, représentée par Maître Erwan Merly en qualité de conciliateur.
Par un jugement rendu le 4 mai 2011, le tribunal de commerce a ouvert le redressement judiciaire de la société, étendu à ses filiales par un jugement du 29 juin 2011. Par un jugement du 2 août suivant, le tribunal a ordonné la cession des actifs aux sociétés Thoguimo et Cajolien Financière de gestion, préférées à la société Alain Declercq qui avait présenté une offre de reprise.
Par un acte d'huissier délivré le 10 février 2012, Maître Hervouet, en qualité de mandataire liquidateur de la société Altéa Finances et de ses filiales a assigné la société Alain Declercq en paiement de dommages et intérêts, annulation de la garantie à première demande d'un montant de 1 100 000 euros obtenue le 6 janvier 2011, condamnation au versement de cette somme, annulation du nantissement sur le fonds de commerce d'Orvault et restitution des sommes obtenues grâce au bénéfice de cette sûreté.
Par un acte d'huissier délivré le 20 février 2013, les sociétés Alain Declercq et Holding Dad ont fait assigner M. Fabien Mével, Maître Erwan Merly et la société Exco Bretagne ABO, commissaire aux comptes, pour voir ordonner, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'expertise comptable.
Par une ordonnance rendue le 6 juin 2013, retenant que s'il n'est pas contestable que les parties, les prétentions et les moyens ne sont pas en tous points identiques dans les deux procédures, il existe un lien indéniable entre les événements et les acteurs commerciaux qui ont donné naissance aux deux procédures, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Angers a considéré que la mesure d'instruction sollicitée était le corollaire de la procédure au fond initiée par Maître Hervouet devant le tribunal de commerce de Nantes et déclaré les sociétés Alain Declercq et Holding Dad irrecevables en leur demande d'expertise et les a condamnées au paiement d'une indemnité de procédure.
Selon une déclaration reçue au greffe de la cour le 4 juillet 2013, les sociétés Alain Declercq et Holding Dad ont relevé appel de cette décision.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mars 2014.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les dernières conclusions, déposées les 26 février 2014 par les appelantes, 28 janvier 2014 par M. Fabien Mével, 29 novembre 2013 par Maître Merly et 27 novembre 2013 par la société Exco Bretagne ABO, auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
Les sociétés Alain Declercq et Holding Dad demande d'ordonner une mesure d'expertise confiée à tel expert-comptable qu'il plaira avec la mission de se faire remettre tous les documents comptables de la société Altéa Finances et de ses filiales afin de porter une appréciation sur la régularité de l'information comptable et financière diffusée aux associés et aux tiers, effectuer un audit des comptes 2009, chiffrer l'impact des éventuelles anomalies constatées au regard des résultats 2009 et 2010 de la société Altéa Finances et au regard de ses capitaux propres à la clôture de ces exercices, apprécier la date exacte de l'état de cessation des paiements de la société Altéa Finances, fournir au tribunal tous éléments techniques permettant de déterminer les responsabilités éventuelles encourues par le président de la société Altéa Finances, par Maître Merly, en qualité de conciliateur et par la société Exco Bretagne ABO, commissaire aux comptes, fournir tous éléments de fait sur les préjudices subis, condamner in solidum, ou l'un à défaut des autres, M. Fabien Mével, Maître Erwan Merly es qualités et la société Exco Bretagne ABO à verser à la société Holding Dad une indemnité de procédure de 2 500 euros.
M. Fabien Mével demande de confirmer l'ordonnance et condamner les appelantes au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros.
Maître Erwan Merly demande de confirmer la décision et condamner les appelantes au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euros.
La société Exco Bretagne ABO demande de confirmer l'ordonnance et condamner les appelantes au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est de principe qu'une mesure d'instruction ne peut être demandée et obtenue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile lorsqu'une juridiction du fond est saisie de l'affaire. Toutefois, cette règle ne s'applique que si le demandeur à la mesure est également partie au procès au fond.
La société Holding Dad n'étant pas partie au procès au fond opposant Maître Hervouet à la société Alain Declercq la demande est recevable.
Le motif légitime au succès des prétentions formulées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile supposer l'existence d'un juste motif à demander une mesure qui soit opérante sur un litige ultérieur crédible. Pour que le motif soit légitime, il faut qu'existe un risque réel de dépérissement des preuves. Si la partie demanderesse disposes d'ores et déjà de moyens de preuve suffisants pour conserver ou établir la preuve des faits litigieux, la mesure d'instruction demandée est dépourvue d'utilité et doit être rejetée.
Les sociétés appelantes imputent à M. Fabien Mével et à la société Exco des dissimulations et diverses manipulations comptables découlant de la promesse unilatérale de vente des titres de la société Altéa Finances régularisée le 6 janvier 2011 ainsi que du rachat des titres de la société FM Finances.
La précision de l'analyse comptable faite et les pièces versées au débat font apparaître que les appelantes ont réuni tous les éléments de preuve leur permettant de saisir le juge du fond et rend inutile toute mesure d'instruction préventive.
En effet en raison de liens les unissant à la société Altéa Finances, elles ont participé à toutes les décisions, ont été convoquées et ont participé aux assemblées générales dont les comptes ont été approuvés. Par ailleurs, si elles reprochent à M. Fabien Mével et à la société Exco des dissimulations et manipulations comptables ayant conduit la société Holding Dad à verser une somme de 1 000 000 euros à la société Altéa Finances et à faire un apport de 376 802,20 euros en compte courant d'associé de la société FM Finances, les appelantes n'indiquent pas les raisons pour lesquelles elles ont assigné M. Fabien Mével, qui n'est pas signataire de la convention litigieuse du 6 janvier 2011, en son nom personnel.
Par ailleurs, il n'y a pas juste motif puisqu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée pour apprécier la date exacte de l'état de cessation des paiements de la société Altéa Finances, le report de cette date étant laissé, aux termes de l'article L. 631-8 du code de commerce, à l'initiative de l'administrateur, du mandataire judiciaire et du ministère public, ce, dans le délai d'un à compter du jugement d'ouverture de la procédure, à savoir le 4 mai 2011.
Si les appelantes entendent reprocher à Maître Merly de n'avoir pas signalé un état de cessation des paiements de la société Altéa Finances durant la procédure de conciliation et d'avoir attendu la fin de sa mission pour solliciter l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, il convient de rappeler qu'à l'énoncé de l'article L. 611-4 du code de commerce, cette procédure peut être ouverte dès lors qu'au jour de la requête du débiteur n'est pas dans cet état depuis plus de 45 jours. Il en résulte que le débiteur peut être en cet état dès le début de la procédure de conciliation, le tribunal statuant à son issue soit par l'homologation d'un protocole de conciliation soit par l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Il ne peut donc être reproché au conciliateur accompli sa mission même s'il avait connaissance de l'état de cessation des paiements de la société.
Il convient donc de les débouter de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner au paiement des entiers dépens d'appel et à chacun des intimés une indemnité de procédure de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement ;
Infirme l'ordonnance déférée, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure ;
Statuant à nouveau,
Déboute les sociétés Alain Declercq et Holding Dad de l'ensemble de leurs demandes ;
Les condamne au paiement des entiers dépens d'appel et d'une indemnité de procédure de 2 000 euros à M. Fabien Mével, à Maître Erwan Merly, à la société Exco Bretagne ABO.