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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 28 mai 2009, n° 07/04900

ROUEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Chenebeau, Société Normande d'équipement (SARL)

Défendeur :

Lefoul

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Me Bartholin

Conseillers :

M. Lottin, Mme Vinot

Avoués :

SCP Colin-Voinchet Radiguet-Thomas Enault, SCP Hamel Fagoo Duroy

Avocats :

Me Dubos, Me Dalin

T. com. Pont Audemer, du 19 oct. 2007

19 octobre 2007

EXPOSÉ DU LITIGE

Faits et procédure

Monsieur Jacques CHENEBEAU se présentant comme agent commercial au sein d'une société spécialisée dans les fournitures diverses et aliments destinés aux chevaux est entré en relation avec Monsieur Gérard LEFOUL, dirigeant de la SARL NORMANDE D'EQUIPEMENTS ayant pour activité le développement et la commercialisation de produits destinés au sport équestre en septembre 1999.

Monsieur Jacques CHENEBEAU a alors travaillé pour le compte de cette société en contrepartie de commissions.

En septembre 2002, il a proposé à son dirigeant Monsieur LEFOUL de lui établir un contrat écrit dont les termes ont été refusés par celui-ci ; un litige est alors né entre les parties.

Par un arrêt en date du 29 juin 2004, cette Cour statuant sur appel d'un jugement du tribunal de commerce de Pont-Audemer a condamné la SARL NORMANDE D'EQUIPEMENTS à verser à Monsieur Jacques CHENEBEAU diverses sommes soit à titre de commissions impayées soit à titre d'indemnités consécutives à la rupture de son contrat d'agent commercial.

Le 23 juillet 2004, le tribunal de commerce de Pont-Audemer a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société NORMANDE D'EQUIPEMENTS ; Monsieur Jacques CHENEBEAU a déclaré sa créance entre les mains du représentant des créanciers le 30 juillet 2004.

Le 14 septembre 2004, Monsieur Jacques CHENEBEAU a été désigné, par ordonnance du juge commissaire comme contrôleur dans le redressement judiciaire de la société.

Le 29 juillet 2005, est intervenu un plan de redressement par voie de cession de l'entreprise.

Le 8 décembre 2006, Jacques CHENEBEAU a assigné Monsieur Gérard LEFOUL en indemnisation de son préjudice personnel subi en raison de la faute du dirigeant et subsidiairement en comblement de passif vu la carence des organes de la procédure.

Par jugement en date du 19 octobre 2007, le Tribunal de commerce de Pont-Audemer a :

- jugé recevable mais mal fondée l'action entreprise par Monsieur Jacques CHENEBEAU à l'encontre de Monsieur Gérard LEFOUL et l'en a débouté ;

- condamné Monsieur Jacques CHENEBEAU à payer à Monsieur Gérard LEFOUL la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC

- débouté Monsieur Gérard LEFOUL de ses autres demandes, fins et conclusions.

Monsieur Jacques CHENEBEAU a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties :

Monsieur CHENEBEAU demande de le recevoir en son appel, de réformer le jugement déféré et, au visa de l'article L. 223-22 du code de commerce et du préjudice distinct et personnel qu'il subit du fait du refus de la SARL NORMANDE D'EQUIPEMENT de respecter les obligations d'ordre public du statut d'agent commercial notamment l'émission d'un contrat, de condamner Gérard LEFOUL à lui régler la somme de 131 461,60 euros en réparation de son préjudice personnel.

A titre subsidiaire, il demande, vu l'article L. 622.20 du code de commerce et la carence des mandataires judiciaires Me Hess administrateur judiciaire et Me Pascual représentant des créanciers, à engager l'action en comblement de passif et vu l'existence d'un passif total admis de 1 136 333 euros, de condamner Gérard LEFOUL à lui régler la somme de 300 000 euros.

Il sollicite enfin condamnation de Gérard LEFOUL à lui régler en outre une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Monsieur LEFOUL conclut à l'irrecevabilité et au mal fondé de l'action et des demandes, à l'absence de base légale à l'action et aux demandes ainsi qu'au défaut de tout lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice invoqué et de relever le caractère injustifié de celui-ci.

En conséquence, Monsieur LEFOUL demande de débouter Monsieur CHENEBEAU de toutes ses demandes, du chef de l'arrêt des poursuites individuelles et du dessaisissement des créanciers en cas d'ouverture d'une procédure collective et du chef d'absence de faute détachable de son mandat social de Monsieur LEFOUL pouvant seul justifier une telle action et de telles demandes, de condamner Monsieur CHENEBEAU à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens avec droit de recouvrement au profit de la SCP Hamel Fagoo Duroy avoués.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures signifiées le 29 avril 2008 pour Monsieur CHENEBEAU et le 3 juin 2008 pour Monsieur LEFOUL ; les moyens invoqués seront examinés dans le cours de la discussion.

DISCUSSION

Sur la recevabilité de l'action en responsabilité civile du gérant :

Les observations de Monsieur LEFOUL sur la situation actuelle de Monsieur CHENEBEAU qui exercerait toujours en fait l'activité d'agent commercial bien qu'il prétende avoir démissionné en mars 2004 se substituant ainsi à son épouse qui s'est inscrite comme agent commercial en mai 2004, outre qu'elles ne sont pas démontrées sont sans intérêt pour le présent litige.

Monsieur CHENEBEAU fait valoir qu'il agit contre le dirigeant social Monsieur LEFOUL sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce qui n'est pas seulement applicable aux associés mais permet à un créancier social d'agir contre le gérant de la SARL qui a commis une faute ; que cette faute est constituée dans le cas de Monsieur LEFOUL par son refus délibéré et en pleine connaissance de cause de lui appliquer le statut des agents commerciaux, par la guerre psychologique à laquelle il s'est livré avec lui, et par le mépris affiché pour les dispositions d'ordre public de la loi sur les agents commerciaux.

Il est constant que le tribunal de commerce de Pont-Audemer, dont la décision a été confirmée par cette cour d'appel, a reconnu la qualité d'agent commercial à Monsieur CHENEBEAU et que la société Normande d'Equipements a été condamnée à lui payer diverses sommes, tant à titre de commissions impayées que d'indemnités consécutives à la rupture du contrat d'agent commercial.

Il convient cependant de rappeler que la responsabilité civile d'un dirigeant social est soumise à l'égard des tiers à la démonstration d'une faute personnelle de celui-ci détachable de sa fonction et que la constatation d'un manquement ou d'une faute de la société à l'égard des tiers n'implique pas l'existence d'une faute personnelle de son dirigeant.

Est produite aux débats la lettre qui est à l'origine du litige émanant de la société normande d'équipements adressée à Monsieur CHENEBEAU le 20 septembre 2002 dans laquelle il est écrit :

« Nous faisons suite à notre entretien téléphonique de ce jour et au projet de contrat d'agent commercial que vous nous avez transmis.

A la lecture de celui-ci, nous vous informons que nous ne signerons jamais ce type de contrat. »

Le contrat en question proposé par Monsieur CHENEBEAU n'est pas produit aux débats ; le refus exprimé par Monsieur LEFOUL ès qualités de signer un tel contrat ne comporte aucun terme méprisant pour le statut d'ordre public des agents commerciaux.

Quant aux échanges de courriers produits par Monsieur CHENEBEAU et dont celui-ci veut tirer la preuve des fautes du gérant (retard de réponse aux demandes de devis, défaut d'informations sur les commissions ...), outre qu'il s'agit de documents émanant de Monsieur CHENEBEAU seul, ils ne retracent que l'existence des relations normales entre les deux parties au cours de l'exercice de leur profession, même si elles sont parfois tendues du fait des difficultés auxquelles était déjà confrontée la société ainsi que le révèle la lecture de ces documents ; la teneur de ces correspondances est en tout cas parfaitement étrangère à la revendication de Monsieur CHENEBEAU de bénéficier du statut des agents commerciaux.

En conséquence, ni la lettre de réponse de Monsieur LEFOUL à la proposition de Monsieur CHENEBEAU ni son refus de lui appliquer le statut des agents commerciaux ni les courriers échangés entre les parties ne permettent de caractériser l'existence d'une faute de Monsieur LEFOUL qui soit détachable de sa fonction de gérant de la SARL Normande d'équipements.

N'est pas davantage caractérisée l'existence d'une faute commise par Monsieur LEFOUL dans l'exercice de ses fonctions mais alors d'une gravité telle qu'elle serait incompatible avec l'exercice normal de cette fonction, étant observé que Monsieur CHENEBEAU a travaillé pendant trois ans au service de la société Normande d'Equipements sans revendiquer le statut d'agent commercial et qu'il a continué à y travailler après le refus exprimé par son dirigeant.

La cour avait d'ailleurs débouté Monsieur CHENEBEAU de sa demande en dommages-intérêts présentée contre la société Normande d 'Equipements pour ce motif.

Au surplus, l'action d'un créancier n'est recevable qu'autant que celui-ci justifie d'un préjudice personnel, distinct de celui de l'ensemble des créanciers dont les intérêts sont défendus par le représentant des créanciers désigné.

Or, la demande de Monsieur CHENEBEAU ne tend qu'au paiement des sommes qui lui ont été allouées par des décisions de justice antérieures mais dont il n'est pas parvenu à obtenir le paiement du fait de la procédure collective, ce qui ne constitue pas un préjudice distinct de celui de la collectivité des créanciers.

Subsidiairement, Monsieur CHENEBEAU fait valoir qu'il n'a cependant pas à faire la preuve d'un intérêt personnel distinct de celui de l'ensemble des créanciers dès lors qu'il agit également en tant que contrôleur de la procédure collective, fonction à laquelle il a été désigné par le juge commissaire.

Or, outre le fait que Monsieur CHENEBEAU ne conteste pas l'affirmation selon laquelle la société Normande d'Equipements a fait l'objet d'une cession susceptible de lui faire perdre sa qualité de contrôleur, ce dernier n'agit en principe que pour son intérêt et non dans l'intérêt collectif des créanciers sauf les cas prévus par la loi où il agit aux lieu et place du mandataire judiciaire.

Quoiqu'il en soit, Monsieur CHENEBEAU ne fait pas davantage la preuve en cette qualité d'une faute du gérant Monsieur LAFOUL qu'elle soit détachable de sa fonction ou qu'elle puisse être rattachée à cette fonction mais d'une grossièreté telle qu'elle soit incompatible avec l'exercice normal de cette fonction.

Il s'ensuit qu'il est irrecevable à agir en responsabilité civile contre Monsieur LEFOUL personnellement et en tant que gérant de la SARL Normande d'équipements.

Sur la recevabilité de l'action en comblement de passif :

A titre également subsidiaire, Monsieur CHENEBEAU invoque que le passif s'élève à la somme de 1 136 333 euros, que le fonds de commerce a été cédé au prix de 30 000 euros qui ne permettra même pas aux créanciers super privilégiés de percevoir partie de cette somme du fait des frais des organes de la procédure.

Or la faculté désormais reconnue par la loi de sauvegarde au contrôleur de se substituer au mandataire judiciaire défaillant pour diligenter une action en comblement de passif suppose la preuve de cette défaillance qui n'est pas faite dès lors que le mandataire lui a écrit le 29 septembre 2006 qu'il n'entendait pas diligenter une telle action contre le dirigeant.

Elle suppose également la preuve d'une faute de gestion du dirigeant qui ait contribué à la création ou à l'aggravation du passif, ce que Monsieur CHENEBEAU n'allègue même pas.

Il s'ensuit que l'action en comblement de passif est tout autant irrecevable

Sur les autres demandes :

Monsieur CHENEBEAU supportera les entiers dépens de première instance et d'appel et paiera à Monsieur LEFOUL une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel en outre de la somme allouée sur ce fondement en première instance.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur CHENEBEAU aux dépens de première instance et à payer à Monsieur LEFOUL une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé l'action recevable ;

Statuant à nouveau,

Rejette comme irrecevables l'action et les demandes subséquentes de Monsieur CHENEBEAU contre Monsieur LEFOUL soit au titre de sa responsabilité civile de gérant de la SARL Normande d'Equipements soit en comblement de passif ;

Met les entiers dépens à la charge de Monsieur CHENEBEAU avec droit de recouvrement au profit des avoués de la cause et le condamne à payer à Monsieur LEFOUL une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.