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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Eurotitrisation (SA)

Défendeur :

Heart of la Defense (SAS), Dame Luxembourg (SARL), Gorrias (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

M. Testut, Mme Vaissette

Avoués :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Fievet Lafon, SCP Jullien Rol Fertier

Avocats :

Me Saint-Marc, Me Puech, Me Robert, Me Fleury, Me Poder

T. com. Paris, 2e ch., du 17 oct. 2009

17 octobre 2009

La société par actions simplifiée Hold est une société de droit français dont le siège est situé à Paris.

Son capital est entièrement détenu par une société holding de droit luxembourgeois, Dame Luxembourg, dont le siège est situé au Luxembourg.

Le 10 juillet 2007, la société Hold a acquis l'intégralité du capital de la SCI Karanis, alors propriétaire de l'ensemble immobilier « Coeur Défense » représentant 180 000 m² de bureaux destinés à la location.

Pour financer en partie cette acquisition, la société Hold a souscrit deux prêts le 10 juillet 2007 de 1 297 340 000 euros et de 341 610 00 euros dont le taux d'intérêt était variable et dont le capital était remboursable in fine le 10 juillet 2012 ou au choix de l'emprunteur le 10 juillet 2013 ou 10 juillet 2014, les intérêts étant dus trimestriellement.

Les loyers perçus par la société Hold des sociétés locataires des surfaces de bureaux devaient couvrir le remboursement trimestriel des intérêts.

Les prêts ont été consentis par la société Lehman Brothers Bankhaus AG et étaient garantis notamment par :

- une hypothèque sur l'immeuble et la cession à titre de garantie des créances professionnelles de loyers des baux consentis par la société Hold,

- le nantissement de la totalité des actions de Hold détenues par la société Dame Luxembourg, assorti d'un pacte commissoire.

Compte tenu du caractère variable du taux d'intérêt, la société Hold a souscrit, conformément aux stipulations de ces prêts, un contrat de couverture du risque de variation des taux d'intérêt auprès de la société Lehman Btrothers international (Royaume Uni) avec la garantie de la société Lehman Brothers Inc (Etats Unis).

En août 2007, une opération de titrisation des créances résultant des prêts a eu lieu et la société Hold est devenue débitrice du Fonds commun de titrisation Windermere XII FCT (le FCT) représenté par sa société de gestion, la société Eurotitrisation.

Le 28 septembre 2007, la société Hold a décidé la dissolution de la SCI Karanis conformément aux dispositions de l'article 1844-5 du code civil et la transmission universelle de son patrimoine à la société Hold avec effet au 10 octobre 2007 ; la société Hold est ainsi devenue directement propriétaire de l'immeuble Coeur Défense.

Le 15 septembre 2008, la société Lehman Brothers international ayant consenti le contrat de couverture de taux et la garante, la société Lehman Brothers Inc ayant fait l'objet de procédures collectives ouvertes au Royaume Uni et aux Etats Unis et ayant vu leurs notes dégradées, un courrier de la société CB Richard Ellis Loan Servicing Limited (CBRELS) agissant comme agent de recouvrement des prêts, mandataire de la société Eurotitrisation, notifie à la société Hold la dégradation de la banque de couverture et lui indique qu'elle doit être remplacée par une nouvelle institution financière dont la notation satisfait aux exigences du contrat de prêt dans les 20 jours qui suivent la dégradation de la notation, soit au plus tard le 5 octobre 2008.

Puis le 6 octobre 2008, la société CBRELS, constatant l'absence de conclusion d'un nouveau contrat de couverture, informe la société Hold qu'à moins qu'il ne soit remédié à la violation de la clause du contrat relative à l'obligation de fournir une nouvelle banque de couverture avant le 3 novembre 2008, un cas de défaut surviendra et qu'elle sera en mesure d' « accélérer » les prêts conformément à la clause 18.5.

Estimant ne pas pouvoir souscrire un nouveau contrat de couverture dans le délai imparti, les sociétés Hold et Dame Luxembourg ont chacune saisi le tribunal de commerce de Paris le 28 octobre 2008 d'une demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

Par deux jugements du 3 novembre 2008, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard des deux sociétés.

Le plan de sauvegarde a été arrêté par jugement du 9 septembre 2009.

La société Eurotitrisation ayant formé tierce opposition le 8 décembre 2008 à l'encontre des jugements du 3 novembre précédent, le tribunal de commerce de Paris par un jugement du 7 octobre 2009 a :

- dit recevables les tierces oppositions,

- débouté la société Eurotitrisation agissant en qualité de gestionnaire du FCT de ses demandes,

- confirmé en toutes leurs dispositions les jugements du 3 novembre 2008,

- condamné la société Eurotitrisation ès qualités à payer les sommes de 10 000 euros à la société Hold, 5 000 euros à la société Dame Luxembourg et 5 000 euros à la SCP Thevenot Perdereau en qualité d'administrateur de ces sociétés au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Sur appel de la société Eurotitrisation, la cour d'appel de Paris, par arrêt du 25 février 2010 :

- a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré les tierces oppositions recevables,

- l'a infirmé pour le surplus,

- a rétracté les jugements du 3 novembre 2008 ayant ouvert la sauvegarde des sociétés Hold et Dame Luxembourg et rejeté les requêtes à cette fin des deux sociétés.

Par arrêt du 8 mars 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé cet arrêt, sauf en ce qu'il a confirmé le chef du dispositif du jugement déféré ayant déclaré recevable la tierce opposition et a renvoyé l'affaire devant cette cour.

Par déclaration du 4 mai 2011, la société Eurotitrisation a saisi la cour afin que soit à nouveau jugé l'appel du jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2009.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 22 novembre 2011, elle demande à la cour de :

- dire et juger que la société Hold ne réunit pas les conditions nécessaires à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde,

- dire et juger que le tribunal de commerce de Paris est incompétent pour ouvrir une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Dame Luxembourg eu égard à l'absence de démonstration par cette dernière que le centre de ses intérêts principaux serait localisé à Paris et, à titre subsidiaire, que la société Dame Luxembourg ne réunit pas les conditions nécessaires à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2009 sauf en ce qu'il a dit recevables les tierces oppositions formées par Eurotitrisation, agissant en qualité de société de gestion du FCT, aux jugements entrepris,

- rétracter les jugements du 3 novembre 2008 ayant décidé l'ouverture de la procédure de sauvegarde au profit des sociétés Hold et Dame Luxembourg,

- condamner les sociétés Hold et Dame Luxembourg au paiement d'une somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les sociétés Hold et Dame Luxembourg ont conclu en dernier lieu le 10 novembre 2011 pour voir :

à titre principal,

- constater l'aveu judiciaire de la société Eurotitrisation de ce que le fonds commun de titrisation Windermere XII FCT n'est pas créancier de Dame Luxembourg,

- en conséquence, infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 7 octobre 2009 en ce qu'il a dit recevable la tierce opposition formée par la société Eurotitrisation à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société Dame Luxembourg, et déclarer la société Eurotitrisation irrecevable en ses demandes relativement à la société Dame Luxembourg,

- déclarer la société Eurotitrisation mal fondée en toutes ses autres demandes,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2009 pour le surplus ainsi que les jugements du 3 novembre 2008 en toutes leurs dispositions,

- condamner la société EUROTITRISATION à verser à chacune des sociétés Hold et Dame Luxembourg la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure Civile,

à titre subsidiaire,

- déclarer la société Eurotitrisation mal fondée en toutes ses demandes ;

- confirmer les jugements rendus par le tribunal de commerce de Paris les 3 novembre 2008 et 7 octobre 2009 en l'ensemble de leurs dispositions,

- condamner la société Eurotitrisation à verser à chacune des sociétés Hold et Dame Luxembourg la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure Civile.

La SCP Thevenot Perdereau, administrateur judiciaire des sociétés Hold et Dame Luxembourg, a conclu le 21 septembre 2011 à la confirmation du jugement du 7 octobre 2009 et a demandé la condamnation de la société Eurotitrisation à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCP BTSG, mandataire judiciaire des deux sociétés, a conclu le 13 septembre 2011 pour s'en rapporter à justice.

Enfin, le ministère public a conclu le 21 novembre 2011 pour demander à la cour :

- de se déclarer territorialement compétente à l'égard de la société Dame Luxembourg,

- de considérer les sociétés Hold et Dame Luxembourg, éligibles à la procédure de sauvegarde,

- et s'en est remis à l'appréciation de la cour sur les questions de fait relatives à l'ouverture de la procédure de sauvegarde.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la recevabilité de la tierce opposition formée par la société Eurotitrisation à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société Dame Luxembourg

La société Dame Luxembourg estime que les conclusions de la société Eurotitrisation faisant valoir que le seul créancier direct de la société Dame Luxembourg serait son associée unique contiennent l'aveu judiciaire de ce que le FCT n'est pas son créancier et elle en déduit que la tierce opposition à l'encontre du jugement d'ouverture de sa sauvegarde serait irrecevable.

Mais cette fin de non-recevoir se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 25 février 2010 qui a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2009 en ce qu'il avait déclaré les tierces oppositions recevables et qui est devenu irrévocable sur ce point, l'arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2011 ayant précisé dans son dispositif que la cassation prononcée excluait cette disposition.

La cour, statuant sur renvoi, n'est donc pas saisie de la question de la recevabilité des tierces oppositions et la fin de non-recevoir soulevée par la société Dame Luxembourg est en conséquence irrecevable.

- Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris pour ouvrir une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Dame Luxembourg

La société Eurotitrisation conteste la compétence du tribunal de commerce de Paris pour ouvrir la sauvegarde de la société Dame Luxembourg en se fondant sur les dispositions de l'article 3 du règlement européen du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité dont il résulterait selon elle la compétence des juridictions luxembourgeoises pour ouvrir une telle procédure.

Elle fait essentiellement valoir :

- que la société Dame Luxembourg a son siège social au Luxembourg où elle est inscrite au registre du commerce,

- qu'il s'agit d'une société d'investissement constituée au Luxembourg pour des raisons d'optimisation fiscale et que, pour satisfaire son objectif consistant à réaliser des plus-values non taxables lors de la cession à moyen terme des titres de la société Hold, elle doit respecter les conditions fixées par la convention franco-luxembourgeoise qui prévoit que le domicile fiscal des personnes morales est au lieu de leur centre effectif de direction, que ce critère de localisation correspond à celui de la convention fiscale modèle de l'OCDE et que ces critères sont quasiment identiques à ceux retenus par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour localiser le centre des intérêts principaux du débiteur,

- que les critères de localisation du centre des intérêts principaux du débiteur tels que rappelés par l'arrêt de la CJUE du 20 octobre 2011 permettent de constater que, pour la société Dame Luxembourg, ce centre se trouvait au Luxembourg en novembre 2008,

- les statuts de la société ont été signés au Luxembourg,

- le siège social, modifié au 28 janvier 2008, est demeuré au Luxembourg par une décision de l'associé unique prise au Luxembourg,

- les décisions relatives à la gérance et à la gestion de la société ont toutes été prises au Luxembourg (conseil de gérance du 5 juillet 2007 en vue de l'augmentation de capital suite à l'acquisition des parts sociales de la SCI Karanis par Hold, assemblée générale extraordinaire du 6 juillet 2007 relative à l'augmentation de capital, procès-verbal de réunion de l'associé unique du 18 décembre 2007 modifiant les statuts ainsi que la composition du conseil de gérance, acte du 3 avril 2008 mentionnant la modification du siège social),

- aucune réunion des organes de gestion n'a été tenue à Paris et aucune décision n'y a donc été prise,

- les différents procès-verbaux et actes précités constituent en matière de gestion les seuls éléments disponibles pour les tiers et vérifiables par eux,

- la direction de la société était à l'époque de l'ouverture de la procédure assurée par un conseil de gérance composé de personnes dont les adresses étaient situées au Luxembourg, à Londres ou à New York, à l'exclusion de Paris,

- une direction commune a été mise en place au Luxembourg pour les trois sociétés d'investissement luxembourgeoises, à savoir Dame Luxembourg, LB Dame Sàrl & Partners SCA, son associée unique, et LB Dame Sàrl, l'une des associées de la précédente,

- les comptes de la société sont déposés au registre du commerce de Luxembourg et ces bilans constituent les seuls éléments comptables disponibles et donc vérifiables par les tiers,

- le seul créancier direct de Dame Luxembourg est son actionnaire unique LB Dame Sàrl & Partners SCA, société luxembourgeoise,

- qu'en l'espèce, et conformément à l'arrêt de la CJUE du 21 octobre 2011, la présomption selon laquelle le centre des intérêts principaux se trouve au lieu du siège social ne peut être renversée puisqu'il est démontré que s'y trouvent les organes de direction et de contrôle et que les décisions de gestion y sont prises de manière vérifiable par les tiers.

Si la cour estimait pouvoir renverser la présomption, elle soutient que les éléments retenus par le tribunal pour constituer un faisceau d'indices et localiser le centre des intérêts principaux de Dame Luxembourg à Paris ne sont pas pertinents pour les raisons suivantes :

- il n'existe aucune confusion des directions de la société Hold et de la société Dame Luxembourg,

- la société Dame Luxembourg n'emploie aucun salarié, ni au Luxembourg, ni à Paris,

- le fait que l'actif détenu par le véhicule Hold, au travers duquel la société Dame Luxembourg a réalisé son premier investissement, soit localisé à Paris, ne peut constituer un critère pertinent car il n'exerce aucune influence sur la localisation de sa direction effective et ce d'autant qu'elle a vocation à détenir d'autres participations éventuellement dans d'autres pays,

- les actes signés à Paris, rédigés en français et soumis au droit français retenus par les premiers juges ne sont pas davantage probants parce qu'ils impliquent, pour certains, la seule société Hold, ne sont pas des éléments vérifiables par les tiers, ne sont que la conséquence du lieu de situation de l'immeuble acquis et des règles de droit international privé, la constitution de Hold, le nantissement donné par la société Dame Luxembourg ne sont qu'une partie des actes accomplis par elle depuis sa création,

- la signature du nantissement consenti par la société Dame Luxembourg par M. de Boisgrollier, président de Hold, n'est pas significative puisqu'il n'agissait qu'en qualité de mandataire de la société Dame Luxembourg pour des raisons pratiques et que ce mandat était ponctuel et unique,

- la localisation des négociations relatives à la mise en place de la structure d'acquisition et au financement à Paris ne concerne que le centre des intérêts principaux de la société Hold et n'est pas opposable aux tiers,

- le sort des sociétés Hold et Dame Luxembourg n'étant pas lié ne nécessitait pas que les procédures d'insolvabilité soient concentrées au sein de la même juridiction.

Subsidiairement, la société Eurotitrisation soutient qu'à supposer que le centre des intérêts principaux ne soit pas situé au Luxembourg, il est alors situé au Royaume Uni puisque c'est à Londres qu'ont été prises au sein du groupe Lehman Brothers les décisions d'acquérir l'immeuble, de mettre en place les financements, de titriser le prêt puis qu'ont été conduites les discussions relatives aux modalités de remplacement de la couverture de taux et elle ajoute que les documents à la disposition des tiers relatifs à Dame Luxembourg sont tous rédigés en anglais.

Les sociétés Hold et Dame Luxembourg rétorquent que le centre des intérêts principaux de la seconde est bien situé à Paris et font valoir en substance que :

- le tribunal de commerce a correctement appliqué le règlement européen tel qu'interprété par la jurisprudence puisque la société Dame Luxembourg a pour seul réel actif 100 % des actions de Hold, société de droit français dont le principal actif est l'immeuble Coeur Défense, n'emploie aucun salarié, n'a réalisé aucun chiffre d'affaires depuis sa constitution, a principalement réalisé deux actes juridiques : acquisition des parts sociales de la SCI Karanis et constitution d'un gage de compte d'instruments financiers au bénéfice des prêteurs portant sur l'intégralité des actions de Hold par des contrats négociés à Paris, rédigés en français, soumis au droit français et à la compétence des juridictions françaises,

- que l'analyse du tribunal est conforme à la jurisprudence la plus récente de la CJUE qui indique que parmi les éléments à prendre en considération figurent l'ensemble des lieux où la société débitrice exerce une activité économique et de ceux où elle détient des biens pour autant que ces lieux soient visibles pour les tiers,

- le règlement européen vise une administration efficace et homogène de la justice,

- les arguments avancés par la société Eurotitrisation démontrent seulement que la société Dame Luxembourg a bien été immatriculée en vertu du droit luxembourgeois, que son siège statutaire se trouve au Luxembourg et qu'elle se plie au droit des sociétés luxembourgeois,

- le domicile fiscal en se confond pas avec la notion de centre des intérêts principaux du règlement européen qui est une notion matérielle autonome et spécifique et doit être interprété de manière indépendante des notions nationales et la présente instance ne concerne pas le statut fiscal de la société Dame Luxembourg,

- l'affirmation selon laquelle le seul créancier de la société Dame Luxembourg serait son actionnaire unique est, soit fausse puisque la société Eurotitrisation a déclaré au passif de la société Dame Luxembourg une créance de 1 638 950 000 euros, soit constitue l'aveu judiciaire que n'étant pas créancière, sa tierce opposition est irrecevable,

- l'allégation subsidiaire et contradictoire que le centre des intérêts principaux de la société Dame Luxembourg se situe à Londres ne repose sur aucun moyen pertinent.

Sur ce :

Aux termes de l'article 3 du chapitre I du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

Selon le considérant 13 du règlement, le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers.

La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que « la notion de centre des intérêts principaux est propre au règlement. Partant, elle revêt une signification autonome et doit donc être interprétée de manière uniforme et indépendante des législations nationales » et ajouté que « le centre des intérêts principaux doit être identifié en fonction de critères à la fois objectifs et vérifiables par les tiers. Cette objectivité et cette possibilité de vérification par les tiers sont nécessaires afin de garantir la sécurité juridique et la prévisibilité concernant la détermination de la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d'insolvabilité principale » (CJCE, 2 mai 2006, Eurofood IFSC Ltd, affaire n° C-341/04).

En l'espèce, il est acquis que le siège statutaire de la société Dame Luxembourg est, depuis son immatriculation, situé au Luxembourg où est en conséquence présumé se situer le centre de ses intérêts principaux.

La société Eurotitrisation apporte la preuve que les actes et formalités sociaux rendus obligatoires par la localisation du siège de la société Dame Luxembourg et son immatriculation au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg ont effectivement été réalisés à Luxembourg conformément au droit des sociétés luxembourgeois : signature des statuts, dépôt des comptes sociaux, modification de l'adresse du siège social et de la composition du conseil de gérance.

Elle établit également qu'un conseil de gérance s'est tenu au Luxembourg le 5 juillet 2007, consacré à l'approbation de l'acquisition des parts sociales de la SCI Karalis et aux modifications induites par cette opération (cession de créance, augmentation de capital notamment qui ont été enregistrées devant notaire luxembourgeois le lendemain).

Il ressort également des pièces produites que les gérants de la société Dame Luxembourg étaient au moment de la demande de sauvegarde, domiciliés au Luxembourg pour deux d'entre eux, et respectivement à Londres et à New York pour les deux autres.

Mais ces éléments résultent pour la plupart du simple respect formel des obligations liées à la localisation du siège de la société Dame Luxembourg et, s'agissant du conseil de gérance du 5 juillet 2007, les résolutions prises ne font qu'entériner un projet arrêté en amont et permettre sa mise en oeuvre concrète en France comme le montre notamment le procès-verbal du 9 juillet 2007 relatif à l'augmentation de capital de la société Hold.

Ces faits et actes ne traduisent pas l'ensemble de la gestion sociale et n'impliquent que les actionnaires ou les membres du conseil de gérance de la société, de sorte qu'ils ne permettent pas de conclure que l'ensemble des organes de direction et de contrôle de la société se trouvaient au lieu de son siège, ni que les décisions de gestion de la société étaient prises de manière vérifiable par les tiers en ce lieu.

Il en résulte qu'une autre localisation du centre des intérêts principaux de la société que celle résultant du siège social ne peut être exclue et que l'impossibilité de renverser la présomption résultant de la jurisprudence récente de la CJUE (CJUE 20 octobre 2011 Interedil affaire n° C-396/09) ne peut être retenue en l'espèce.

Il est constant que la société Dame Luxembourg est une holding qui n'emploie aucun salarié, qu'elle n'a déployé aucune activité au Luxembourg et n'a réalisé aucun chiffre d'affaires.

Même si, aux termes de ses statuts, elle a la possibilité de procéder à d'autres investissements et prises de participation, force est de constater qu'au jour de l'ouverture de la sauvegarde, la société Dame Luxembourg n'avait agi et conclu des actes juridiques que pour constituer la société Hold, acquérir, par le biais de cette filiale, l'ensemble immobilier Coeur Défense et garantir le financement de cette opération.

Il est ainsi établi :

- que l'actif de la société Dame Luxembourg est constitué de la détention de 100 % des actions de la société Hold, société de droit français, dont le principal actif est l'immeuble Coeur Défense,

- qu'elle a décidé à Paris le 9 juillet 2007 d'augmenter le capital de sa filiale Hold,

- qu'elle a acquis à Paris le 10 juillet 2007 une part sociale de la SCI Karalis,

- que l'acte juridique le plus important qu'elle a souscrit depuis son immatriculation, vis à vis de tiers et impliquant l'intégralité de son actif, consiste dans le contrat de gage de compte d'instruments financiers relatif au nantissement des actions de la société Hold comportant en outre pacte commissoire qu'elle a conclu le 10 octobre 2007 et qui garantit le prêt accordé à la SCI Karalis, devenue Hold, pour acquérir l'immeuble Coeur Défense,

- pour tous les actes et relations contractuelles conclus à Paris, la société Dame Luxembourg a été représentée par M. de Boisgrellier, dirigeant de la société Hold, dont le mandat n'a donc pas été limité à un seul acte ponctuel comme le soutient la société Eurotitrisation,

- que ces actes sont soumis au droit français et à la compétence des juridictions françaises,

Ces faits et actes, objectifs et vérifiables par les tiers, puisque soumis à publicité, et spécialement par le FCT partie au prêt consenti à la SCI Karalis ainsi qu'au contrat de nantissement précité, mis en place pour financer l'acquisition d'un ensemble immobilier majeur situé à La Défense, constituent un faisceau d'indices concordants démontrant que le centre des intérêts principaux de la société Dame Luxembourg se situait à Paris où étaient gérés ses principaux intérêts.

Les objections encore opposées par la société Eurotitrisation tenant au statut fiscal luxembourgeois qui serait recherché par la société Dame Luxembourg sont inopérantes dans la mesure où l'objet de la présente discussion n'est pas de vérifier si cette société respecte les critères requis pour bénéficier de ce régime fiscal et où le centre des intérêts principaux, au sens du règlement européen sur les procédures d'insolvabilité, est une notion propre à ce règlement et qui revêt une signification autonome.

De même, la détention de la société Dame Luxembourg par une société mère luxembourgeoise elle-même partiellement détenue par une société de même nationalité et la mise en place d'une direction commune à ces trois sociétés ne constituent pas des élément de nature à remettre en cause l'existence des indices objectifs et vérifiables par les tiers conduisant à conclure que le centre des intérêts principaux se situait à Paris. A cet égard, l'existence d'un prêt de 249 000 000 euros consenti par son actionnaire unique à la société Dame Luxembourg est également sans effet, ce prêt ne constituant pas un acte vérifiable par les tiers et la société Eurotitrisation, qui a déclaré au passif de la société Dame Luxembourg une créance de 1 638 950 000 euros ne peut sérieusement soutenir que la société Dame sàrl & Partners SCA est le principal créancier de sa filiale.

Quant aux indications données par la société Eurotitrisation pour soutenir subsidiairement que le centre des intérêts principaux de la société Dame Luxembourg se situerait à Londres, elles ne reposent que sur l'appartenance de la société Dame Luxembourg au groupe Lehman Brothers dont la direction stratégique serait située à Londres et qui aurait pris la décision d'acquérir l'immeuble. Les éléments produits aux débats confirment l'existence de l'implication du groupe et de sa logistique importante dans l'opération mais ne démontrent aucunement l'existence d'actes de gestion objectifs et vérifiables par les tiers accomplis à Londres et qui seraient de nature à combattre les indices permettant de fixer le centre des intérêts principaux de la société Dame Luxembourg à Paris.

Il peut encore être observé que l'usage de la langue anglaise, avec traduction en français, s'agissant des actes et contrats concernant la société Dame Luxembourg ne peut être retenu, dans le contexte d'une opération de l'importance de l'acquisition de l'immeuble en cause impliquant des intervenants de diverses nationalités, comme constituant un indice pertinent d'une localisation à Londres du centre des intérêts principaux.

En conséquence, la décision des premiers juges fixant le centre des intérêts principaux de la société Dame Luxembourg à Paris et retenant la compétence du tribunal de commerce de cette ville pour statuer sur la demande de sauvegarde présentée par cette société doit être confirmée.

- Sur les conditions d'ouverture de la sauvegarde de la société Hold

La société Eurotitrisation, pour contester la réunion des conditions permettant l'ouverture de la sauvegarde de la société Hold, fait essentiellement valoir :

- qu'au moment de la demande de sauvegarde, les parties étaient en discussion sur le remplacement de la couverture de taux et sur les aménagements contractuels demandés par la société Hold, que cette dernière savait que seuls les obligataires étaient habilités à se prononcer sur ces points, à l'exclusion du mandataire du FCT, Eurotitrisation ou de l'agent des prêts CBRELS, et que l'exigibilité anticipée des prêts ne pouvait être prononcée, la classe d'obligataires contrôlante n'ayant pas l'intention de la prononcer,

- qu'elle n'avait pas à soumettre l'ordre du jour de l'assemblée d'obligataires à la société Hold et que cette dernière en connaissait la date dès le 15 septembre par application des deux délais de 20 jours visés par les articles 17.4 et 18.1.3 des contrats de prêt,

- que l'ordre des résolutions soumises au vote des obligataires ne démontrait pas la volonté de faire prononcer l'exigibilité immédiate du prêt mais répondait au contraire à une logique consistant à faire voter d'abord sur les résolutions sur lesquelles une majorité qualifiée était la plus difficile à obtenir pour aller vers des résolutions pour lesquelles une telle majorité était plus aisée à réunir,

- que l'attitude ultérieure de la société Hold (et du groupe Lehman) et le plan de sauvegarde adopté ont montré que l'objectif était seulement de rester à la tête de son investissement immobilier sans bourse délier, en attendant un hypothétique retournement du marché immobilier en 2014,

- qu'il est inexact que le 29 octobre 2008, la société Hold n'était pas en mesure de souscrire une nouvelle couverture de taux en raison de son coût prohibitif ; que le coût avancé de 60 à 70 millions d'euros est contredit par l'étude fournie par JCRA qui a obtenu de trois banques des cotations allant de 18 603 544 euros à 20 332 980 euros et qui sont cohérentes avec l'étude du marché faite par la société Ester,

- que si Hold avait accepté le délai supplémentaire du 15 décembre 2008, qui était soumis au vote des obligataires, elle aurait pu trouver une couverture de taux à un prix moindre proche de celui finalement accepté en mai 2010, auprès d'au moins 16 établissements répondant aux critères de notation exigés,

- que la société Hold avait les moyens financiers de souscrire une nouvelle couverture de taux entre octobre et le 15 décembre 2008 et affirme faussement que son actif disponible n'était que de 5 763 465 euros alors qu'elle pouvait mobiliser jusqu'à 26 500 000 euros.

La société Hold, pour soutenir qu'elle était confrontée le 3 novembre 2008 à des difficultés qu'elle n'était pas en mesure de surmonter de nature à la conduire à la cessation des paiements, fait valoir en substance :

- qu'elle a reçu deux mises en demeure les 15 septembre et 6 octobre 2008 menaçant de prononcer l'exigibilité des prêts sans accorder aucun délai autre que ceux résultant de la stricte application des contrats,

- qu'à la suite de sa proposition du 16 octobre 2008 de fournir une couverture temporaire, des échanges ont eu lieu ainsi qu'une réunion le 23 octobre 2008 au cours de laquelle l'étude prétendument reçue par Eurotitrisation le même jour émanant de JC Rathbone ne lui a pas été communiquée, comme ne lui ont pas été indiqués la date et l'ordre du jour de l'assemblée des obligataires en dépit de sa demande en ce sens,

- que la découverte de la convocation sur internet et l'ordre des résolutions proposées au vote, alors que des discussions se poursuivaient au sujet de l'amélioration de l'offre de la société Hold, ne pouvait être interprétée par cette dernière que comme une rupture des négociations,

- que la société Hold ne connaissait pas l'issue du vote des obligataires, ni l'opposition de certains pouvant bloquer le vote à l'exigibilité anticipée et que les modalités de vote et la détermination de la classe contrôlante étaient au demeurant très incertaines,

- que l'état des marchés financiers, en pleine dislocation, risquait d'entraîner une dégradation du ratio 'LTV' (montant des contrats de prêt par rapport à la valeur de l'immeuble) qui pouvait également entraîner l'exigibilité anticipée et rendait impossible la souscription d'un contrat de couverture de taux répondant aux conditions exigées ou, à supposer qu'une contrepartie ait pu être trouvée, à un coût tel que Hold ne pouvait y faire face avec ses ressources disponibles,

Sur ce :

Aux termes de l'article L. 620-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, applicable en la cause, la sauvegarde est ouverte à la demande d'un débiteur qui justifie de difficultés, qu'il n'est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements.

Les conditions d'ouverture de la sauvegarde doivent être appréciées au jour où il est procédé à cette ouverture, soit en l'espèce au 3 novembre 2008.

Il convient de déterminer si, à cette date, la société Hold rencontrait des difficultés de nature à la conduire à la cessation des paiements, puis si elle était en mesure de les surmonter.

- des difficultés de nature à la conduire à la cessation des paiements

Il résulte de l'article 17-4 du contrat de prêt liant la société Hold au FCT que, pendant toute la durée du prêt, le contrat de couverture contre les risques de variation du taux d'intérêt devait demeurer en vigueur et il était prévu que, dans l'hypothèse où la banque de couverture cesserait de bénéficier de la notation minimale requise, l'emprunteur s'engageait dans les 20 jours calendaires suivant la date de dégradation, à la demande de l'agent du prêt et dans les meilleurs délais suivant cette demande, à substituer une nouvelle banque de couverture bénéficiant de la notation minimale exigée ou approuvée par l'agent du prêt.

Et l'article 18 du même contrat prévoit que constitue un cas de défaut, au point 18.1.3, le fait pour l'emprunteur de ne pas remédier à un manquement contractuel dans les 20 jours ouvrés suivant le jour de la survenance d'un tel manquement.

La lettre adressée le 15 septembre 2008 par CBRELS à la société Hold lui notifiant la dégradation de Lehman Brothers et la nécessité de la remplacer par une nouvelle banque de couverture dotée de la notation requise par le prêt dans les 20 jours, soit au plus tard le 5 octobre 2008 constituait en conséquence la mise en oeuvre de l'article 17-4 précité du prêt.

Et la lettre de mise en demeure du 6 octobre 2008, se référant à la précédente, et constatant l'absence de fourniture d'une nouvelle banque de couverture, informait la société Hold (dans la traduction versée aux débats par la société Eurotitrisation elle-même) qu' « à moins qu'il ne soit remédié à la violation des dispositions de ladite clause avant le 3 novembre 2008, un cas de défaut surviendra conformément aux dispositions de l'article 18.1.3 du contrat de prêt et nous serons en mesure d'accélérer les prêts conformément aux dispositions de la clause 18.5 des contrats de prêts ».

Ces deux lettres, strictement conformes aux prévisions contractuelles, constituaient donc une menace tangible sérieuse pour la société Hold de voir prononcer l'exigibilité anticipée des prêts le 3 novembre 2008 si elle ne fournissait pas avant cette date un nouveau contrat de couverture de taux offrant les garanties contractuellement requises.

Et il n'est pas contesté qu'en cas d'exigibilité anticipée des prêts, la société Hold, dont les ressources constituées des loyers perçus des locataires de l'immeuble financé étaient affectées au remboursement des intérêts trimestriels des emprunts, se serait trouvée en état de cessation des paiements puisqu'elle n'aurait pu faire face au remboursement du capital prêté (stipulé dans les contrats comme payable in fine) qui était de 1 638 950 000 euros, avec son actif disponible qui s'élevait, selon la situation de trésorerie dont justifie la société Hold au 27 octobre 2008(sa pièce 93) à la somme de 6 416 502, 90 euros incluant les valeurs mobilières, les soldes créditeurs de ses divers comptes nantis ou non, à l'exclusion des sommes figurant sur les comptes de « gages espèces » non disponibles pour la société débitrice.

Parallèlement à ces envois comminatoires, des discussions ont eu lieu entre les parties comme en témoignent les échanges de courriers électroniques produits. Dès le 7 octobre 2008, CBRELS était informé que l'emprunteur travaillait à la souscription d'un nouveau contrat de couverture et le 16 octobre 2008, la société Hold a transmis à CBRELS des propositions destinées à remédier aux difficultés, et spécialement la conclusion projetée d'un nouveau contrat de couverture de taux conclu pour 9 mois débutant le 10 janvier 2009 pour le principal de la dette à un taux plafond de 4, 5% (au lieu de 4, 05 % auparavant) pour un coût estimé à la date de la proposition à 1 500 000 euros financé par Hold qui proposait en outre le transfert de sommes sur un compte réservé pour garantir le paiement des deux prochaines échéances de taux d'intérêt en supposant un taux maximum de 4, 5% et demandait en contrepartie la renonciation à se prévaloir du manquement au titre de l'article 17.4 du prêt.

Ces propositions étaient accompagnées d'une demande de réunion et de transmission aux obligataires.

Une réunion a eu lieu le 23 octobre 2008 à laquelle participaient des représentants des sociétés Hold, Eurotitrisation et CBRELS.

Le 27 octobre 2008, CBRELS faisait savoir aux actionnaires de Hold que le coût de la couverture proposée aurait baissé de manière significative et demandait à l'emprunteur s'il serait disposé à accepter une couverture prévoyant un taux d'intérêt plus bas que celui proposé de 4, 5 % (en estimant le coût pour un taux de 4, 05 % sur 9 mois à 950 000 euros). La réponse donnée au nom de Hold à cette demande le lendemain était positive sous réserve que sa trésorerie le permette et elle s'inquiétait d'un retard de la convocation à l'assemblée des obligataires et de la non-transmission pour cette assemblée de la totalité de la proposition de Hold.

Il résulte de ces éléments que si des discussions partiellement encourageantes pour la société Hold ont eu lieu, elle n'a pu obtenir de ses interlocuteurs aucune assurance sur leur issue, ni aucun report de délai et il ressort de tous les éléments du débat que la décision était du seul ressort de l'assemblée des obligataires qui devait avoir lieu le 3 novembre 2008.

Or cette perspective ne pouvait rassurer sur le sort de la société Hold à brève échéance.

En effet, l'ordre de présentation des délibérations soumises au vote des obligataires comportait en premier lieu une résolution prévoyant le rejet pur et simple de la proposition de l'emprunteur quant à la couverture de taux provisoire et en second lieu une résolution, en cas d'acceptation de la première, prévoyant l'exigibilité anticipée des prêts. L'acceptation de la proposition de Hold ne figurait qu'en troisième position, et la résolution prévoyant l'acceptation provisoire de la proposition jusqu'au 15 décembre 2008 était en cinquième position.

La société Eurotitrisation ne convainc pas lorsqu'elle expose que cet ordre de résolution répondait à une stratégie conforme à l'intérêt de l'emprunteur, compte tenu des majorités exigées.

En effet, aucun élément probant n'établit au dossier que le vote des première et deuxième résolutions pouvait être exclu.

Et il n'est pas davantage prouvé que la société Hold connaissait l'issue prétendument favorable du vote à venir en raison des intentions alléguées bienveillantes à son égard des obligataires de la classe dite « contrôlante ».

Tout d'abord, la détermination de la classe contrôlante (celle qui correspond à la catégorie d'obligataires la première exposée au risque de perdre son investissement en capital) censée déterminer le vote, telle que décrite par la société Eurotitrisation, est hasardeuse et fluctuante puisqu'elle serait déterminée par une évaluation mathématique fondée sur la 'dernière évaluation de l'immeuble' en la divisant par 120 % et la société Eurotitrisation émet elle-même deux hypothèses en fonction de deux évaluations de l'immeuble : une au 10 septembre 2008 aboutissant à faire de la classe « H » la classe contrôlante, l'autre du 28 octobre 2008, trop tardive pour être prise en compte selon Eurotitrisation, qui aboutissait à désigner la classe « F ».

Ensuite, s'agissant de la classe H, celle qui aurait été effectivement contrôlante selon Eurotitrisation, la preuve de son vote favorable est fondée sur un courrier du 24 décembre 2008 émanant de l'investisseur qui composerait seul cette classe et qui exprime une position prise après l'ouverture de la sauvegarde et qui ne peut établir le vote qui aurait été le sien le 3 novembre précédent.

Quant à la classe F, les documents produits par la société Eurotitrisation (sa pièce n° 73) à l'appui de ses affirmations sont en grande partie tronqués, ne permettent pas l'identification du porteur en cause et sont donc dépourvus de toute valeur probante.

En tout état de cause, il n'est pas démontré que la société Hold avait connaissance de la composition de la classe F comme de toute autre, des consignes de vote données, et il n'est pas davantage prouvé qu'elle pouvait connaître la classe d'obligataires censée déterminer le vote.

Ainsi, comme l'ont retenu les premiers juges, la société Hold rapporte la preuve qu'au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, le risque de voir prononcer l'exigibilité immédiate du prêt était réel et qu'elle était donc confrontée à des difficultés de nature à la conduire à la cessation des paiements.

- des difficultés que la société Hold n'était pas en mesure de surmonter

Il convient maintenant de déterminer s'il était possible pour la société Hold de souscrire entre le 15 septembre et le 3 novembre 2008 un nouveau contrat de couverture de taux répondant aux exigences contractuelles et d'écarter ainsi le risque de déchéance du terme.

Pour affirmer qu'une telle souscription était possible, la société Eurotitrisation se prévaut de l'étude établie à sa demande par un intermédiaire le cabinet JC Rathbone, le 23 octobre2008, qui fait état de plusieurs solutions alternatives pour remplacer la couverture perdue à la suite de la défaillance de Lehman Brothers et dont une seule correspond à un contrat équivalent pour un coût de 21 700 000 euros indiqué sans aucune référence de la banque en mesure de fournir un tel contrat, ni d'une offre précise, de sorte que cette évaluation est dépourvue de valeur probante. Elle n'a d'ailleurs pas été transmise en son temps à la société Hold.

Une autre évaluation émanant du même intermédiaire et datée du 29 octobre 2008 insiste sur les difficultés et le coût de l'opération, envisage plusieurs options et ne fait mention que d'une proposition correspondant au contrat recherché présentée comme émanant de la Barclays et chiffrée à hauteur de 19 600 000 euros. Ce rapport ne joint pas davantage de pièces justificatives de la réalité de la proposition et n'a pas été transmis à la société Hold.

La société Eurotitrisation fait également état de trois propositions établies à sa demande :

- la première émanant de HSBC France en date du 7 novembre 2008 fait état du « prix indicatif » que nous 'aurions pu vous proposer hier 6 novembre 2008 à la clôture du marché' : couverture du 10 janvier 2009 au 10 juillet 2013 avec taux de 4, 05 % jusqu'au 10 juillet 2012 et 4, 5 % la dernière année, au prix de 28, 84 millions d'euros, la proposition étant suivie de multiples réserves sur le fait que les prix sont indicatifs et fournis à titre d'information et ne constituent pas une offre et que le document a un caractère promotionnel,

- la deuxième émanant de BNP Paribas du 6 novembre 2008 pour une couverture du 10 octobre 2008 au 10 juillet 2012 avec un taux de 4, 05 % au prix de 37 080 000 euros, suivie du même type de réserves,

- la troisième non datée émanant d'une banque dont l'identification est occultée présentant les même caractéristiques que l'offre de HSBC à l'exception d'un début de couverture dès le 10 octobre 2008 et d'un prix de 31 629 000 euros.

Force est de constater que ces indications adressées, non à la société Hold, mais à Eurotitrisation, postérieures à l'échéance du 3 novembre 2008 qui avait été impartie à la société Hold ou non datées et pour le moins conditionnelles, ne font pas la preuve de la possibilité pour Hod de souscrire la couverture de taux requise dans le délai imparti et qu'en tout état de cause, cette société n'avait pas au début du mois de novembre 2008 les disponibilités financières pour souscrire des contrats de couverture pour de tels prix.

La société Eurotitrisation produit également une étude réalisée à sa demande par la société Ester, conseil en finance de marché, sur la faisabilité de l'achat d'un « cap » (contrat de couverture de taux) lié à une titrisation en octobre et novembre 2008 . Cette étude concède la période de grand trouble des marchés financiers après le 15 septembre 2008 marquée par l'aversion aux risques et le repli du crédit mais aussi par des périodes de rebond et de plus grande liquidité des marchés et, après avoir conclu à la possibilité de souscrire la nouvelle couverture requise surtout dans la seconde quinzaine d'octobre 2008, elle évalue son coût dans une fourchette comprise entre moins de 15 millions d'euros jusqu'à 40 millions d'euros et ajoute que, courant novembre 2008 jusqu'au 15 décembre 2008, le coût aurait pu être inférieur à 15 millions d'euros.

Cette étude effectuée a posteriori, à une date au demeurant non précisée, à partir d'extrapolations sur les opérations du type recherché réalisées en avril 2007 et avril 2010 (cf page 12 du rapport) ne démontre pas davantage la possibilité effective pour la société Hold de souscrire le contrat de couverture qu'elle devait fournir dans le délai qui lui était imparti et auprès d'une banque identifiée, étant rappelé qu'il a déjà été retenu que l'emprunteur ne pouvait se permettre d'attendre l'octroi hypothétique d'un délai jusqu'au 15 décembre 2008.

En effet, l'auteur de l'étude n'est pas crédible lorsqu'il indique que les volumes de « cap » traités sur les marchés en octobre et novembre 2008 n'avaient 'aucune raison d'être inférieurs' à ceux observés en avril 2007 et avril 2010, faisant ainsi abstraction de l'importance de la crise financière qui a suivi la défaillance de Lehman Brothers et de l'incertitude, voire de la panique, qui régnaient alors.

Les études et éléments fournis par la société Eurotitrisation sont en outre contredits par l'expertise établie par MM .Leroy et Rebolle en septembre 2011 à la demande de la société Hold qui insistent, de leur côté, sur la difficulté pour Hold qui n'avait pas vocation à être un intervenant capable de négocier un « cap » du type de celui exigé et ne disposait pas de ligne de crédit nécessaire pour souscrire rapidement un tel contrat auprès des quelques banques capables de proposer une cotation pour un prêt d'un montant aussi important, sur le défaut de pertinence des données avancées par le rapport Ester en termes de marchés et de périodes étudiés a posteriori et relèvent que les prix avancés par Ester ne correspondent d'ailleurs pas aux autres évaluations que la société Eurotitrisation avait obtenues en novembre 2008 et concluent à l'impossibilité, ou au moins à la forte improbabilité, en dehors même du coût élevé, pour la société Hold de parvenir à la souscription d'un nouveau « cap » dans le court délai qui lui était imposé.

Au-delà des divergences opposant les experts consultés par chacune des parties, il résulte des éléments d'appréciation soumis à la cour que l'existence, la liquidité et les prix du marché relatif aux contrats de couverture de taux pour la période allant du 15 septembre au 3 novembre 2008 demeurent incertains et très aléatoires, l'expert Ester ayant d'ailleurs indiqué que le prix de la même opération de marché pouvait radicalement changer dans les minutes qui suivent s'il n'est pas suivi de la conclusion immédiate de l'opération ; mais il en ressort néanmoins de manière certaine que les prix indiqués excédaient en tout état de cause le montant de l'actif disponible dont disposait alors la société Hold.

Des consultations par la société Eurotitrisation de plusieurs spécialistes pendant cette période et après, aucune possibilité effective pour la société Hold de souscrire elle-même le contrat de couverture exigé dans le délai imparti et pour un coût compatible avec son actif disponible (6 416 502 euros) ne se dégage. Durant les négociations menées avec la société Hold, la société Eurotitrisation n'a d'ailleurs transmis à cette dernière aucune offre en ce sens, sa seule contreproposition à celle reçue de la société Hold pour une couverture provisoire étant celle d'une autre couverture temporaire qu'elle a laissée sans suite. Et bien que soutenant l'existence d'un marché effectif et relativement fluide sur certaines périodes et le fait que d'autres débiteurs dans la même situation que la société Hold ont fait le nécessaire sans demander l'ouverture d'une sauvegarde, force est de constater que la société Eurotitrisation ne fournit aucun exemple concret, même anonymisé, de souscription d'un tel contrat pendant la période considérée.

En raison de la brièveté du délai imparti, du caractère aléatoire du marché concerné et, en tout état de cause, des prix des contrats recherchés précédemment cités, la société Hold justifie en conséquence suffisamment qu'elle ne pouvait surmonter les difficultés liées à l'obligation de fournir une nouvelle couverture de taux répondant aux exigences contractuelles avant le 3 novembre 2008 et il a déjà été démontré que ces difficultés étaient de nature à la conduire à la cessation des paiements.

Enfin, les griefs relatifs à l'attitude de la société Hold après l'ouverture de sa sauvegarde qui auraient traduit sa volonté de rester à la tête de son actif immobilier sans bourse délier sont sans portée puisque les conditions d'ouverture de la procédure doivent être appréciées au jour de cette ouverture et qu'aucune fraude de la société débitrice n'est alléguée ni établie.

Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a rejeté la tierce opposition de la société Eurotitrisation à l'ouverture de la sauvegarde de la société Hold et confirmé cette dernière.

- Sur les conditions d'ouverture de la sauvegarde de la société Dame Luxembourg

Pour contester l'existence de difficultés de la société Dame Luxembourg de nature à justifier l'ouverture de sa sauvegarde, la société Eurotitrisation fait valoir :

- que la société Dame Luxembourg tente de créer une confusion entre sa situation et celle de sa filiale Hold,

- que le 29 octobre 2008, il n'était pas possible que le prêt d'actionnaire dont elle bénéficiait devienne exigible par anticipation et donc qu'elle soit en cessation des paiements car l'exécution du pacte commissoire sur les titres de la société Dame Luxembourg n'entraînait pas l'exigibilité anticipée du prêt d'actionnaire, faute de correspondre au cas de défaut prévu par l'article 6.1.4 de ce prêt,

- qu'à supposer même que le prêt d'actionnaire ait pu être déclaré exigible par anticipation, la représentation de ces actionnaires au moment de l'ouverture de la sauvegarde et leur attitude de soutien de la société résultant des termes mêmes du plan excluaient la mise en oeuvre de cette exigibilité,

- que le délaissement par la société Dame de ses titres dans Hold au profit du FCT en application du pacte commissoire l'aurait libérée de toutes ses obligations envers le FCT, de sorte qu'elle aurait pu s'engager dans de nouvelles activités, et que la perte de son unique actif n'impliquait ni la cessation des paiements, ni la disparition de la société.

La société Dame Luxembourg rétorque :

- qu'elle disposait à la date de l'ouverture de la sauvegarde d'un actif disponible de 9 435 euros,

- qu'elle était menacée de voir saisi son seul actif, à savoir les actions de Hold en exécution du pacte commissoire souscrit au profit du FCT,

- que l'exigibilité du prêt d'actionnaire de 249 000 000 euros était bien encourue en ce cas aux termes des articles 6.1 et 6.2 du contrat de prêt, et de nature à la conduire à la cessation des paiements, indépendamment même des sommes dont elle prétend qu'elle serait restée débitrice envers le FCT.

Sur ce :

La société Dame Luxembourg verse aux débats le contrat de prêt que lui a accordé le 5 juillet 2007 son actionnaire, la société LBREP III Dame Sàrl & Parteners SCA pour la somme de 249 000 000 euros, sans intérêts et remboursable à la 'date d'échéance finale'définie comme la date correspondant à 10 ans après la mise à disposition des fonds (le 5 juillet 2007).

Les cas de défaut sont définis à l'article 6 du contrat et l'article 6.1.4 prévoit le cas de « saisie » de tout ou partie significative de l'entreprise, des actifs ou des droits de l'emprunteur ainsi que leur nationalisation ou expropriation et l'article 6.1.7 envisage aussi la « survenance de tout autre événement qui, de l'avis du prêteur, serait susceptible d'avoir des effets négatifs et significatifs sur la capacité de l'emprunteur à exécuter tout ou partie de ses obligations découlant du présent contrat ou à se conformer aux stipulations du présent contrat ».

L'article 6.2 stipule qu'à la survenance d'un cas de défaut, le prêt deviendra immédiatement exigible.

Il est acquis qu'en cas de défaut de la société Hold constaté par le FCT en raison de la non fourniture d'une nouvelle couverture, la mise en jeu du nantissement des actions de Hold et du pacte commissoire qu'il contenait aurait immédiatement suivi, la mise en oeuvre de cette garantie étant prévue de plein droit à l'issue d'un délai de huit jours calendaires à compter de la date d'envoi d'une notification.

Or, il est constant que les actions de la société Hold constituaient l'unique actif de la société Dame Luxembourg.

Leur perte peut être assimilée à un cas de « saisie » ou en tous cas à un événement susceptible d'avoir des effets négatifs sur la capacité de la société Dame Luxembourg à rembourser le prêt d'actionnaire et donc à un cas de défaut permettant au prêteur d'exiger le remboursement anticipé du prêt.

Ainsi, le caractère automatique de la perte de son actif par la société Dame Luxembourg, en cas de défaillance de la société Hold à l'égard du FCT, entraînait nécessairement pour la première société citée, à la date du 3 novembre 2008, des difficultés qu'elle ne pouvait surmonter de nature à la conduire à la cessation des paiements, au regard du seul prêt d'actionnaire, et indépendamment même du point de savoir si le délaissement de ses actions Hold au profit du FCT éteignait toute dette de la société Dame Luxembourg vis à vis de ce dernier.

La faible probabilité alléguée par la société Eurotitrisation de voir l'actionnaire prêteur exiger le remboursement de son prêt à la suite de la survenance des difficultés exposées ne peut se déduire des mentions du jugement d'ouverture de la sauvegarde de la société Dame relatives à la présence à l'audience des conseils des actionnaires de la société Dame Luxembourg, ni du fait qu'ils se sont déclarés favorables à l'ouverture de la sauvegarde, et pas davantage de leur attitude ultérieure lors de l'élaboration du plan, l'accord donné par les actionnaires pour l'ouverture de la sauvegarde et leur souci de voir adopter le plan ne pouvant préjuger de l'attitude qui aurait été celle du prêteur en cas de défaut de la société Dame Luxembourg.

Dès lors, le risque pour la société Dame Luxembourg de se trouver dans un délai relativement court en état de cessation des paiements à la suite du défaut de fourniture par la société Hold du contrat de couverture de taux le 3 novembre 2008 est avéré et l'ouverture de la procédure de sauvegarde à son égard était également justifiée.

En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare irrecevable la fin de non-recevoir relative à la tierce opposition exercée par la société Eurotitrisation à l'encontre du jugement du 3 novembre 2008 ayant ouvert la sauvegarde de la société Dame Luxembourg,

Dit que le tribunal de commerce de Paris était compétent pour ouvrir une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Dame Luxembourg,

Dit que le 3 novembre 2008, les sociétés Hold et Dame Luxembourg remplissaient les conditions requises par l'article L. 620-1 du code de commerce, dans sa rédaction alors en vigueur, pour bénéficier d'une sauvegarde,

Confirme en conséquence en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 7 octobre 2009,

Y ajoutant,

Condamne la société Eurotitrisation à payer au titre des frais irrépétibles exposés en appel les sommes suivantes :

- aux sociétés Hold et Dame Luxembourg, une somme globale de 50 000 euros,

- à la SCP Thevenot Perdereau, ès qualités, une somme de 5 000 euros,

Condamne la société Eurotitrisation aux dépens et accorde aux avoués à la cause qui peuvent y prétendre, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.