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Décisions

Cass. com., 23 juin 2009, n° 07-19.542

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocat général :

M. Raysséguier

Avocats :

Me Spinosi, SCP Thomas-Raquin et Bénabent

Toulouse, 28 juin 2007

28 juin 2007

LA COUR : - Statuant, tant sur le pourvoi principal de la société Julou compagnie que sur le pourvoi incident du département du Finistère ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Bil Toki, titulaire de marques semi-figuratives "29", enregistrées afin de désigner notamment des vêtements et chaussures, a agi en contrefaçon de cette marque à l'encontre de la société Julou compagnie, pour avoir apposé ce signe sur des produits identiques ; que le département du Finistère est volontairement intervenu aux débats ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Attendu que le département du Finistère fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré valable la marque "29", alors, selon le moyen, que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment au nom d'une collectivité territoriale indépendamment de toute atteinte à l'image ou à la renommée de celle-ci ; que le numéro d'un département qui sert à l'identifier fait partie ou est assimilable à son nom ; qu'en se bornant, en l'espèce, à indiquer qu'il ne résulterait d'aucun élément de la cause que la société Bil Toki porterait atteinte au nom du Finistère en "utilisant la marque 29 sur des tee-shirts, des polos ou des chemises qui sont au surplus de qualité très convenable", sans rechercher, comme l'y invitait le département du Finistère, si en déposant le numéro 29 à titre de marque pour désigner des tee-shirts, la société Bil Toki ne lui interdisait pas d'éditer, à l'occasion d'une manifestation sportive, culturelle ou autres, des tee-shirts affichant le numéro servant à l'identifier, ce qui restreignant son droit à l'usage de son nom, y portait atteinte indépendamment de toute atteinte à son image ou à sa renommée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-4 h) du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que l'article L. 711-4 h) du code de la propriété intellectuelle n'ayant pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où résulte de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics, la cour d'appel n'avait pas à répondre à des conclusions inopérantes soutenant qu'une telle atteinte résulterait de ce seul dépôt ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deux premières branches du premier moyen du pourvoi principal et sur les deux dernières branches du premier moyen du pourvoi incident, qui sont en mêmes termes :

Attendu que la société Julou compagnie et le département du Finistère font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que sont dépourvus de caractère distinctif les signes pouvant servir à désigner une caractéristique du produit et notamment la provenance géographique ; que le dépôt de noms géographiques à titre de marque est ainsi interdit non seulement lorsqu'ils désignent des lieux qui peuvent actuellement, aux yeux des milieux intéressés, avoir un lien avec la catégorie des produits concernés, mais également lorsqu'ils sont "susceptibles d'être utilisés dans l'avenir par les entreprises intéressées en tant qu'indication de provenance de la catégorie de produits en cause" ; que l'autorité compétente doit alors apprécier s'il est raisonnable d'envisager qu'un tel nom puisse, aux yeux des milieux intéressés, désigner la provenance géographique de cette catégorie de produits ; que dans cette appréciation, le lien entre le produit concerné et le lieu géographique ne dépend pas nécessairement de la fabrication du produit dans ce lieu ; qu'en retenant en l'espèce que les marques "29" auraient un caractère distinctif parce qu'elles n'avaient pas pour objet de promouvoir des produits spécifiques du Finistère ou d'indiquer la provenance des produits, s'agissant de vêtements banals fabriqués en n'importe quel lieu géographique, sans rechercher, comme elle le devait, si, alors qu'il désigne le Finistère et qu'il peut – ainsi que le tribunal, dont elle a confirmé le jugement, le relève – servir à créer dans l'esprit du consommateur une association entre un produit commercial quelconque et l'identité culturelle de cette collectivité territoriale, il est raisonnable d'envisager que le nombre 29 apposé sur des vêtements puisse, aux yeux des consommateurs, désigner la provenance géographique de ceux-ci, indépendamment de tout lien avec leur fabrication dans ce lieu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de l'article 3 § 1 sous c) de la directive 89/104/CE du Conseil du 21 décembre 1988 dont il est la transposition ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de la société Julou compagnie, si le chiffre 29 ne constituait pas un emblème étatique du département du Finistère dont l'enregistrement à titre de marque était en tant que tel exclu par l'article 6 ter de la Convention d'union de Paris et l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de se livrer à une recherche qui ne lui était pas demandée, a justifié sa décision, en retenant, pour rejeter les conclusions prétendument délaissées, que les marques en cause n'avaient pas pour objet d'indiquer la provenance des produits ;

Et attendu, d'autre part, que, n'étant pas soutenu que le signe litigieux aurait été notifié au Bureau de l'office mondial de la propriété intellectuelle, dans les formes prévues à la Convention d'Union de Paris, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à de simples allégations ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le second moyen du pourvoi incident, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques :

Vu l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour écarter le moyen pris du caractère frauduleux du dépôt de la marque "29", l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le but frauduleux poursuivi par la société Bil Toki lors de ce dépôt est une pétition de principe qui ne s'accompagne d'aucun élément de preuve, que devant la réussite de la méthode qui a consisté à utiliser un nombre a priori banal pour l'associer à une identité culturelle, il ne peut être reproché à la société Bil Toki d'avoir cherché par avance à utiliser le protectionnisme économique permis par le code de la propriété intellectuelle pour se réserver l'accès privilégié aux marchés potentiels que sont les départements à forte identité culturelle, et que le dépôt de la marque "29", loin de présenter le caractère frauduleux qui lui est prêté, relève en fait d'une bonne gestion d'une entreprise qui préserve ses meilleures chances de croissance en assurant les conditions juridiques d'une réitération du succès initial sur d'autres segments de marché ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le droit de marque n'était pas constitué et utilisé pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine, mais se trouvait détourné de sa fonction dans le but de se réserver, par l'appropriation d'un signe identifiant un département, un accès privilégié et monopolistique à un marché local au détriment des autres opérateurs, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré le département du Finistère recevable en son intervention, l'arrêt rendu le 28 juin 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;

Condamne la société Bil Toki aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille neuf.