CA Paris, 4e ch., 12 septembre 2001
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Parfums Caron (SA)
Défendeur :
Comité interprofessionnel du vin de Champagne
FAITS ET PROCEDURE La société PARFUMS CARON est titulaire des marques dénominatives suivantes :
- BAIN DE CHAMPAGNE, déposée le 15 mai 1985, en renouvellement de dépôts antérieurs dont le plus ancien remonte au 31 août 1923, enregistrée sous le numéro 1.309.478, et renouvelée par déclaration du 10 avril 1995,
- ROYAL BAIN DE CHAMPAGNE, déposée le 25 janvier 1991, en renouvellement de précédents dépôts dont le plus ancien remonte au 25 août 1941, enregistrée sous le numéro 1.640.798, pour désigner les produits de parfumerie, savonnerie, fards, ustensiles de toilette, relevant de la classe 3. Par acte du 23 décembre 1996, le COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE (CIVIC) a assigné la société PARFUMS CARON, devant le tribunal de grande instance de PARIS, en nullité de ces marques, estimant que celles-ci constituaient une appropriation illicite de l’appellation d’origine « CHAMPAGNE ». Par jugement du 23 juin 1999, le tribunal de grande instance de PARIS, rejetant l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société PARFUMS CARON, a fait droit à la demande et :
- prononcé la nullité des deux marques susvisées, - interdit à la société PARFUMS CARON d’utiliser la dénomination CHAMPAGNE dans les trois mois de la
signification du jugement, sous peine, passé ce délai, d’une astreinte de 500 francs par infraction constatée, astreinte qu’il s’est réservé de liquider, - condamné la société PARFUMS CARON à la somme d'1 franc de dommages-intérêts,
- dit que la décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise par les soins du greffier ou de la partie la plus diligente, à l’INPI aux fins de transcription sur le registre national des marques,
- condamné la société PARFUMS CARON à payer au CIVC la somme de 15.000 francs par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
VU l’appel interjeté de cette décision, le 13 août 1999, par la société PARFUMS CARON ;
VU les conclusions du 18 mai 2001 aux termes desquelles la société PARFUMS CARON soutient que : le CIVC est irrecevable à agir à défaut de qualité et d’intérêt pour le faire, la demande en nullité de marques n’est pas fondée, aux motifs que : les dispositions des articles L 711-4 et L 711- 3 b) qui interdisent le dépôt d’une appellation d’origine à titre de marque est inapplicable en l’espèce s’agissant de dépôts effectués en 1923 et 1941 dont la validité doit être appréciée à cette date, le détournement de notoriété, qui interdit seul le dépôt de l’appellation d’origine à titre de marque pour des produits différents, n’est pas démontré, la notoriété de l’appellation d’origine en cause au jour des dépôts des marques n’est pas au surplus établie, l’action entreprise après plus de 75 ans de coexistence paisible constitue un véritable abus de droit, et demande en conséquence, à la Cour : d’infirmer la décision entreprise, de condamner le CIVC à l’indemniser de tous les frais, qu’ils soient liés à l’arrêt de la fabrication et de la commercialisation des produits marqués BAIN DE CHAMPAGNE et ROYAL CHAMPAGNE ainsi qu’à la destruction du matériel de vente, par remboursement sur présentation des factures, de le condamner à lui verser une somme de 500.000 francs à titre de dommages- intérêts pour préjudice moral, ainsi qu’une somme de 100.000 francs en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile;
VU les conclusions du 16 mai 2001 par lesquelles le CIVC COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE, réfutant point par point l’argumentation de l’appelante, tant sur la recevabilité de l’action que sur son bien fondé, poursuit la confirmation de la décision critiquée, sauf sur le montant des dommages- intérêts qui lui ont été alloués, qu’il demande à la Cour de porter à la somme de 300.000 francs, et sollicite, outre la publication de l’arrêt à intervenir, le paiement d’une somme de 50.000 francs par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
DECISION I–SUR LA RECEVABILITE DES DEMANDES DU CIVC :
Considérant que la société PARFUMS CARON soutient qu’il n’entre pas dans la mission du CIVC, telle que définie par ses statuts, d’assurer la défense de l’appellation d’origine CHAMPAGNE ;
qu’elle prétend que le CIVC, organisme de régulation des rapports entre professionnels des vins de Champagne, est irrecevable à poursuivre la défense de l’appellation, laquelle, selon elle, ressortie de la seule activité de l’INAO ;
Mais considérant que le CIVC, institué par la loi du 12 avril 1941, modifiée, par les lois du 2 juin 1944 et 7 juin 1977, doté de la personnalité morale, a reçu le droit d’ester en justice; que l’article 13 de ses statuts prévoit qu’il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des groupements de base qu’il représente;
Que les premiers juges ont pertinemment relevé que les atteintes à l’appellation d’origine contrôlée CHAMPAGNE portaient incontestablement préjudice à l’intérêt collectif des propriétaires récoltants de la CHAMPAGNE et à l’ensemble des professionnels intéressés à la fabrication et à la commercialisation du vin de CHAMPAGNE ;
Que le CIVC ayant qualité et intérêt à agir pour la défense des intérêts collectifs dont il a la charge, l’action par lui entreprise aux fins de protection de l’appellation d’origine contrôlée CHAMPAGNE est parfaitement recevable; Que la fin de non recevoir soulevée par la société PARFUMS CARON a été, à bon droit, rejetée par le tribunal ;
II – SUR LES DEMANDES DU CIVC :
Considérant que constitue une appellation d’origine contrôlée la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains;
Que le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peut être employé pour aucun produit similaire ni pour aucun autre produit ou service lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation d’origine;
Considérant que pour prétendre au mal fondé de la demande du CIVC, la société PARFUMS CARON fait valoir qu’il n’est pas démontré qu’au moment du dépôt de ses marques, l’appellation CHAMPAGNE ait été notoire, ni que l’usage « confidentiel » qu’elle en a fait ait été de nature à en détourner ou en affaiblir la notoriété;
qu’elle conteste toute volonté de s’approprier la notoriété de l’appellation d’origine CHAMPAGNE, soulignant que celle-ci ne constitue au surplus qu’un simple élément d’une marque complexe;
qu’elle oppose sa propre notoriété pour dénier tout comportement parasitaire et invoque la longue période de coexistence pour dénier tout préjudice, ajoutant que l’action entreprise à son encontre constitue un véritable abus de droit ;
Mais considérant que le statut des appellations d’origine contrôlée est d’ordre public et en interdit toute appropriation privative, quelque soit l’époque à laquelle la marque critiquée a été déposée ;
Que le CIVC justifie au surplus, par la production des études historiques de François B (Le Livre d’or du CHAMPAGNE) et d’Henry V (A history of CHAMPAGNE with note on the other sparkling wines of France) que l’appellation CHAMPAGNE jouit d’une notoriété exceptionnelle, tant en France qu’à l’étranger, depuis le XVII° siècle;
que l’appellation a été officiellement reconnue par décret du 17 décembre 1908, lequel en réserve l’usage exclusif aux vins récoltés et manipulés entièrement sur les territoires des départements de la Marne et de l’AISNE;
Qu’en reproduisant la dénomination « CHAMPAGNE » dans la marque BAIN DE CHAMPAGNE, déposée le 31 août 1923, et dans la marque ROYAL BAIN de CHAMPAGNE", déposée le 25 août 1941, la société PARFUMS CARON a manifestement entendu s’approprier l’idée de prestige et de raffinement qui s’attache à l’appellation;
que cette volonté résulte d’ailleurs des termes mêmes de la campagne de presse entreprise en 1996 au cours de laquelle la société CARON rappelle que l’eau de toilette ROYAL BAIN DE CHAMPAGNE a été créée en 1941 "pour satisfaire les caprices d’un milliardaire californien qui souhaitait remplacer ses extravagants bains au champagne..; "qu’elle se trouve au surplus confortée par l’adoption, pour cette même eau de toilette, d’un conditionnement reprenant les caractéristiques de la bouteille CHAMPAGNE, renforçant, s’il en était besoin, le pouvoir d’évocation du terme CHAMPAGNE ;
Qu’il importe peu que le terme CHAMPAGNE ne soit qu’un élément des marques complexes de la société appelante, dont il constitue au demeurant l’élément attractif; Que l’utilisation de ce terme au fort pouvoir évocateur ne peut qu’engendrer un risque de banalisation et de dilution de la notoriété de l’appellation, quelle que soit celle dont jouissent les produits CARON eux-mêmes; Que le détournement et l’affaiblissement de la dénomination CHAMPAGNE résultent suffisamment des conditions dans lesquelles les marques en cause ont été déposées et exploitées;
Que la société PARFUMS CARON ne peut tenir grief au CIVC d’avoir tardé à agir ni lui opposer valablement les 75 années de coexistence, alors qu’il est constant que l’appellation d’origine contrôlée, en raison de sa nature, n’est pas susceptible de tomber dans le domaine public ni jamais être considérée comme étant générique;
que le CIVC fait valoir à juste raison que la cession de la société CARON à un autre groupe peut laisser présager un changement de politique commerciale comme l’a suffisamment démontré la reprise d’une campagne publicitaire axée sur la marque ROYAL BAIN DE CHAMPAGNE, quand bien même celle-ci aurait rapidement été abandonnée ;
Que dans de telles conditions et par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont exactement estimé que les marques BAIN DE CHAMPAGNE et ROYAL BAIN DE CHAMPAGNE appartenant à la société PARFUMS CARON portaient atteinte à l’appellation d’origine CHAMPAGNE en détournant au profit de leur titulaire la notoriété de celle-ci et en l’affaiblissant, et les ont, à bon droit, annulées ; Que la décision entreprise doit sur ce point être confirmée ; Considérant que si le tribunal a exactement fixé le montant des dommages-intérêts à la somme symbolique d’un franc, compte tenu des circonstances de la cause telles que ci- dessus rappelées, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu’il a rejeté la mesure de publication, laquelle est de nature à réparer le préjudice réellement subi; qu’il convient d’ordonner à cette fin une telle mesure selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci-après; Considérant que la solution du litige commande le rejet des prétentions de la société PARFUMS CARON formulée au titre de l’abus de droit ainsi qu’au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Qu’il convient en revanche d’allouer au CIVC la somme de 50.000 francs pour les frais irrépétibles qu’il s’est vu contraint d’engager devant la COUR;
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté la mesure de publication, L’infirmant sur ce point et statuant à nouveau,
AUTORISE le CIVC à faire procéder à la publication du présent arrêt dans 5 journaux ou revues de son choix aux frais de la société PARFUMS CARON dans les limites d’une somme de 30.000 francs par insertion,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société PARFUMS CARON à payer au CIVC la somme de 50.000 francs pour ses frais irrépétibles en cause d’appel,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société PARFUMS CARON aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.