CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 19 février 2014, n° 12/09097
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Nouvelle Sud Automobile (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Blum, Mme Reghi
Avocats :
Me Ponte, Me Guizard, Me Ory Krasniqi
OBJET DU LITIGE
Faits et procédure :
Par acte sous seing privé en date du 14 décembre 2000, la sci [...] a donné à bail en renouvellement à la société Nouvelle Sud Automobiles dite Snsa un bâtiment à usage de garage et station-service, grand hall sur rue, bureaux et dépendances, un second bâtiment à usage de garage, composé d'un sous-sol et d'un étage avec rampe, dépendant de deux immeubles situés à [...], pour une durée de 9 ans à compter du 22 juin 1973, la destination du bail étant celle de « tous commerces », moyennant un loyer annuel de 40 000 euros ht.
Par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 2011, le loyer révisé a été fixé judiciairement à la somme de 57 374 euros au 1er juillet 2008.
Par acte d'huissier du 19 décembre 2008, la sci des [...] a donné congé à la Snsa pour le 30 juin 2009 avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer annuel de 200 000 €. Les parties ne sont pas parvenues à se mettre d'accord sur le prix du loyer du bail renouvelé ; la sci bailleresse a saisi le juge des loyers ;
Par jugement du 5 avril 2012, le juge des loyers du tribunal de grande instance de Fontainebleau a :
- dit que les locaux ne sont pas monovalents,
- fixé le loyer annuel en principal à 55 022,95 euros Hors taxes et Hors charges à compter du 1er juillet 2009,
- rejeté toutes autres demandes,
- condamné la sci des [...] aux entiers dépens.
La sci [...] a relevé appel du jugement et par ses dernières conclusions du 26 novembre 2013, demande à la Cour de :
A titre principal :
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement,
Statuant à nouveau
Constater que les locaux des [...] donnés à bail ont été construits en vue de l'utilisation spécifique d'un garage,
Constater que les locaux loués ne peuvent être affectés à une autre destination sans l'exécution de travaux importants et coûteux,
Dire et juger en conséquence que les locaux loués sont monovalents et que le loyer renouvelé sera déplafonné,
Vu la configuration et l'édification spécifique des lieux, leur superficie et leur implantation dans un secteur en plein essor et développement commercial,
Vu l'arrêt rendu le 25 février 2009 par la Cour d'appel de Paris statuant sur la valeur locative d'un garage implanté à Saint Maur,
Dire que la valeur locative des lieux correspond à la somme de 66,66 €/m2,
Arrêter en conséquence la valeur locative des lieux loués à la somme annuelle de 200 000 € ht/hc,
Subsidiairement,
Commettre un expert avec pour mission d'examiner les conditions d'un changement d'affectation en regard de leur classement et donner son avis sur la nécessité d'une dépollution du site et ses répercussions financières,
Dire que l'avance des frais d'expertise sera à la charge intégrale de la société preneuse,
Condamner la Snsa à payer à la sci [...] une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la Snsa aux entiers dépens de la procédure.
La Société Nouvelle Sud Automobiles par ses dernières conclusions du 8 novembre 2013, demande à la Cour de :
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
En conséquence,
Dire et juger que les locaux loués ne présentent pas de caractère de monovalence,
Débouter la sci [...] de sa demande d'expertise judiciaire,
Débouter la sci [...] de sa demande de fixation du loyer renouvelé à la somme de 200.000 euros,
Débouter la sci [...] de sa demande de condamnation de l'intimée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dépens,
Fixer le loyer en renouvellement à compter du 1er juillet 2009 à la somme de 55 022,95 euros ht et hors charges,
Très subsidiairement, dire que la valeur locative ne saurait excéder la somme 70 euros le m2 pondéré,
Condamner en tout état de cause la sci [...] au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens comprenant le coût intégral de l 'expertise Maigne Gaborit et admettre le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
La sci [...] soutient que la monovalence ne suppose pas le cumul de toutes les conditions, à savoir la construction de locaux en vue d'un seul type d'exploitation et l'impossibilité de changer leur destination sans engager des travaux importants, que seule la construction en vue d'une exploitation spécifique est le critère déterminant du caractère monovalent tel qu'il qui résulte de l'article L 145-36 du code de commerce, qu'en l'espèce, les locaux ont été construits par un concessionnaire automobile pour l'exercice de sa profession, que le preneur n'a pas le droit de changer la destination de lieux, qu'au surplus, le plan local d'urbanisme qui classe la [...] en zone Uab -deuxième secteur de la première zone - en continuité de la ville elle-même avec une densité moindre, interdit d'y installer un entrepôt, qu'en tout état de cause, en présence de locaux édifiés à usage de garage et station-service, il appartient à l'exploitant de justifier que le changement d'affectation ne s'accompagne pas de travaux importants et onéreux, qu'un tel changement entraînerait une dépollution à la charge de l'exploitant en présence d'un établissement classé, que les cuves et autres éléments nécessaires à l'exploitation de la station-service étaient situés dans un sous-sol de 70 m² qui est apparemment devenu inaccessible depuis l'arrêt de la station-service et l'installation d'un hall d'accueil et d'exposition, que pour autant la preuve de l'obligation de dépolluer subsiste, contrairement à ce que tente de faire admettre l'exploitant, qu'il appartient sur ce point à la cour d'ordonner une nouvelle expertise pour déterminer le coût financier de la dépollution, que s'agissant du coût de la transformation des locaux, le parking d'une superficie de 1462 m2 et son couloir d'accès couvrent la moitié de la superficie totale du garage, qu'ils ne peuvent être détruits de sorte que le seul emplacement exploitable commercialement serait donc le hall d'exposition de 209 mètres carrés, ce qui est ridicule au regard de la surface totale des locaux, que les locaux nécessiteraient enfin, en cas de changement de destination, des travaux pour permettre l'accès des lieux aux personnes handicapées et leur protection contre l'incendie, ce qui représente des travaux de gros œuvre nécessairement coûteux, s'agissant notamment de la transformation de la rampe d'accès, sans compter la configuration particulière du garage et sa contiguïté avec les immeubles voisins plus élevés qui 'semblent' rendre impossible tant la création des issues de secours que celle des autres aménagements imposés par la loi.
Or contrairement à ce que soutient la sci bailleresse, le caractère monovalent implique que les locaux ont été construits ou aménagés en vue d'une seule utilisation et qu'ils ne peuvent être affectés à une autre activité sans des travaux de transformation importants et coûteux.
Une opération de dépollution, sans qu'il y ait lieu de rechercher à ce stade à qui elle serait imputable, suppose la vérification non seulement de l'existence ou non des cuves qui étaient en place au temps ou le garage était en même temps une station-service, ce qui n'est plus le cas actuellement, mais également et surtout de l'état des sols alentour. L'expert n'a pas procédé à des recherches à cet égard, et la société bailleresse qui a produit un plan ancien du sous-sol des locaux ou figurent des cuves (dont la trace de la trappe d'accès se retrouve selon l'expert à l'arrière des locaux d'exposition) n'a pas demandé auparavant d'investigation sur ce point et n'a pas en tout cas saisi le conseiller de la mise en état d'une demande de complément d'expertise, ne serait-ce que pour vérifier d'abord l'existence des cuves et leur état ; elle ne verse aux débats aucun document complémentaire susceptible d'éclairer la cour sur le coût éventuel de la dépollution des sols de sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure d'expertise complémentaire qui ne peut être destinée à suppléer la carence d'une partie dans la preuve d'un fait qui lui incombe, s'agissant de le nécessité de la dépollution qu'elle invoque sans même qu'elle fasse la preuve de l'existence à ce jour des cuves.
L'expert a estimé qu'il n'existe pas dans les locaux l'importante rampe hélicoïdale qui caractérise nombre de garages exploités sur plusieurs niveaux, que les locaux ne comportent que deux petits plans inclinés qui rachètent la différence de niveaux entre le rez-de-chaussée des deux bâtiments ainsi qu'une rampe droite pour les véhicules qui relie le rez-de-chaussée du bâtiment sur rue au premier étage du bâtiment en retour, que la station de lavage n'est qu'un emplacement affecté sans équipement dont la suppression serait coûteuse, qu'il n'existe pas d'équipement professionnel qui ne soit pas démontable (cabine de peinture ou pont élévateur) et qu'en l'état de la configuration des locaux, il pourrait y être implantées diverses activités sans investissements onéreux.
La bailleresse n'a produit elle-même aucun élément chiffré concernant une éventuelle reconversion des locaux aux motifs qu'une telle reconversion est impossible au visa du plan local d'urbanisme qui prohibe selon elle des surfaces d'entrepôts à cet endroit ; or une transformation des locaux en supermarché ou encore en restaurant, salle de sport ou de spectacle ne peut avoir pour objet de modifier leur affectation commerciale comportant réception de la clientèle, par opposition à celle d'entrepôt ou de stockage citée à tort par l'expert, et une nouvelle affectation n'imposerait d'ailleurs pas une nouvelle destination du bail puisque celui-ci est 'tous commerces'.
La bailleresse n'opère au surplus aucune critique précise du devis présenté par la locataire pour une réaffectation des locaux hors pollution éventuelle pour un prix quoique minime de 34 400 € ht ; s'agissant enfin des contraintes liées aux normes d'accès aux handicapés ou encore de protection contre les incendies, elle ne produit pas davantage à cet égard d'élément chiffré tenant compte de l'amplitude des locaux qui permettrait de conclure que des travaux coûteux s'imposeraient en cas de changement d'affectation.
Il s'ensuit que le premier juge a à bon droit estimé que le caractère monovalent des locaux n'était pas établi.
La société bailleresse s'agissant du calcul des surfaces, critique la surface pondérée calculée par l'expert en faisant état d'un précédent arrêt de cette cour confirmant un jugement ayant retenu l'appréciation de la valeur locative au m² réel d'un garage, mais ce faisant, elle n'opère aucune démonstration d'une modification de la surface pondérée par rapport à la précédente fixation du loyer.
Il s'ensuit que en ce qu'il a dit que le loyer devait être fixé à la valeur indiciaire de 55 022,95 € ht et hors charges, par application de l'article L. 145-34 du code de commerce, le jugement sera confirmé.
La sci des [...] qui succombe en son recours supportera les dépens et paiera à la société Nouvelle Sud Automobiles une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré,
Condamne la sci [...] à payer à la société Nouvelle Sud automobiles une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.