CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 5 septembre 2012, n° 10/14720
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
CLUB MED GYM (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme BARTHOLIN
Conseillers :
Mme BLUM, Mme REGHI
Avocats :
Me INGOLD, Me BETTAN
Par acte du 8 novembre 1994, la s.c.i. [...] a donné à bail commercial à la société Sorena aux droits de laquelle est venue la société Club Med Gym, pour une durée de 9 ans à compter du 1er octobre 1994, des locaux situés [...] à destination de salles de sports, squash, toutes activités sportives, danse, kinésithérapie, massages liés à l'activité sportive, sauna, bar et restauration liée à l'activité, vente d'articles ou de services de sport y afférente, billets pour manifestations sportives, voyages à but sportif, revues ou ouvrages sportifs ainsi que studios de musique avec pianos, moyennant un loyer annuel en principal de 1.600.000 francs (243.918,42 €) hors taxes.
Par acte extrajudiciaire du 19 mars 2003, la s.c.i. [...] a donné congé à sa locataire pour le 30 septembre 2003 avec offre de renouvellement du bail moyennant un loyer annuel de 487.837 € en principal "compte tenu de la monovalence des locaux".
Le juge des loyers commerciaux, saisi sur requête conjointe des parties en vue de la fixation du prix du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2003, a, par jugement du 9 mars 2006, ordonné une mesure d'expertise.
M. Marc-Olivier Petit, l'expert désigné, a déposé son rapport en avril 2009, estimant que les locaux remplissent les caractères physiques de la monovalence au sens de l'article R 145-10 du code de commerce et que la valeur locative s'établissait à 353.000 € au 1er octobre 2003 pour un loyer plafonné à 284.011,32 €.
Par jugement rendu le 27 mai 2010, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a :
- fixé à 284.011,32 € en principal par an, à compter du 1er octobre 2003, le loyer du bail renouvelé depuis cette date, toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,
- condamné la s.a. Club Med Gym à payer à la s.c.i. [...] les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 1er octobre 2003, à compter du prononcé de la présente décision,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné chacune des parties par moitié aux dépens qui incluront le coût de l'expertise.
La s.c.i. [...] a relevé appel de cette décision le 16 juillet 2010. Par ses dernières conclusions du 16 novembre 2010, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :
- dire que le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative au double motif de la monovalence des locaux et de la modification notable des facteurs locaux de commercialité,
- fixer le loyer de renouvellement en principal sur la base annuelle de 453.000 € à compter du 1er octobre 2003 avec intérêts au taux légal sur les loyers arriérés à compter de sa date d'effet conformément aux dispositions de l'article 1155 du code civil et leur capitalisation au visa de l'article 1154 du même code, pour ceux correspondant à des loyers dus depuis plus d'un an,
- condamner la société Club Med Gym au paiement desdites sommes,
- dire que le renouvellement interviendra pour le surplus aux clauses et conditions du bail expiré,
- condamner la société Club Med Gym au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction pour ceux d'appel.
La s.a. Club Med Gym, par ses conclusions du 16 février 2011, demande à la cour de :
- débouter la s.c.i. [...] de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer le jugement,
- condamner la s.c.i. [...] à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
SUR CE,
Considérant que l'article R 145-10 du code de commerce dispose que le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considéré ; que ce texte s'applique aux locaux ayant subi des aménagements tels qu'il serait impossible de les affecter à une autre utilisation sans des travaux importants ou des transformations profondes et coûteuses ;
Qu'en l'espèce, les locaux considérés, accessibles depuis la [...] par le passage cocher puis la cour d'un immeuble d'habitation de bel aspect, n'ont pas été construits en vue d'une seule utilisation ; qu'avant le bail expiré, ils faisaient l'objet de deux baux distincts, une partie étant utilisée comme entrepôt par le groupe Hachette, l'autre comme imprimerie et entrepôt ; que l'ensemble des locaux a été aménagé par le preneur en club de sports et studios de musique, le tout pour une surface totale utile de 2.287,50 m² se répartissant sur trois niveaux (1er étage, rez-de-chaussée et sous sol), outre un bureau en mezzanine ; que pour les activités sportives, la clientèle a à sa disposition deux grandes salles de cours dites salles de fitness, une grande salle de cardio-training, deux salles de musculation et six salles de squash, les activités musicales ouvertes aux membres du club n'occupant que sept studios insonorisés de 9 m² chacun ;
Considérant que la s.c.i. [...] critique le jugement en ce qu'il a écarté le caractère monovalent des locaux, au motif, pour l'essentiel, que son propre expert et l'expert judiciaire ont retenu la monovalence et que le coût des travaux de restructuration nécessaires à une nouvelle affectation commerciale s'élèverait à 2.284.673,86 € TTC soit plus que la moitié de la valeur vénale des murs ; qu'elle ajoute que l'aménagement de ses locaux a donné lieu à trois séries de travaux lourds d'un coût total supérieur à 2.000.000 € et que du fait de ces aménagements spécifiques, les vastes locaux, constitués antérieurement de volumes simples pouvant convenir à plusieurs activités, sont devenus d'utilisation unique, non transformables sans des travaux considérables pour les rendre, non pas dans leur état d'origine, mais tout simplement polyvalents ;
Considérant que l'expert judiciaire relève en page 48 de son rapport que "les lieux loués sont pourvus d'aménagements spécifiques tel qu'une piscine qui existait à la date d'effet du bail renouvelé et six salles de squash" ; qu'il précise que pour pouvoir exercer dans les lieux loués une autre activité commerciale, la suppression des aménagements suivants doit nécessairement être envisagée :
" - la piscine,
- les six salles de squash (immenses volumes / éclairage naturel par impostes),
- les locaux annexes spécifiques et aveugles (vestiaires, douches, saunas),
- la suppression des studios de musique aux aménagements spécifiques (petites cellules aveugles intégralement isolées - traitement phonique des cloisons),
- les installations techniques liées à l'activité (traitement de l'air qui nécessite des travaux de couverture, installation de plomberie et d'électricité)" ;
Considérant que l'expert judiciaire ne dit rien du surplus des locaux ; que de fait, les grandes salles de cours et de cardio-training ainsi que les salles de musculation ne sont équipées que de matériels amovibles qu'il est aisé d'enlever pour affecter ces salles à d'autres activités telles que celles de salles d'exposition ou de conférence, show room, agence de publicité, galerie d'art etc. ; que s'agissant des aménagements indiqués comme spécifiques, la piscine de 55 m² est à présent couverte et son plancher est celui d'une des salles de musculation, les six salles de squash d'une surface de 62 m² chacune seraient susceptibles d'être, comme les salles de cours, affectées à d'autres activités sans modification de structures après l'enlèvement notamment des revêtements de fond de cours, les vestiaires et sanitaires demeurent en partie utiles pour toute activité et les saunas sont démontables, les studios de musique, dont la photographie de l'un, non pas aveugle mais éclairé par ses deux fenêtres, figure parmi les pièces annexées au rapport d'expertise, n'ont pas d'autres spécificités que celle d'être insonorisés ce qui ne saurait faire obstacle à leur utilisation dans le cadre d'autres activités ;
Considérant que si l'architecte de la s.c.i. [...] estime que "la démolition complète de tous les aménagements structurels réalisés par la société Club Med Gym" s'impose, c'est dans le cadre d'une "réutilisation logique de l'espace", posée comme une nécessité qui n'est cependant pas prouvée ; que par ailleurs la reprise de la climatisation ou des planchers afin qu'ils puissent supporter une surcharge de 1000 kg/m² qui relève d'une activité très spécifique notamment d'imprimerie, n'est pas justifiée ;
Considérant que le premier juge a exactement relevé qu'il était plus onéreux d'installer des locaux que de supprimer ces mêmes installations ; qu'il a retenu à juste titre que les travaux nécessités par de nouvelles destinations, nécessairement limitées par la superficie exceptionnelle des locaux loués qui ne peuvent s'adresser à n'importe quel preneur, ne doivent cependant pas inclure la reprise totale des lieux ; qu'il a pertinemment indiqué que seuls les aménagements spécifiques à l'activité de sport doivent en conséquence faire l'objet de l'évaluation de leur destruction et de la remise en état que cette démolition impliquera ; qu'aucune transformation profonde ne s'impose pour affecter les locaux à une autre utilisation ; qu'au vu des estimations produites de part et d'autre, le montant des seuls travaux indispensables au changement d'activité est d'un coût raisonnable ; que le motif de déplafonnement tiré d'une prétendue monovalence des locaux n'est pas fondé et sera rejeté ;
Considérant, pour le surplus, que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a écarté le moyen de déplafonnement tiré de la modification notable, alléguée, des facteurs de commercialité, étant rappelé que l'activité de club de sport et de musique considérée s'exerce dans des locaux sur cour, sans vitrine sur la [...] ;
Considérant que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant, vu l'article 700 du code de procédure civile, que la somme de 3.000 € sera allouée à la société Club Med Gym pour ses frais irrépétibles d'appel, la demande de la s.c.i. [...] à ce titre étant rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Déboute la s.c.i. [...] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à ce titre à la société Club Med Gym la somme de 3.000 € ;
Condamne la s.c.i. [...] aux dépens d'appel.