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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 26 octobre 2017, n° 17/02358

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Responsable du Service des Impôts des Particuliers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prigent

Conseillers :

Mme Vercruysse, Mme Aldigé

T. com. Douai, du 31 mars 2017

31 mars 2017

M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T., sont associés de la société en nom collectif Maretton exerçant l'activité de débit de boissons.

Par exploit du 16 février 2017, le responsable du service des impôts des particuliers (SIP) de Douai, les a tous deux assignés devant le tribunal de commerce de Douai afin que soit prononcée leur liquidation judiciaire, considérant qu'ils bénéficiaient du statut de commerçants de par leur qualité d'associés de la SNC Maretton.

Par décision en date du 7 mars 2017, le tribunal de commerce de Douai a ordonné l'ouverture d'une enquête afin de connaître la situation active et passive de M. et Mme L.-T., nommant pour y procéder M. M., juge, assisté de la SELARL P. B..

Le rapport d'enquête a été déposé au greffe le 23 mars 2017.

Suivant un jugement rendu le 31 mars 2017, le tribunal de commerce de Douai a, sur le fondement des articles L.221-1 et suivants et L.631-1 et suivants du code de commerce :

débouté le SIP de Douai de ses demandes dirigées à l'encontre de M. Tony L.-T. et de son épouse, Mme Martine P., pris en leur qualité d'associé de la société en nom collectif Maretton,

condamné le SIP de Douai aux dépens liquidés à la somme de 77,08 euros TTC.

M. le comptable public responsable du SIP de Douai a interjeté appel de ce jugement par une déclaration d'appel régularisée le 7 avril 2017.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 13 avril 2017, M. le comptable public responsable du SIP de Douai demande à la cour d'appel de :

réformer la décision rendue par le tribunal de commerce de Douai le 31 mars 2017,

déclarer recevable sa demande à l'encontre de M. et Mme L.-T. ayant le statut de commerçant de par leur qualité d'associés de la société en nom collectif Maretton, exerçant [], ayant une activité de débit de boissons,

constater que le comptable chargé du recouvrement du SIP de Douai bénéficie d'une créance certaine, liquide et exigible à l'encontre de M. et Mme L.-T.,

constater l'état de cessation des paiements,

En conséquence,

prononcer l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de M. Tony L.-T. et de Mme Martine P. épouse L.-T., subsidiairement de redressement judiciaire,

condamner solidairement M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner solidairement les défendeurs aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, il argue essentiellement :

- qu'en application de l'article L.221-1 du code de commerce, M. et Mme L.-T. bénéficient du statut de commerçants et qu'en conséquence le tribunal de commerce est compétent pour connaître de l'affaire,

- que dans son arrêt du 5 décembre 2013, la cour de cassation a affirmé que les associés d'une SNC qui ont de droit la qualité de commerçant sont réputés exercer une activité commerciale, que la procédure de surendettement des particuliers ne peut leur être offerte, qu'ainsi la cour de cassation a fait du tribunal de commerce la seule juridiction compétente pour connaître des difficultés rencontrées par les associés d'une SNC,

- que M. et Mme L.-T. n'ont pas été assignés en leur qualité d'associés de la SNC Maretton, mais en leur qualité de commerçants, qu'à ce titre comme ils sont réputés exercer une activité commerciale au sens des articles L.631-2 et L.640-2 du code de commerce, ils relèvent des procédures collectives, que le jugement doit donc être infirmé et la requête déclarée recevable,

- que la SIP a justifié de sa créance privilégiée, actualisée au 16 mars 2017 à la somme de 394 431,27 euros, que M. et Mme L.-T. n'ont nullement contesté le bien-fondé des avis d'imposition, que la créance fiscale a été authentifiée par des avis d'imposition, qu'elle est dans sa totalité certaine, liquide et immédiatement exigible,

- qu'il est établi que M. et Mme L.-T. sont en état de cessation des paiements, ne s'acquittant plus de leur dette fiscale depuis l'impôt sur le revenu 2013, n'ayant pas respecté l'échéancier qui leur avait été accordé et qui a donc été dénoncé le 9 février 2015,

- que les mises en demeure délivrées par le comptable public les 4 août 2015, 28 avril 2016 et 3 janvier 2017 sont restées sans effet, que la saisie-vente diligentée a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de carence le 16 juin 2016, que les multiples avis à tiers détenteur adressés aux banques, aux locataires et à la SNC Maretton en 2015 et 2016 se sont révélés infructueux ou n'ont pas permis de réduire significativement la dette fiscale en raison des sommes modiques appréhendées,

- que si M. et Mme L.-T. sont effectivement propriétaires de nombreux biens immobiliers, ces derniers sont lourdement hypothéqués,

- que Mme L.-T. a été assignée à l'audience du tribunal de grande instance de Douai du 02 juin 2017, en paiement dans le cadre de deux procédures, l'une de 184 185,66 euros et l'autre de 1 246 020,45 euros, que dans ces conditions la vente des biens ne permettra le cas échéant que de désintéresser les créanciers inscrits en premier rang,

- qu'aucune pièce n'a été produite quant au litige qui serait pendant devant le tribunal administratif de Lille, ou aux sommes que M. et Mme L.-T. pourraient le cas échéant en obtenir, étant précisé que ce jugement serait susceptible de recours et que le bien en question pourrait être grevé d'une hypothèque.

Par dernières conclusions signifiées le 14 juin 2017, la SELARL P. B. agissant en qualité de mandataire enquêteur de M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T., demande à la cour d'appel, sur le fondement des articles L. 631-2, L. 640-2 et R. 631-6 du code de commerce, de :

 réformer la décision rendue par le tribunal de commerce de Douai en date du 31 mars 2017,

  dire et juger M. L.-T. et Mme P. épouse L.-T., tous deux éligibles aux procédures collectives de redressement ou de liquidation judiciaire,

    constater l'état de cessation des paiements des débiteurs,

En conséquence,

    prononcer l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de M. L.-T. et de Mme P. épouse L.-T., ou subsidiairement leur redressement judiciaire avec toute conséquence de droit,

    en tout état de cause, condamner M. L.-T. et Mme P. épouse L.-T., chacun, au paiement de la somme de 1 500 euros à la SELARL P. B., sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

    condamner solidairement M. L.-T. et Mme P. épouse L.-T. aux entiers frais et dépens.

À l'appui de ses prétentions, elle fait principalement valoir :

- qu'en application des articles L. 631-2 et L. 640-2 du code de commerce, la procédure de redressement judiciaire et celle de liquidation judiciaire sont applicables à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante,

- que Mme L.-T. est associée et gérante de la SNC Maretton, qu'elle est réputée exercer une activité commerciale ce qui la rend personnellement éligible aux procédures collectives, indépendamment de la situation de la SNC Maretton qui se trouverait encore in bonis,

- que M. L.-T. est personnellement immatriculé au RCS pour l'exploitation personnelle d'une activité de location de gîtes, qu'à ce titre il est également réputé exercer une activité commerciale qui le rend personnellement éligible aux procédures collectives, indépendamment de sa qualité d'associé et de la situation de la SNC Maretton qui se trouverait encore in bonis,

- qu'il résulte du rapport d'enquête, non contredit en l'état par M. et Mme L.-T. que l'administration fiscale se prévaut d'une créance d'un montant de 397 288,72 euros à leur encontre au titre d'impôts impayés, l'échéancier accordé n'ayant pas été respecté et donc dénoncé le 9 février 2015,

- que les diverses procédures diligentées par l'administration fiscale afin de procéder au recouvrement de sa créance ont été infructueuses ou peu fructueuses, ne permettant pas de solder la dette,

- qu'à l'occasion de l'enquête, M. et Mme L.-T. ont indiqué ne pas pouvoir solder à brève échéance la somme réclamée par l'administration fiscale,

- que dans ces conditions, l'état de cessation des paiements de M. et Mme L.-T. époux sous le régime de la communauté légale et solidairement responsables de leur passif fiscal, apparaît suffisamment caractérisé pour que la cour, en application de l'article R.631-6 du code de commerce, ouvre la procédure de liquidation judiciaire ou de redressement judiciaire des intéressés avec toute conséquence de droit.

M. et Mme L.-T. n'ont pas constitué avocat au stade de l'appel.

Par avis en date du 29 août 2017, communiqué aux parties, le Ministère Public a demandé la réformation du jugement, M. et Mme L.-T. ayant la qualité de commerçants en raison de la qualité d'associée gérant de l'épouse, et l'inscription au RCS de l'époux. Par ailleurs, les époux L.-T. n'ayant communiqué en appel aucun élément sur leur situation et leurs capacités de redressement, il a sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, l'absence de perspectives de redressement n'étant pas démontrée.

En application de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

La cour d'appel renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la soumission de M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. au régime des procédures collectives

Il ressort des articles L. 620-2, L. 631-2 et L.  640-2 du code de commerce que les procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire sont applicables notamment à toute personne exerçant une activité commerciale.

Sur ce,

La cour d'appel relève en premier lieu que les époux L.-T. ont été assignés par M. le comptable public responsable du SIP de Douai à titre personnel, tout en précisant pour chancun d'eux « ayant le statut de commerçant de par sa qualité d'associé de la société en nom collectif Maretton exerçant au [] et ayant une activité de débit de boissons ». Ils n'ont donc pas été assignés en leur qualité d'associés de la dite société.

Il est constant que M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. sont effectivement associés de la société en nom collectif Maretton.

En application de l'article L. 221-1 du code de commerce, ils ont donc la qualité de commerçant.

De par cette qualité de commerçant les associés gérants d'une société en nom collectif sont réputés exercer une activité commerciale.

Par conséquent Mme Martine P. épouse L.-T. en qualité de gérante et d'exploitante de l'activité de débit de boissons exercée par la SNC Maretton, doit être considérée comme exerçant une activité commerciale.

De la même façon, M. Tony L.-T. qui est immatriculé au registre du commerce et des sociétés dans le cadre d'une activité de location de gîtes doit être considéré comme exerçant une activité commerciale.

Dans ces conditions, M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. qui exercent tous deux une activité commerciale, sont soumis personnellement au régime des procédures collectives.

La décision déférée sera donc infirmée.

Sur la demande de liquidation judiciaire

L'article L. 631-1 du code de commerce dispose que le débiteur « dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements. »

La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité du débiteur, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de deux comités de créanciers, conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30 du même code.

Et l'article L. 640-1 du même code de dispose que « Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. »

Sur ce,

M. le comptable public responsable du SIP de Douai justifie d'une créance au 16 mars 2017 d'un montant de 394 431,27 euros, composée des sommes dues par le couple au titre de l'imposition sur le revenu pour les années 2013, 2014 et 2015, et de l'impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2014 à 2016, ainsi que les majorations.

M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. ont sollicité et obtenu le 15 septembre 2014 un échéancier de paiement.

Cet échéancier, non respecté, a été dénoncé par le créancier le 09 février 2015.

Dans le but de recouvrer cette créance, M. le comptable public responsable du SIP de Douai a délivré trois mises en demeure de payer, les 04 août 2015, 28 avril 2016 et 03 janvier 2017.

L'huissier de justice par lui diligenté en vue de procéder à une saisie des biens situés dans un appartement propriété de l'époux à émis le 16 juin 2016 un procès-verbal de carence, les biens garnissant les lieux étant insaisissables.

Les avis à tiers détenteur émis par lui au cours des années 2015 et 2016 n'ont pas permis d'apurer la dette, les soldes des comptes bancaires visés étant débiteurs ou insuffisants.

Le bordereau de situation émis par M. le comptable public responsable du SIP de Douai le 16 mars 2017 fait état, pour un montant total de 457 622 euros, d'acomptes payés à hauteur de 63 190,73 euros, aucune somme n'ayant été réglée depuis la fin de l'année 2014.

Le 16 mars 2017 la SA Crédit du Nord a dénoncé à M. le comptable public responsable du SIP de Douai deux commandements de payer valant saisie immobilière d'une propriété des époux L.-T. sise à Raimbeaucourt, en vertu de deux créances de 184 185,66 euros et de 1 246 020,45 euros au titre de deux prêts impayés respectivement depuis le 15 février 2016 et le 15 juillet 2015.

M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. ont régularisé par acte authentique en date du 18 janvier 2016 la vente d'une parcelle immobilière pour le prix de 86 000 euros, soit un montant inférieur à celui de la créance de la banque, qui précède en tout état de cause celle du SIP de Douai.

Dans son rapport d'enquête Me P. estime que M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. se trouvent en état de cessation des paiements, faute d'actif disponible, et au regard du passif exigible de 450 331,27 euros.

Les pièces versées aux débats démontrent par ailleurs que les époux sont propriétaires de plusieurs biens immobiliers, dont la valeur n'est cependant pas connue, et qui sont tous grevés d'hypothèques.

Au vu de ces éléments, M. Tony L.-T. et Mme Martine P. épouse L.-T. se trouvent manifestement en état de cessation des paiements.

Il y a lieu par ailleurs de constater que leur redressement est manifestement impossible et d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à leur égard, afin de réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens en application des articles L 640-1 et suivants du code de commerce.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer la décision déférée du chef des dépens, et y ajoutant de dire que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

- Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- Constate l'état de cessation des paiements de M. Tony L.-T. et de Mme Martine P. épouse L.-T.,

- Dit que la date de cessation des paiements est fixée provisoirement à la date du présent arrêt,

- Ouvre à l'égard de M. Tony L.-T. et de Mme Martine P. épouse L.-T. , résidant [] une procédure de liquidation judiciaire qui sera régie conformément aux articles L. 640-1 et suivants du code de commerce,

- Désigne pour chacune des procédures :

- en qualité de juge-commissaire titulaire : Me T. Vincent du tribunal de commerce de Douai

- en qualité de juge-commissaire suppléant : Me P., du tribunal de commerce de Douai,

- en qualité de mandataire liquidateur : Me Jérôme T., demeurant [],

- en qualité de commissaire-priseur, la SCP T.-S.-D. ayant siège social au [], aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus aux articles L. 622-6, L. 641-1 et R. 641-14 du code de commerce.

- M. le président de la Chambre départementale des notaires du Nord avec faculté de délégation aux fins de procéder à l'évaluation du patrimoine immobilier du débiteur,

- Rappelle aux créanciers que conformément à l'article R. 622-24 du Code du Commerce il leur est imparti un délai de DEUX MOIS à compter de la publication du présent jugement au B.O.D.A.C.C. pour la déclaration de leurs créances,

- Dit que Me Jérôme T. disposera d'un délai de DIX MOIS à partir de l'expiration de ce délai pour procéder à la vérification des créances conformément aux articles L. 624-1 et R. 624-2 du Code du Commerce,

- Fixe à DEUX ANS le délai au terme duquel la clôture des procédures devra être examinée conformément aux dispositions de l'article L. 643-9 du code de commerce,

- Ordonne la régularisation, à la diligence du greffe des avis, mentions et publicités prévus aux articles R 641-6 du code de commerce,

Y ajoutant :

- Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.