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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 21 octobre 2016, n° 16/01464

ROUEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farina

Conseillers :

Mme Aublin-Michel, Mme Bertroux

TGI Rouen, du 17 mars 2016

17 mars 2016

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement en date du 17 mars 2016, le tribunal de grande instance de ROUEN a :

- déclaré irrecevable la demande de M. R.;

- laissé les dépens à sa charge.

Par déclaration au greffe du 24 mars 2016, M. R. a interjeté appel de ce jugement.

Pour un exposé exhaustif des moyens de l'appelant, il est expressément renvoyé à ses conclusions du 04 avril 2016.

M. Hervé R. demande à la cour de réformer le jugement, et au visa de l'article R. 640-2 du code de commerce, de prononcer la liquidation judiciaire de M. R

Le Ministère Public conclut, le 07 juin 2016, à l'infirmation du jugement et au prononcé du redressement judiciaire de M. R Il fait valoir, subsidiairement, sous réserve que l'appelant justifie de l'impossibilité manifeste de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, qu'il ne s'oppose pas au prononcé de la liquidation judiciaire de M. R

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 juillet 2016.

SUR CE

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal considère la demande de M. R. irrecevable en application de l'article L. 640-2 du code de commerce et les textes parallèles pour la sauvegarde et le redressement judiciaire, L. 620-2 et L. 630-2, selon lesquels « les procédures collectives sont ouvertes aux personnes ayant une activité commerciale, ou artisanale ou indépendante. La seule inscription sur un répertoire, sans exercice de l'activité professionnelle, ne peut suffire à ouvrir à la personne le bénéfice de ce régime. » Il précisait que ce nouveau jugement constituera un fait nouveau qui devrait lui permettre de revenir vers la commission de surendettement de la Banque de France qui l'a déclaré irrecevable au surendettement au visa de cette activité, devant laquelle « il n'a sûrement pas cherché à expliciter son caractère factuellement inexistant. »

Au soutien de son appel, M. R. fait valoir, pour l'essentiel, que :

- Pendant de nombreuses années, il a été le dirigeant social de plusieurs sociétés :

- la société Rouennaise de Service (TCI)

 - la SARL Déménagement Premier

- Sport Conseil International

- et sa holding Philher;

- Compte tenu de la conjoncture économique, celles-ci ont connu des difficultés et ont été mises en liquidation judiciaire essentiellement entre la fin décembre 2009 et mai 2010;

- A l'occasion de son activité, il a été contraint de consentir des cautionnements à l'égard des créanciers de ses entreprises;

- Après avoir exercé une activité salariée pendant quelques temps, puis connu une période de chômage, il s'est inscrit comme professionnel libéral en tant que conseil pour les affaires et autres conseils de gestion; la création de l'établissement est intervenue le 10 octobre 2014, et l'activité a été enregistrée au Répertoire SIRENE sous le n°435 025 069;

- Parallèlement, il a fait l'objet de poursuites de ses différents créanciers et plus particulièrement de l'ancien banquier de l'entreprise qu'il dirigeait; il a déposé un dossier de surendettement auprès du tribunal d'instance de ROUEN;

- Par jugement du 08 janvier 2016, le tribunal d'instance a estimé que la contestation formée par le service des impôts des particuliers de Rouen-Ville à son encontre rendait M. R. irrecevable au bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers; l'administration fiscale a fait valoir que sont exclues du bénéfice de cette procédure, quelle que soit la nature des dettes impayées, et ce quand bien même leur surendettement résulterait des dettes domestiques extrinsèques à l'activité professionnelle, les personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante;

- Tenant compte de cette décision, il a donc sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire devant le tribunal de grande instance, son activité libérale étant considérée comme civile; il a déposé une déclaration d'état de cessation des paiements auprès du tribunal de grande instance de ROUEN;

- Le tribunal a fait une mauvaise interprétation des textes et de la jurisprudence en considérant qu'il ne remplissait pas les conditions légales pour bénéficier de l'ouverture d'une liquidation judiciaire; la procédure peut être ouverte en raison d'une dette civile contractée par le débiteur avant qu'il ne devienne commerçant, dès lors qu'à la date de l'ouverture de la procédure collective, le débiteur avait effectivement cette dernière qualité;

- En première instance, il a justifié, par l'intermédiaire de son conseil, dans les minutes qui ont suivi l'audience, de facturations émises dans le cadre de son activité libérale pour un total de 3.625,82 € TTC; il justifie de ce qu'il proposait ses services aux entreprises depuis le début de l'année 2015; son activité était certes peu importante, mais elle existait;

- Même si son activité est marginale, elle est parfaitement suffisante pour justifier de l'ouverture d'une procédure collective, même si ses dettes sont essentiellement de nature « privée »;

- Lors du dépôt de la déclaration d'état de cessation des paiements, il a chiffré le montant de son passif à 410.000 € environ;

- Les saisies ou ATD en cours, y compris sur ses anciens comptes, justifient aussi de l'importance de son passif;

- Ses actifs sont nuls et il subsiste principalement grâce à l'aide matérielle de son fils;

- Il est aujourd'hui âgé de 60 ans et n'a plus aucun bien immobilier ou aucun bien de valeur qui lui permettent de régler ses dettes; il est bien évidemment en état de cessation des paiements et dans une situation financière telle que son redressement est impossible;

- Du fait de l'encaissement des factures à titre de professionnel libéral, il doit nécessairement payer des cotisations sociales, ce qu'il ne pourra pas faire;

- En conséquence, il est bien recevable en sa demande d'ouverture de procédure collective.

Ceci exposé

Selon l'article L. 631-1 du code de commerce, « il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en état de cessation des paiements

La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation »

L'article L. 631-2 du même code dispose que « La procédure de redressement judiciaire est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé. »

L'article L.640-1 du même code prévoit que « Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. »

L'article L. 640-2 du même code dispose que « La procédure de liquidation judiciaire est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé. »

En l'espèce, M. R. justifie de sa qualité de personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante par la production de son inscription au SIRENE depuis le 10 octobre 2014 pour une activité de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion au vu du certificat d'inscription au Répertoire des Entreprises et des Etablissements établi par l'INSEE du 24 octobre 2014.

Les textes ci-dessus rappelés n'exigent aucune condition de durée d'exercice de l'activité par la personne qui sollicite l'ouverture d'une procédure collective à son égard ; ils posent comme condition d'ouverture la justification de la qualité de personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, et l'exercice effectif de cette activité.

A cet égard, M. R. verse aux débats des factures émises au mois de février 2016 à l'égard de l'entreprise Les déménagements L’ayant fait l'objet d'un règlement, ainsi qu'au mois de mars 2016.

Figure également au dossier de la cour une pièce évoquée par le ministère public dans ses conclusions, à savoir une lettre à l'entête des Déménageurs Bretons, de la SARL L., Mas des Garrigues Campagnan adressée en date du 04 mai 2016 à M. R. qui fait état du règlement des factures du 01er février 2016 pour un montant total de 3.625,82 €, 29 février 2016 pour un montant de 3.204 €, 29 mars 2016 pour un montant de 5.612,83 € et 29 avril 2016 pour un montant de 5.168,35 €.

Le règlement de la facture du 01er février 2016 est corroboré par le relevé bancaire de M. R

Enfin, M. R. produit une lettre de la société Rdt Rhodanien de Transit dont le siège social est à MARSEILLE du 18 février 2016 qui atteste des démarches commerciales de M. R. auprès d'elle depuis le début de l'année 2015.

Ces éléments suffisent à démontrer que M. R. exerce une profession libérale de conseil pour les affaires depuis le 10 octobre 2014.

Il s'ensuit que sa demande d'ouverture d'une procédure collective est recevable.

Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé.

Au regard de l'importance du passif de M. R. d'un montant déclaré de 410.915 € tel qu'il résulte de la déclaration de son état de cessation des paiements du 10 février 2016 et du montant des avis à tiers détenteur du Trésor Public pour un montant de 23.432 €, il convient de constater l'état de cessation des paiements de M.R. au 17 mars 2016, date du jugement infirmé, étant précisé que le fait que des dettes ayant été contractées antérieurement à l'exercice de son activité libérale importe peu dès lors qu'à la date de sa déclaration d'état de cessation des paiements, M. R. avait la qualité de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion.

Le ministère public requiert à titre principal l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, M. R. ne produisant aucun avis d'imposition sur le revenu, aucun avis de taxe d'habitation permettant d'apprécier s'il est dans l'impossibilité manifeste de faire face à son passif exigible, soulignant que selon le jugement du tribunal d'instance du 08 janvier 2016, il devait conclure un CDD devant lui assurer 2.000 € par mois.

M. R. ne produit aucun document justificatif de sa situation financière et patrimoniale. Pour autant, au regard de l'importance du passif exigible de plus de 400.000 €, d'une part, de la précarité de sa situation financière en raison de la durée déterminée du contrat de travail et de la faiblesse des revenus mensuels, d'autre part face à ses dettes, le redressement de M. R. est manifestement impossible.

Il convient, dans ces conditions, de prononcer l'ouverture de la liquidation judiciaire de M. Hervé R..

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Déclare recevable la demande d'ouverture d'une procédure collective de M. R.,

Fixe la date de la cessation des paiements de M. Hervé R. au 17 mars 2016;

Prononce l'ouverture de la liquidation judiciaire de M. Hervé R.;

Ordonne le renvoi de l'affaire devant le tribunal de grande instance de ROUEN aux fins de désignation des organes de la procédure collective;

Dit qu'en application de l'article R 661-7 du code de commerce, il sera procédé ,par le greffe de la cour d'appel , à la transmission d'une copie du présent arrêt au greffe du tribunal pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues à l'article R621-8 du code de commerce .

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.