Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-85.091
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Fouquet
Avocat général :
M. Valleix
Avocat :
SCP Le Griel
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 18 novembre 2011, un créancier de l'entreprise individuelle de maîtrise d'oeuvre gérée par M. V a adressé un courrier au procureur de la République pour l'informer d'un litige l'opposant à cette entreprise.
3. L'enquête a révélé que cette entreprise avait été placée en redressement judiciaire le 13 novembre 2002, puis qu'une procédure de liquidation judiciaire avait été ouverte le 27 mars 2009.
4. Les investigations ont notamment mis en évidence que des virements avaient été effectués entre avril 2008 et mars 2009, pour un montant total de 52 300 euros par l'entreprise individuelle M. W V au profit de la société DJP, également gérée par M. V ayant pour activité l'acquisition, construction, administration, location et vente d'immeubles. Cette société dont les parts étaient réparties entre M. V et ses enfants avait obtenu en 2006 un crédit immobilier de 245 300 euros lui permettant d'acquérir un terrain et d'y faire édifier une maison d'habitation, devenue à la fois le siège social de la société DJP et la résidence principale de M. V et son épouse.
5. M. V a été condamné pour ces faits par le tribunal correctionnel du chef de banqueroute et la société DJP du chef de recel.
6. M. V, la société DJP et le procureur de la République ont formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation des articles L. 654-2-2°, L. 654-1, L. 654-3, L. 654-5 et L. 654-16 du code de commerce, 321-1, 321-3 et 321-9 du code pénal, 5 et 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 6, 8, 9-1, 388, 427, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. W V coupable de banqueroute par détournement d'actif au préjudice de son entreprise individuelle V W, d'avril 2008 à mars 2009, en transférant la somme de 52 300 euros depuis les comptes de cette entreprise vers les comptes de la SARL DJP dont il est le gérant, sans aucune justification économique ni contrepartie pour son entreprise individuelle, et a déclaré la société DJP coupable de recel de ce délit, alors :
« 1°) que le délai de prescription de l'action publique n'est reporté au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique qu'à l'égard des infractions occultes ou dissimulées ; qu'est dissimulée l'infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte, tandis qu'est occulte l'infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire ; qu'en l'espèce, pour estimer que la prescription des faits de banqueroute par détournement d'actif visée à la prévention, concernant des transferts de fonds qui auraient été opérés du mois d'avril 2008 au mois de mars 2009, à hauteur de la somme de 52 300 euros, n'a commencé à courir qu'à compter du 18 novembre 2011, la cour d'appel a relevé que c'était à cette date qu'un créancier de l'entreprise individuelle V W, laquelle avait fait l'objet d'une liquidation judiciaire prononcée le 27 mars 2009, a écrit au procureur de la République afin de dénoncer le comportement de M. W V dont le train de vie paraissait disproportionné par rapport à la situation de son entreprise et, partant, que c'était à partir de cette dénonciation que l'infraction pouvait être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'en statuant ainsi, sans indiquer en quoi les transferts de fonds litigieux auraient été dissimulés, et notamment si toute trace de ces transferts aurait été retirée par le prévenu des documents comptables portés à la connaissance de la juridiction ayant prononcé la liquidation judiciaire de l'entreprise, ni indiquer en quoi les conditions dans lesquelles ces transferts de fonds ont été opérés auraient empêché le juge de la procédure collective d'en constater l'existence au jour du prononcé de la liquidation judiciaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
2°) que le délai de prescription de l'action publique n'est reporté au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique qu'à l'égard des infractions occultes ou dissimulées ; qu'est dissimulée l'infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte, tandis qu'est occulte l'infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire ; qu'en l'espèce, pour estimer que la prescription des faits de banqueroute par détournement d'actif visée à la prévention, concernant des transferts de fonds qui auraient été opérés du mois d'avril 2008 au mois de mars 2009, à hauteur de la somme de 52 300 euros, n'a commencé à courir qu'à compter du 18 novembre 2011, la cour d'appel a relevé que c'était à cette date qu'un créancier de l'entreprise individuelle V W, qui avait fait l'objet d'une liquidation judiciaire prononcée le 27 mars 2009, avait écrit au procureur de la République afin de dénoncer le comportement de M. V dont le train de vie paraissait disproportionné par rapport à la situation de son entreprise et, partant, que c'était à partir de cette dénonciation que l'infraction pouvait être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'en statuant ainsi, sans indiquer en quoi le fait, dénoncé par un créancier, que M. V ait eu un train de vie en apparence disproportionné par rapport à la situation de son entreprise était de nature à révéler l'existence des transferts de fonds litigieux, qui fondent les poursuites du chef de banqueroute par détournement d'actif ou, à tout le moins, sont de nature à démontrer que ceux-ci avaient été dissimulés par le prévenu ou opérés dans des conditions occultes, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 654-2 et L.654-16 du code de commerce et 8 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 :
10. Selon le premier de ces textes, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, constitue notamment le délit de banqueroute le fait d'avoir détourné tout ou partie de l'actif du débiteur. Dans cette hypothèse, au regard de ses éléments constitutifs, ce délit ne constitue pas une infraction occulte par nature.
11. Aux termes du deuxième de ces textes, en matière de banqueroute, la prescription de l'action publique ne court que du jour du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire lorsque les faits incriminés sont apparus avant cette date.
12. Le report du point de départ de la prescription est justifié par le fait que l'exercice de poursuites du chef de banqueroute est subordonné à l'ouverture d'une procédure collective.
13. Il en résulte que lorsque les faits sont apparus entre le jour du jugement ouvrant une procédure de redressement judiciaire et le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, il n'y a pas lieu de repousser le point de départ du délai de prescription à la date de cette seconde décision.
14. Il se déduit de ce qui précède que lorsque le détournement constitutif du délit de banqueroute a été réalisé postérieurement au jugement ouvrant une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le délai de prescription court, en application du dernier des textes susvisés, à compter de la date de commission des faits, sauf s'il est établi que l'infraction a été délibérément dissimulée.
15. En l'espèce, pour écarter l'exception de prescription soulevée par le prévenu, poursuivi pour des faits qualifiés de banqueroute, commis entre avril 2008 et mars 2009, l'arrêt attaqué relève que l'entreprise individuelle V a été placée en redressement judiciaire le 13 novembre 2002, puis que la liquidation judiciaire a été prononcée le 27 mars 2009.
16. Les juges retiennent que le délai de prescription de l'action publique a commencé à courir le 18 novembre 2011, jour de la dénonciation des faits au procureur de la République effectuée par l'un des créanciers de l'entreprise, date à partir de laquelle le ministère public a fait diligenter une enquête.
17. La cour d'appel en conclut que la période de prévention antérieure à cette date ne pouvait être atteinte par les délais de la prescription et que les différents actes d'enquête accomplis à compter de cette date ayant interrompu la prescription jusqu'à la citation renvoyant les prévenus devant le tribunal correctionnel, la prescription n'a donc jamais été acquise.
18. En statuant ainsi, sans mieux caractériser l'existence d'une dissimulation de nature à retarder le point de départ de la prescription, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 7 mars 2019, mais en ses seules dispositions ayant rejeté l'exception de prescription soulevée et ayant déclaré M. V coupable des faits de banqueroute par détournement d'une somme totale de 52 300 euros, commis entre avril 2008 et mars 2009 au préjudice de l'entreprise individuelle V et relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.