Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-86.676
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moulard
Rapporteur :
Mme Zerbib
Avocat général :
M. Petitprez
Avocat :
SCP Lyon-Caen et Thiriez
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Il est apparu à la suite d'un contrôle d'exploitations viticoles de la zone d'appellation contrôlée "Champagne", dans lesquelles M. W était associé, que celles-ci étaient susceptibles d'avoir souscrit de fausses déclarations de récolte ayant vendu, de 2007 à 2010, en appellation d'origine contrôlée Champagne, une quantité de 127 282 kilos de raisins ne pouvant y prétendre pour une contre-valeur estimée à 633 266 euros.
3. La direction des douanes de Châlon-en-Champagne a alors mis en mouvement l'action fiscale.
4. Les investigations entreprises ont établi par ailleurs que des dettes personnelles de M. C, avocat, ou sans lien avec son activité professionnelle étaient réglées à partir du compte de la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de la Meuse dont il était le trésorier, que ce compte avait été alimenté en 2011 par une somme de plus de 220 000 euros en provenance d'une société grossiste en boissons et qu'il était mouvementé par des fonds des exploitations viticoles précitées et d'une société Kreuz en lien avec M. W.
5. Il est aussi ressorti des investigations menées d'autres faits qualifiables de banqueroute au préjudice de la société Coteaux Viticoles, propriétaire d'une vigne, liée à la société civile d'exploitations viticoles La Grande Charme impliquant M. W et sa compagne, Mme T U, gérante de droit de cette entité en charge de la mise en valeur de la vigne propriété de la société Coteaux Viticoles et qui, encaissant les revenus retirés sur ses comptes personnels ou ceux de La Grande Charme qu'elle gérait, n'a acquitté en 2006 aucun loyer auprès du bailleur.
6. Un bail a été conclu le 25 janvier 2008 entre la société La Grande Charme et la SAFER 71 par M. W et par une personne se présentant comme Mme T U, gérante de la société La Grande Charme mais dont l'identité pourrait avoir été usurpée.
7. Une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée sur réquisitoire introductif du procureur de la République des chefs de tromperie sur l'origine et les qualités substantielles de marchandises, usurpation d'appellation d'origine, fabrication de vin mousseux autre que Champagne dans la zone Champagne viticole délimitée, faux en écritures privées et usage, faux en documents administratifs et usage, abus des biens de la société Kreuz, abus de confiance au préjudice des associés des sociétés Domaine des Prieurés et Bouché père et filles, banqueroute par détournement des actifs des sociétés C2EP et Coteaux Viticoles, blanchiment de banqueroute, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance à titre habituel, blanchiment facilité par une activité professionnelle.
8. Mme U a été mise en examen des chefs notamment de tromperie sur l'origine et les qualités substantielles de marchandises, usurpation d'appellation d'origine, fabrication de vin mousseux autre que Champagne dans la zone viticole délimitée, faux en écritures privées et usage, faux en documents administratifs et usage, abus des biens de la société Kreuz, abus de confiance auprès des associés des sociétés Domaine des Prieurés et Bouché père et filles.
9. M. C a été mis en examen le 10 avril 2012 des chefs de blanchiment de banqueroute, abus de biens sociaux et abus de confiance à titre habituel et de blanchiment facilité par une activité professionnelle, pour des faits commis courant 2006 à mars 2011.
10. Par télécopie du 8 août 2016 adressée au juge d'instruction, M. K Y s'est constitué partie civile au nom de la société [] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société civile d'exploitation viticole La Grande Charme.
11. Le juge d'instruction a déclaré irrecevable cette constitution de partie civile au motif que, si au regard de la nature des infractions en cause, le liquidateur de la société La Grande Charme est fondé à se constituer partie civile pour défendre les intérêts des créanciers de cette société, il ne justifie pas de sa désignation en tant que tel.
12. La société [] a interjeté appel de cette décision.
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société [] prétendant agir en qualité de liquidateur de la société La Grande Charme alors :
« 1°) qu'en vertu de l'article L. 812-2 III du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits, lorsque le tribunal nomme une personne morale, il désigne en son sein une ou plusieurs personnes physiques pour la représenter dans l'accomplissement du mandat qui lui est confié ; que, dans l'information ouverte notamment pour tromperie sur les qualités substantielles de marchandises, usurpation d'appellation d'origine, et blanchiment, la société [] , se présentant comme le liquidateur judiciaire de la société La Grande Charme, s'est constituée partie civile ; que, par ordonnance du 26 avril 2017, le magistrat instructeur a dit cette constitution de partie civile irrecevable, faute pour la société [] de produire la décision l'ayant désignée en qualité de liquidateur de la société La Grande Charme ; que, sur appel, la chambre de l'instruction a, après avoir relevé qu'était produit le jugement désignant M. V, de la société, liquidateur judiciaire de la société La Grande Charme, dit que la constitution de partie civile de la société [] n'était pas irrecevable, infirmé l'ordonnance entreprise et renvoyé le dossier au magistrat instructeur ; que, dès lors qu'elle a constaté qu'était produit le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Quentin désignant M. V, de la société [] , liquidateur de la société La Grande Charme et que la constitution de partie civile avait été faite au nom de ladite société [] , la chambre de l'instruction qui a déclaré la constitution de partie civile de celle-ci recevable, quand elle devait relever l'absence de mandat donné par M. V, seul habilité à prendre les décisions concernant la société La Grande Charme, a violé des articles L. 812-2 du code de commerce et 2 du code de procédure pénale ;
2°) que, par l'effet dévolutif de l'appel, les juges saisis d'une ordonnance déclarant une constitution de partie civile irrecevable, doivent se prononcer sur la recevabilité même de cette constitution, et ne peuvent se contenter de l'infirmer ; que la chambre de l'instruction qui s'est contentée de constater la qualité à agir du liquidateur de la société La Grande Charme, sans avoir recherché si cette dernière pouvait prétendre avoir subi un préjudice personnel et direct résultant des faits visés dans le réquisitoire introductif et le réquisitoire supplétif, n'a pas justifié sa décision, au regard des articles 2 et 87 du code de procédure pénale ;
3°) qu'en tout état de cause, qu'en se bornant à relever que la société La Grande Charme a exploité les vignes d'une autre société, dont les revenus ont été versés sur les comptes de Mme U, sa gérante, et sur son compte et qu'elle a passé un contrat avec la SAFER de Saône-et-Loire, dont il est incertain que sa gérante l'ait signée, ce qui n'établit pas qu'il soit possible que la société La Grande Charme ait subi un préjudice personnel résultant directement des faits dont le magistrat instructeur est saisi, sans se prononcer sur le possible préjudice résultant des faits qualifiés visés dans l'information, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 87 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. La cour est en mesure de s'assurer que, par jugement du 15 septembre 2011, la société La Grande Charme a été placée en redressement judiciaire, M. V, de la société [], mandataire judiciaire, dont le siège social est situé [] , ayant été nommé en qualité de représentant des créanciers et que, par jugement du 1er décembre 2011, a été ordonnée la liquidation judiciaire de cette société, M. V de ladite société ayant été maintenu en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de la société La Grande Charme.
15. Il ressort de ce qui précède que la société [] a bien été désignée, en tant que personne morale, par le tribunal de grande instance comme mandataire judiciaire à la liquidation de cette société et que M. V, associé au sein de la société [] , a été nommé pour suivre la procédure collective et représenter la société dans l'accomplissement du mandat qui lui a été confié, ce mandat étant exercé par la société elle-même conformément aux dispositions des articles L. 812-2 III du code de commerce dans sa version applicable à l'époque des faits et R. 814-83 du même code, l'associé désigné de la société de mandataires ne conduisant la mission qu'au nom de celle-ci.
16. En conséquence, et dès lors que la désignation nominative de l'associé en charge du suivi de la procédure collective est sans incidence sur l'existence du mandat confié à la personne morale dont il fait partie, la chambre de l'instruction, qui n'avait pas à rechercher l'existence d'un préjudice personnel et direct subi par la partie civile, l'article L. 654-17 du code de commerce donnant pouvoir au liquidateur de se constituer partie civile en cas de poursuites pour banqueroute sans avoir à justifier d'un préjudice, a justifié sa décision.
17. Ainsi le moyen n'est pas fondé.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.