Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 26 avril 2012, n° 10/04825

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Banque Cantonale de Genève (SA)

Défendeur :

Société 2R (SCI), Madonna (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rolin

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Pages

Avoués :

SCP Grimaud, Me Ramillon

Avocats :

Me Grafmeyer, Me Alleaume

TGI Valence, du 3 nov. 2010

3 novembre 2010

La SCI 2R, dont l'objet social est l'acquisition et la gestion d'immeubles, est propriétaire d'une maison d'habitation située à Romans sur Isère (Drôme) qui constitue la résidence principale de son gérant, M. John R. , et qui est donnée pour partie en location à une SARL «'PROFIL'» dont ce dernier est également le dirigeant de droit.

Elle a obtenu l'ouverture d'une procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de grande instance de Valence en date du 5 mai 2010 en raison de difficultés financières consécutives à des impayés de loyers ayant entraîné des retards dans le remboursement du prêt hypothécaire de 360 000 € octroyé le 10 décembre 2008 par la banque cantonale de Genève en vue de la restructuration d'un prêt antérieur consenti par la banque Rhône Alpes.

Au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde les échéances du prêt hypothécaire étaient impayées depuis le mois d'avril 2009 et la déchéance du terme prononcée depuis le 9 juin 2009.

La banque avait également délivré à la SCI le 18 février 2010 un commandement aux fins de saisie immobilière pour recouvrement d'une somme de 355 093,08 €.

La période d'observation initiale de six mois a été renouvelée à deux reprises par jugements des 25 août 2010 et 20 octobre 2010.

Le 3 juin 2010 la banque cantonale de Genève a formé tierce opposition au jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, qui aurait été obtenu, selon elle, par fraude en présence d'un état de cessation des paiements déjà caractérisé.

Par jugement du 3 novembre 2010 le tribunal de grande instance de Valence a déclaré la tierce opposition recevable, a réformé le jugement du 5 mai 2010 et a converti la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire après avoir fixé la date de cessation des paiements au 18 février 2010, date de la délivrance du commandement aux fins de saisie immobilière.

La SA banque cantonale de Genève a relevé appel de ce jugement selon déclaration reçue le 12 novembre 2010.

Au cours de la procédure d'appel le tribunal de grande instance de Valence, par un nouveau jugement du 20 juillet 2011, a arrêté le plan de redressement de la SCI 2R par voie de continuation en prévoyant notamment le paiement de 100 % du passif privilégié et chirographaire sur une durée de 10 ans.

Par arrêt du 1er septembre 2011 la présente cour a ordonné la communication de la procédure d'appel au ministère public.

Vu les conclusions signifiées et déposées le 8 novembre 2011 par la banque cantonale de Genève qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré sa tierce opposition recevable et bien fondée, mais qui, par voie d'appel incident, demande à la cour de dire n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure collective au profit de la SCI 2R, de condamner cette dernière à lui payer une indemnité de procédure de 2000 €, subsidiairement de constater l'existence d'un état de cessation des paiements antérieur à la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de constater l'absence de toute possibilité de redressement et en conséquence d'ordonner la liquidation judiciaire de la SCI ainsi que l'annulation de toute décision postérieure au 3 novembre 2010 et de fixer dans ce cas au passif sa créance de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux motifs :

• que sa tierce opposition est recevable alors qu'elle a été formée antérieurement à la publication du jugement d'ouverture au BODACC et que tout créancier a intérêt à contester l'ouverture de la procédure de sauvegarde de son débiteur, • que la SCI 2R n'est pas éligible à la procédure de sauvegarde alors qu'elle ne constitue pas une entreprise au sens de l'article L. 620 1 du code de commerce et qu’elle n’a aucune activité économique puisqu'elle se borne à gérer le bien immobilier de la famille R. (encaissement des loyers et remboursement du prêt), laquelle y a établi sa résidence principale,

• que la demande de procédure de sauvegarde était manifestement destinée à faire échec à la procédure de saisie immobilière,

• qu'en toute hypothèse il apparaît nécessaire de prononcer la liquidation judiciaire de la SCI, dont l'état de cessation des paiements est antérieur à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, et qui n'est manifestement pas en mesure d'apurer son passif sur une durée de 10 ans comme ne disposant pas d'une capacité d'autofinancement annuelle de 32 040 € après la liquidation judiciaire de la société « PROFIL » qui occupait à titre onéreux une partie des lieux.

Vu les conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 7 décembre 2011 par la SCI 2R qui demande à la cour de déclarer la banque cantonale de Genève irrecevable en son action, subsidiairement de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société appelante à lui payer une indemnité de procédure de 3000 € aux motifs :

• que la procédure de sauvegarde est applicable à toute personne morale de droit privé, qu'elle ait ou non une activité économique, et n'est nullement réservée aux sociétés civiles immobilières les plus importantes,

• qu'elle justifiait pour le moins de difficultés économiques sérieuses puisque la déchéance du terme avait été prononcée par l'établissement prêteur,

• que la première échéance du plan de continuation a été régulièrement honorée,

• que le jugement ayant arrêté le plan de redressement est aujourd'hui définitif comme n'ayant pas été frappé de recours, ce qui rend irrecevable la tierce opposition formée par la banque.

Vu les conclusions signifiées et déposées le 5 octobre 2011 par Me MADONNA , ès qualités de mandataire judiciaire de la SCI 2R, qui, sans contester la préexistence de l'état de cessation des paiements, demande à la cour de constater que le jugement du tribunal de grande instance de Valence en date du 20 juillet 2011 a définitivement homologué un plan de redressement par voie de continuation.

Vu les conclusions déposées le 14 septembre 2011 par M. le Procureur Général qui demande à la cour de déclarer recevable et bien fondée la tierce opposition, de constater l'état de cessation des paiements et de prononcer la conversion de la procédure de sauvegarde en procédure de redressement ou de liquidation judiciaire aux motifs :

• que la tierce opposition est ouverte à tout créancier qui invoque des moyens propres ou une fraude à ses droits,

• que la tierce opposition a été formée dans le délai de 10 jours prévu à l'article R. 661 2 du code de commerce,

• qu'en présence d'un état de cessation des paiements antérieur, notamment caractérisé par la délivrance d'un commandement aux fins de saisie immobilière, la demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde constitue une fraude aux droits du créancier,

• que la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire n'a pas été prononcée dans le respect de la procédure prévue par l'article R. 621 26 du code de commerce,

• qu'en cas d'annulation du jugement déféré il appartiendrait à la cour d'ouvrir le redressement ou la liquidation judiciaire en application de l'article R. 631 6 du code de commerce.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de la tierce opposition

Selon l'article L. 661 2 du code de commerce les décisions mentionnées aux 1° 2° 3° et 5° du I de l'article L. 661 1 sont susceptibles de tierce opposition, tandis que les jugements statuant sur cette voie de recours sont susceptibles d'appel et de pourvoi en cassation de la part du tiers opposant.

La tierce opposition est donc expressément ouverte à l'encontre de la décision statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde ( 1° de l'article L. 661 1 I ).

Le recours exercé par la banque cantonale de Genève le 3 juin 2010, soit antérieurement à la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde qui a fait courir le délai de 10 jours prévu à l'article R. 661 2 du code de commerce, n’est en outre pas tardif.

La banque justifie par ailleurs d'un intérêt à agir au sens de l'article 583 du code de procédure civile, alors qu'elle prétend que la demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde a été déposée en fraude de ses droits à seule fin de faire échec à la procédure de saisie immobilière qui avait été mise en oeuvre.

Le caractère définitif du jugement du 20 juillet 2011 non frappé d'appel ou de tierce opposition, qui a arrêté le plan de redressement de l'entreprise, ne saurait enfin faire obstacle à la tierce opposition au jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde.

La conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire prononcée au cours de la période d'observation dans le cadre de l'article L. 621 12 du code de commerce n a pas ouvert en effet une nouvelle procédure, en sorte que l'arrêté du plan de redressement n'affecte en rien la recevabilité du recours exercé antérieurement à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure collective unique de la SCI débitrice'; étant observé que l'infirmation ou l'annulation éventuelle du jugement de conversion produirait également son effet sur la décision subséquente du 20 juillet 2011.

La tierce opposition au jugement du 5 mai 2010 a par conséquent justement été déclarée recevable.

Sur le bienfondé de la tierce opposition

1.l'ouverture de la procédure de sauvegarde

Aux termes de l'article L. 620-2 du code de commerce « la procédure de sauvegarde est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé ».

Contrairement à l'affirmation de la banque cantonale de Genève la SCI 2R, qui est une personne morale de droit privé, exerce une activité économique, puisqu'elle tire des revenus de l'immeuble dont elle est propriétaire, peu important que le bien soit aujourd'hui exclusivement occupé par ses associés et dirigeants.

L'objectif poursuivi par la procédure de sauvegarde était ainsi susceptible d'être atteint dès lors que tout plan d'apurement du passif bancaire aurait été de nature à permettre la poursuite de cette activité économique.

Sauf à ajouter à la loi, qui vise sans distinction toute personne morale de droit privé quelle que soit son importance, la SCI 2R, bien que familiale, était par conséquent éligible à la procédure de sauvegarde.

Il est toutefois admis par tous, y compris par la SCI 2R qui conclut sur le fond à la confirmation de la décision entreprise, que l'état de cessation des paiements, notamment caractérisé par la délivrance dès le 18 février 2010 d'un commandement de payer aux fins de saisie immobilière après déchéance du terme prononcée le 9 juin 2009 consécutivement au non-paiement de deux échéances de remboursement du prêt, préexistait à la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde déposée le 28 avril 2010.

Le jugement déféré mérite par conséquent confirmation en ce qu'il a rétracté, sur la tierce opposition du principal créancier, le jugement du 5 mai 2010 qui avait ouvert la procédure de sauvegarde de la SCI 2R, alors que conformément aux dispositions de l'article L. 620 1 du code de commerce cette  procédure n'est ouverte qu'au débiteur, qui connaît certes des difficultés sérieuses, mais qui n'est pas en état de cessation des paiements.

2.La conversion de la procédure

Aux termes de l'article L.621-12 du code de commerce «' s'il apparaît, après l'ouverture de la procédure, que le débiteur était déjà en cessation des paiements au moment du prononcé du jugement, le tribunal le constate et fixe la date de la cessation des paiements dans les conditions prévues à l'article L. 631-8. Il convertit la procédure de sauvegarde en une procédure de redressement judiciaire. Si nécessaire, il peut modifier la durée de la période d'observation restant à courir. Aux fins de réaliser la prisée des actifs du débiteur au vu de l'inventaire établi pendant la procédure de sauvegarde, il désigne, en considération de leurs attributions respectives telles qu'elles résultent des dispositions qui leur sont applicables, un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice, un notaire ou un courtier en marchandises assermenté.

Le tribunal est saisi par l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le ministère public. Il peut également se saisir d'office. Il se prononce après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur ».

Selon l'article R. 621 26 du même code « pour l’application de l’article L. 621-12, le tribunal est saisi par voie de requête ou, le cas échéant, dans les formes et selon la procédure prévue à l'article R. 631-3 ou R. 631-4.

Il statue après avoir entendu ou dûment appelé le mandataire judiciaire, l'administrateur lorsqu'il en a été désigné, les contrôleurs et les représentants du comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, et après avoir recueilli l'avis du ministère public.

Le jugement par lequel le tribunal convertit la procédure de sauvegarde en une procédure de redressement judiciaire est signifié à la diligence du greffier dans les huit jours de son prononcé aux personnes qui ont qualité pour interjeter appel, à l'exception du ministère public.

Il est communiqué aux personnes citées à l'article R. 621-7 et fait l'objet des publicités prévues à l'article R. 621-8 ».

Force est de constater que sans être saisi à cette fin par le mandataire judiciaire ou le ministère public le tribunal, dans le cadre de l'instance ouverte par la tierce opposition du principal créancier, a converti d'office la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire sur le fondement de l'article L. 621 12 du code de commerce, mais sans mettre en uvre la procédure spécifique de saisine d'office instituée par l'article R. 631 3 du code de commerce, qui lui faisait obligation de faire convoquer le débiteur par acte d'huissier de justice auquel devait être jointe une note exposant les faits de nature à motiver la saisine.

Comme le soutient à juste titre le ministère public, le jugement déféré est par conséquent frappé de nullité en ce qu'il a converti d'office la procédure en redressement judiciaire sans que le tribunal ait été régulièrement saisi d'une telle demande, et sans même que cette question ait fait l'objet devant lui d'un débat contradictoire.

Le tribunal n'ayant pas été régulièrement saisi, l'appel est privé sur ce point de son effet dévolutif, en sorte qu'il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; étant observé que l'article R. 631 6 du code de commerce, qui est propre à la procédure de redressement judiciaire, n'est pas applicable lorsque que comme en l'espèce l'annulation porte sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société appelante.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu son précédent arrêt du 1er septembre 2011,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable et bien fondée la tierce opposition formée par la SA banque cantonale de Genève et rétracté le jugement du 5 mai 2010 ayant ouvert la procédure de sauvegarde de la SCI 2R,

Annule toutefois le jugement déféré en ce qu'il a converti la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire,

Dit n'y avoir lieu à ouverture d'une procédure collective à défaut pour l'appel d'avoir produit sur ce point son effet dévolutif,

Dit et juge que l'annulation du jugement de conversion de la procédure produira son effet sur toutes les décisions subséquentes, dont notamment le jugement du 20 juillet 2011 ayant arrêté le plan de redressement par la continuation de la SCI 2R,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties,

Condamne la SCI 2R aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avocats GRIMAUD.