Cass. com., 3 février 2015, n° 13-18.025
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Compagnie des bateaux mouches (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
M. Mollard
Avocat :
SCP Hémery et Thomas-Raquin
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et sa compagne, belle-fille du dirigeant de la société Compagnie des bateaux mouches (la société), laquelle a une activité de tourisme fluvial sur la Seine, ont exploité, de 1985 jusqu'au 31 octobre 1993, dans l'enceinte de la société et en accord avec celle-ci, une activité de vente de films, photographies, cartes postales, guides touristiques, bibelots, souvenirs, tee-shirts et produits de bouche ; que M. X..., qui était propriétaire de la marque semi-figurative « bateaux mouches Paris Pont de l'Alma » n° 93 464 872 déposée le 20 avril 1993 et non renouvelée à son échéance le 20 avril 2003, est titulaire de la marque semi-figurative « bateaux mouches Paris Pont de l'Alma », identique à la marque antérieure, déposée le 28 avril 2003 et enregistrée sous le n° 03 3 222 806 pour désigner notamment les appareils de vision de diapositives, porte-clés, broche, montre, photographies, cartes postales, dépliants, parapluie, porte-monnaie, sac à main en classes 9, 14, 18, 21, 25, 26, 28, 30 et 34 et de la marque verbale « bateaux mouches », déposée le 24 septembre 2003 et enregistrée sous le n° 03 3 247 340 pour désigner les mêmes produits ; que la société a, par acte du 14 avril 2005, assigné M. X... en nullité de ces marques pour atteinte à ses droits antérieurs sur sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne et, par acte du 17 juillet 2007, en revendication pour dépôt frauduleux ; que les deux procédures ont été jointes ;
Sur le premier moyen, pris en sa septième branche, qui est préalable :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en revendication des marques « bateaux mouches Paris Pont de l'Alma » n° 03 3 222 806 et « bateaux mouches » n° 03 3 247 340 de M. X... alors, selon le moyen, qu'une cour d'appel qui décide que la demande dont elle est saisie est irrecevable excède ses pouvoirs en la rejetant au fond ; qu'en confirmant le jugement de première instance qui avait débouté la société Compagnie des bateaux mouches de son action en revendication de marques, après avoir retenu que cette action était irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 122 du code de procédure civile ;
Mais attendu que les premiers juges, comme ceux d'appel, ayant, dans les motifs de leur décision, jugé irrecevable comme prescrite la demande en revendication des marques litigieuses sans l'examiner au fond, le moyen, qui relève une simple impropriété des termes du dispositif sans caractériser un excès de pouvoir, est inopérant ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité des marques « bateaux mouches Paris pont de l'Alma » n° 03 3 222 806 et « bateaux mouches » n° 03 3 247 340 de M. X... alors, selon le moyen :
1°) que le caractère distinctif peut s'acquérir par l'usage ; qu'en relevant, par motif adopté, que la société Compagnie des bateaux mouches ne pourrait se prévaloir de la notoriété de la dénomination « bateaux mouches », dans la mesure où celle-ci serait le nom générique d'une activité de bateaux d'agréments sur la Seine, et en refusant ainsi, par principe, de rechercher si la société Compagnie des bateaux mouches et ses activités sous cette dénomination n'avaient pas acquis une certaine notoriété, et partant, un caractère distinctif par l'usage, la cour d'appel a violé l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;
2°) qu'en se bornant à relever que l'expression « bateaux mouches » serait générique pour désigner une activité de transport fluvial d'agrément et qu'il n'existerait aucune similitude entre les activités exercées par cette société et les produits couverts par les marques litigieuses, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu de l'exploitation que la société Compagnie des bateaux mouches a fait de ce signe et des investissements qu'elle a effectués pour le promouvoir, cette dénomination ne pouvait être perçue par le public comme désignant les activités de la société Compagnie des bateaux mouches, et si, en conséquence, le public n'était pas amené à croire que les produits vendus sous la marque précitée ont la même origine commerciale que les services proposés par la société Compagnie des bateaux mouches ou, à tout le moins, à faire un lien avec cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;
3°) qu'en retenant que la marque « bateaux mouches Paris pont de l'Alma » n° 03 3 222 806 ne porterait pas atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et à l'enseigne de la société Compagnie des bateaux mouches, sans s'expliquer, comme elle y était pourtant invitée, sur le fait que cette marque faisait référence au pont de l'Alma, lieu d'installation de la société Compagnie des bateaux mouches, et sans rechercher si, en conséquence, le public n'était pas amené à croire que les produits vendus sous la marque précitée ont la même origine commerciale que les services proposés par la société Compagnie des bateaux mouches ou, à tout le moins, à faire un lien avec cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ;
4°) que dans ses conclusions d'appel, la société Compagnie des bateaux mouches faisait valoir que la marque n° 03 3 222 806 avait été déposée dans le seul but de faire échapper la marque identique n° 93 464 872, déposée le 20 avril 1993, à une déchéance certaine et qu'elle devait, en conséquence, être annulée sur le fondement du principe fraus omnia corrumpit ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'expression « bateaux mouches » pour désigner une activité de transport de voyageurs sur la Seine a été couramment utilisée depuis le milieu du XIXe siècle et a connu un succès tel qu'elle a pris un caractère quasi générique pour désigner une activité de même nature sur d'autres cours d'eau, en France et à l'étranger ; qu'il retient que le public concerné, à savoir celui des touristes visitant Paris et désireux de contempler ses monuments au fil d'une croisière sur la Seine, guidé dans ce désir par des ouvrages spécialisés, ne sera pas conduit à réserver exclusivement cette expression à l'entreprise qui l'a introduite dans sa dénomination sociale et se l'est appropriée comme enseigne ; qu'en l'état de ces appréciations, faisant ressortir que la dénomination de la société n'avait pas acquis par l'usage un caractère distinctif ni une certaine notoriété, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire d'autre recherche, a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé qu'il n'existait aucune zone de recouvrement entre l'activité exercée par la société sous la dénomination sociale, le nom commercial et l'enseigne Compagnie des bateaux mouches et les produits désignés à l'enregistrement des marques en cause, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de répondre à un moyen inopérant, dès lors qu'il n'était pas allégué qu'à la date de dépôt de la marque seconde, il existait des éléments donnant à penser que la société envisageait de demander la déchéance des droits de M. X... sur la marque antérieure, a souverainement retenu l'absence de tout risque de confusion dans l'esprit du public, quel que soit le degré de similitude entre les signes en présence ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour rejeter la demande de revendication des marques « bateaux mouches Paris pont de l'Alma » et « bateaux mouches » formée par la société, l'arrêt retient que la non-exploitation des marques, étant une circonstance nécessairement postérieure au dépôt des demandes d'enregistrement, n'est pas de nature à établir la mauvaise foi de M. X... au jour du dépôt des marques litigieuses ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'intention du déposant au moment du dépôt des demandes d'enregistrement est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l'ensemble des facteurs pertinents propres au cas d'espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt relève qu'aux dates de dépôt des marques litigieuses en avril et septembre 2003, la société n'exploitait pas une activité de vente de souvenirs ou de bimbeloterie concurrente de celle de M. X... et qu'elle n'avait pu envisager de développer une telle activité qu'en 2006, de sorte que la mauvaise foi du déposant n'était pas caractérisée et que, par suite, l'action était prescrite ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, en déposant les marques composées de l'expression « bateaux mouches », dont il n'a jamais fait usage, M. X..., qui avait antérieurement été autorisé à exploiter une activité de vente d'articles de souvenirs et de bimbeloterie dans les locaux de la société, n'avait pas entendu faire obstacle au développement d'une telle activité par celle-ci, dont la dénomination sociale et le nom commercial comportaient la même expression, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :
Vu l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt relève encore, par motifs adoptés, que, l'expression « bateaux mouches » étant quasi générique pour désigner une activité de transport fluvial de tourisme, la société ne peut arguer de droits sur les termes « bateaux mouches » ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'une telle circonstance n'était pas de nature, en l'absence de contestation du caractère distinctif du signe « bateaux mouches » pour désigner des articles de souvenirs et de bimbeloterie, à exclure qu'il ait été procédé au dépôt des marques litigieuses avec l'intention de faire obstacle au développement par la société d'une activité de vente de tels articles sous ce signe, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il « rejette » la demande de revendication des marques « bateaux mouches Paris pont de l'Alma » n° 03 3 222 806 et « bateaux mouches » n° 03 3 247 340 de M. X... formée par la société Compagnie des bateaux mouches, l'arrêt rendu le 4 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.