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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 23 novembre 2021, n° 19/15670

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Accessoires Company (SAS)

Défendeur :

Guess Europe (SAGL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

Avocats :

Me Vignes, Me Ferchichi

TGI Paris, du 6 mai 2019

6 mai 2019

I- FAITS ET PROCÉDURE

1-La société Accessoires Company est une société de droit français qui vient au droit de la société CYBER COMPANY, et qui a pour activité la négociation pour la vente d'accessoires, de chaussures et de textiles pour le compte de marques internationales.

2-La société Guess Europe, société de droit suisse, filiale à 100  % du groupe GUESS, commercialise et promeut la vente des vêtements et accessoires GUESS sur le territoire de l'Union européenne.

3-Le 20 septembre 2014, les sociétés Guess Europe et CYBER COMPANY ont conclu un contrat intitulé « agent commercial » (« agent agreement ») exclusif à durée déterminée expirant le 31 août 2017, soumis au droit suisse et portant sur la promotion et la recherche de clients pour la commercialisation sur le territoire français des produits chaussures homme, femme et enfant de la marque GUESS.

4-Estimant que la société Accessoires Company (venant aux droits de la société CYBER COMPANY) n'avait pas atteint le montant minimal de ventes nettes prévues au contrat, la société Guess Europe lui a notifié le 16 décembre 2015 la rupture partielle du contrat d'agent commercial pour la négociation des collections chaussures enfants, sans versement d'indemnité.

5-Par lettre datée du 27 avril 2016, la société Guess Europe a ensuite notifié à la société Accessoires Company la résiliation du contrat pour le segment chaussures pour hommes et femmes.

6-Le 11 octobre 2016, la société Guess Europe a introduit une requête en arbitrage devant la Swiss Chambers' Arbitration Institution pour faire reconnaître que la société Guess Europe constituait bien le seul et unique cocontractant de la société Accessoires Company au titre du Contrat et qu'au regard du droit suisse, cette dernière n'était fondée à revendiquer aucune créance au titre notamment de la rupture du Contrat litigieux.

7-Au terme d'une sentence rendue le 12 septembre 2018 le tribunal arbitral de la Chambre de commerce internationale de LUGANO, composé d'un arbitre unique, a dit que la société Guess Europe était l'unique commettant de la société Accessoires Company, condamné la société Guess

Europe à payer à la société Accessoires Company la somme de 72.666,23 euros au titre de commissions restant dues assorties d'un taux d'intérêt de 5 % par an.

8-Estimant que la société Guess Europe avait obtenu satisfaction sur la « plupart de ses prétentions », l'arbitre unique a décidé de mettre à la charge de la société Accessoires Company, 2/3 des coûts engagés par la société Guess Europe dans le cadre de cette procédure, soit la somme de 236.905,33 CHF […] plus les intérêts à 5 % par an, à compter de la date de la sentence jusqu'au paiement complet.

9-Parallèlement, par deux arrêts rendus par la Cour d'appel d'Aix en Provence, des 1er juin 2017 et 27 juin 2019, rendus respectivement en référé et au fond, la société Accessoires Company a été déboutée de ses demandes visant, en référé, à obtenir la condamnation des sociétés GUESS FRANCE et Guess Europe au paiement de provisions sur commissions et à la production de documents pour lui permettre de fixer son droit à indemnité et, au fond de son action visant à faire reconnaître la société GUESS FRANCE comme le réel mandant d'un contrat d'agence commerciale.

10-Le 6 mai 2019, la sentence rendue le 12 septembre 2018 a été revêtue de l'exequatur en France à la demande de la société Guess Europe.

11-Le 6 septembre 2019, la société Accessoires Company a interjeté appel à l'encontre de l'ordonnance d'exequatur sur le fondement de l'article 1525 du code de procédure civile.

II- PRETENTIONS DES PARTIES

12-Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 28 octobre 2019, la société Accessoires Company demande à la cour, au visa des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile de bien vouloir :

DIRE que la sentence arbitrale de la Chambre de commerce internationale de LUGANO du 12 septembre 2018 est contraire à l'ordre public international en ce qu'elle a écarté l'application des dispositions de la directive n° 86/653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants telles que transposées en France par la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 portant statut des agents commerciaux ;

DIRE que la sentence arbitrale de la Chambre de commerce internationale de LUGANO du 12 septembre 2018 est contraire à l'ordre public international en ce qu'elle a méconnu le droit d'accès au juge protégé par l'article 6-1 de la CEDH en ce qu'elle a condamné la société Accessoires Company, triomphante sur la reconnaissance de son droit de créance sur Guess Europe, à supporter les 2/3 des frais de défense de la société Guess Europe, dont le montant a dépassé le montant de ladite créance ;

DIRE que la sentence arbitrale de la Chambre de commerce internationale de LUGANO du 12 septembre 2018 a été rendue en méconnaissance du principe du contradictoire en ce que l'arbitre a statué sur la charge des frais de procédure sur la base d'éléments justificatifs produits par Guess Europe qui n'avaient pas été préalablement soumis au contradictoire des parties ;

En conséquence,

REFORMER l'ordonnance du Président du TGI de PARIS du 6 mai 2019 ayant déclaré exécutoire sur le territoire française la sentence arbitrale précitée ;

Statuant de nouveau,

REJETER la demande d'exequatur sur le territoire français de la sentence arbitrale précitée présentée par la société Guess Europe,

CONDAMNER la société Guess Europe à régler à la société Accessoires Company la somme de 10 000,00 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

13-Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 mars 2020, la société Guess Europe demande à la cour, au visa des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile de bien vouloir :

Déclarer irrecevable et mal fondé l'appel interjeté par la société Accessoires Company et l'en débouter ;

I/ Dire qu'aucun des griefs formulés en l'espèce par la société Accessoires Company n'a trait à l'ordonnance qui a accordé l'exequatur à la sentence arbitrale litigieuse ;

- Dire que les griefs formulés par l'appelant tendent en réalité à obtenir une révision au fond de la sentence arbitrale litigieuse, ce qui excède le pouvoir du juge de l'exequatur ;

- Dire en conséquence mal fondées les demandes formulées par l'appelant.

II/ Subsidiairement,

A- S'agissant du grief tiré d'une prétendue violation de l'« ordre public international », à raison de l'application par le Tribunal arbitral du seul droit suisse :

- Dire que les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ne relèvent pas de l'« ordre public international » au sens de l'article 1520, 5° du code de procédure civile ;

- Dire que la société Accessoires Company est en outre défaillante dans l'administration de la preuve du caractère « manifeste », « effectif » et « concret » de la violation de l'« ordre public international » qu'elle allègue ;

- Dire que le grief formulé par la société Accessoires Company tend en réalité à obtenir un nouvel examen des moyens qu'elle a vainement présentés devant le Tribunal arbitral ;

- Dire en conséquence mal fondée la demande de réformation formulée par la société Accessoires Company au sujet de l'ordonnance entreprise ;

B- S'agissant du grief tiré d'une prétendue violation de l'« ordre public international », à raison de la condamnation de l'appelant par le Tribunal arbitral à rembourser une fraction des coûts d'arbitrage exposés par Guess Europe :

- Dire que la fixation du quantum des frais d'arbitrage relevait en l'espèce du pouvoir discrétionnaire du Tribunal arbitral et est en outre intervenue a posteriori, de sorte qu'elle ne peut caractériser une violation du droit pour tout plaideur d'« accéder » à un juge Dire en conséquence mal fondée la demande de réformation formulée par la société Accessoires Company à l'encontre de l'ordonnance entreprise.

C- S'agissant du grief tiré d'une prétendue violation du principe de la contradiction :

- Dire que le mémoire et les pièces que la société Guess Europe a régularisés le 17 mai 2018 au sujet des coûts d'arbitrage exposés par ses soins ont fait l'objet d'une communication contradictoire, en temps utile ;

- Dire que la société Accessoires Company a eu l'opportunité de formuler des observations au sujet du mémoire et des pièces précités, avant la clôture des débats, mais qu'elle a expressément renoncé à le faire ;

- Dire que la société Accessoires Company a en outre expressément renoncé à formuler un grief tiré d'une violation du principe de la contradiction par le Tribunal arbitral ;

- Dire en conséquence mal fondée la demande de réformation formulée par la société Accessoires Company à l'encontre de l'ordonnance entreprise.

En tout état de cause :

Débouter la société Accessoires Company de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Confirmer l'ordonnance d'exequatur rendue le 6 mai 2019 par M. le Président du Tribunal judiciaire de PARIS en toutes ses dispositions ;

Condamner la société Accessoires Company à s'acquitter d'une somme de 40 000 euros entre les mains de la société Guess Europe, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Accessoires Company aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître X, aux offres de droit.

III- MOTIFS DE LA DECISION

Sur le caractère irrecevable et mal fondé de l'appel en ce qu'il critique la sentence arbitrale

14-La société Guess Europe expose que l'appel d'une décision qui ordonne l'exequatur d'une sentence arbitrale ne peut se traduire par une révision de la sentence. Elle considère que la société Accessoires Company fait un usage dévoyé de la voie de recours instaurée par l'article 1525 du code de procédure civile, car elle invite la Cour à examiner de nouveau la pertinence des moyens de fond qu'elle a présentés devant la juridiction arbitrale et les juridictions étatiques françaises, ce qui est interdit au juge de l'annulation.

15- La société Accessoires Company n'a pas conclu sur ce point.

SUR CE,

16-Il convient de relever que la société Guess Europe demande à la cour tout à la fois de « Déclarer irrecevable et mal fondé l'appel interjeté par la société Accessoires Company et l'en débouter » en faisant valoir en substance qu'aucun des griefs formulés par la société Accessoires Company n'a trait à l'ordonnance qui a accordé l'exequatur à la sentence arbitrale litigieuse et que le recours tend à la révision de la sentence, ce qui est prohibé.

17-Cependant, il ressort de l'article 1525 du code de procédure civile que « La décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger est susceptible d'appel » de telle sorte que l'appel interjeté par la société Accessoires Company contre l'ordonnance d'exequatur du 6 mai 2019 est bien recevable,

18-En outre, cet article disposant également que « la cour d'appel ne peut refuser la reconnaissance ou l'exequatur de la sentence que dans les cas prévus à l'article 1520 », il appartient bien à l'appelant d'articuler des griefs à l'encontre de la sentence arbitrale et non de l'ordonnance d'exequatur afin de soutenir les cas d'annulation limitativement prévus par l'article 1520 du code de procédure civile, ce qu'a fait la société Accessoires Company.

19-Il appartiendra à la cour d'apprécier à l'occasion de l'examen de chacun des moyens d'annulation invoqué si, sous couvert de ces moyens, la société Accessoires Company entend remettre en cause l'interdiction pour le juge de l'annulation de réviser la sentence arbitrale, sans que cet argument ne puisse caractériser une fin de non-recevoir.

20-Cette demande sera en conséquence rejetée.

Sur le moyen d'annulation tiré de la contrariété de la reconnaissance ou l'exécution de la sentence à l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile)

Sur la méconnaissance d'une loi de police relevant de l'ordre public international

21-La société Accessoires Company soutient que la sentence méconnaît la loi de police dans l'ordre international que constitue la directive communautaire n° 86/653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants transposée en droit français aux articles L. 134-1 et suivants du code de commerce et notamment l'article L. 134-12 qui prévoit au profit de l'agent commercial une indemnité compensatrice en cas de cessation de ses relations avec le mandant.

22-Elle précise qu'en l'espèce, l'agent commercial étant français, la prestation ayant été exécutée en France et le contrat renvoyant à l'application du droit suisse, le différend se place dans le cadre d'une situation de conflit de lois qui doit être résolue conformément aux dispositions du règlement Rome I.

23-Elle rappelle qu'en vertu du règlement Rome I, qui s'impose à tout juge d'un État membre de l'Union européenne, les lois de police du juge saisi ne peuvent être écartées par la loi du contrat et soutient que la directive précitée a une valeur de loi de police consacrée par la décision de la CJUE « Ingmar » en date du 9 novembre 2000 (C-381/98), tout comme la loi française de transposition et les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce de telle sorte que celle-ci aurait dû être appliquée par l'arbitre.

24-Elle considère qu'en cas de conflit entre la directive du 18 décembre 1986 et le droit d'un État tiers à l'union européenne désigné par le contrat, et lorsque l'agent commercial exerce son activité au sein d'un État membre de l'Union européenne, le juge saisi doit faire application des garanties posées par la directive telles que transposées par la loi nationale du juge saisi.

25-Elle précise que la société Guess a cherché à faire échec à l'application de ces dispositions impératives en rattachant artificiellement le mandat à la société Guess Europe dont le siège est en Suisse afin de pouvoir appliquer la loi Suisse. Elle considère ainsi que ce stratagème caractérise une fraude à la loi par l'utilisation artificielle d'une règle de conflit de loi visant à appliquer une disposition nationale défavorable à l'auteur de cette fraude dès lors que le mandat d'agence commerciale n'a aucun lien de rattachement avec la Suisse, le contrat ayant été exécuté entre la société Guess France et la société Accessoires Company qui sont deux sociétés de droit français, et exclusivement sur le territoire national français.

26-La société Accessoires Company soutient subsidiairement sur ce moyen qu'une question préjudicielle pourrait être posée à la CJUE en ces termes : « Les articles L. 131-4 du Code de commerce, issus de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants portant transposition en droit interne français de la directive 86/653 du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants et notamment de ses articles 17 et 18, doivent-ils être considérés, au même titre que la directive, comme des lois de police dans l'ordre international, et partant, applicables à des rapports contractuels y compris en présence d'une stipulation contractuelle [qui] fait choix d'un droit étranger à l'Union européenne ' ».

27-En réponse, la société Guess Europe soutient que les textes français qui gouvernent le statut d'agent commercial ne relèvent pas de l'ordre public international au sens de l'article 1520, 5° du code de procédure civile d'après la jurisprudence constante et la doctrine. Elle fait observer de plus que la cour d'appel d'Aix-en-Provence a d'ores et déjà exclu la fraude à la loi alléguée aux termes de deux arrêts aujourd'hui définitifs et que le moyen ne consiste qu'en une critique de la motivation du tribunal arbitral qui s'est déjà prononcé sur la question de savoir si les dispositions du code de commerce français étaient des lois de police et qui a écarté cette qualification.

28-Elle souligne enfin que la demande de transmission d'une question préjudicielle n'est pas possible en l'espèce car la contradiction d'interprétation d'une loi de transposition par une juridiction d'un État membre, en l'espèce la cour de cassation française, avec celle de la directive transposée par la CJUE excède la compétence de la CJUE en matière de question préjudicielle et relèverait plutôt d'une action en manquement.

SUR CE,

29-Il convient de relever qu'une loi de police interne, fut-elle le fruit d'une transposition d'une directive européenne dont le caractère impératif a été rappelé par la Cour de justice de l'Union européenne, n'est susceptible de relever de la conception française l'ordre public international que si, après avoir vérifié son applicabilité au litige, sa méconnaissance heurte cette conception, c'est à dire l'ensemble des règles et des valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales.

30-En l'espèce, il convient de relever que devant l'arbitre la qualification de contrat d'agent commercial n'a pas été contestée par les parties de sorte qu'il convient de considérer que ce contrat est susceptible de rentrer dans le champ matériel d'application de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce ayant transposé en France cette directive.

31-De même, la Cour de Justice de l'Union européenne, dans la décision INGMAR du 9 novembre 2000 (C-381/98) a dit pour droit que « les articles 17 et 18 de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants garantissent certains droits à l'agent commercial après la cessation du contrat d'agence, doivent trouver application dès lors que l'agent commercial a exercé son activité dans un État membre et alors même que le commettant est établi dans un pays tiers et que, en vertu d'une clause du contrat, ce dernier est régi par la loi de ce pays ».

32-Un tel lien de rattachement en l'espèce est également satisfait comme l'a d'ailleurs reconnu l'arbitre dans sa sentence (§ 226 et suivants), le lieu d'exercice de l'activité de l'agent commercial couvrant, au terme du contrat conclu avec la société Guess Europe, le territoire de la France.

33-Au regard de ces éléments, la condition d'applicabilité des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce est satisfaite.

34-Les parties au contrat litigieux ayant cependant indiqué que celui-ci était régi par la loi Suisse, la société Accessoires Company n'était fondée à solliciter l'éviction de cette loi devant l'arbitre que si celle-ci est susceptible d'être qualifiée de loi de police.

35-A cet égard, l'arbitre a rejeté cette analyse en considérant « à la lumière de la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la question à l'étude » et en estimant que « la nature des articles L. 134-1 et suivants [du code de commerce français] n'est pas celle de 'loi de police dans l'ordre international' ». L'arbitre considère ainsi que « en raison de leur nature, telle que constamment reconnue par les juridictions françaises, ces dispositions sont par conséquent non applicables en tant que dispositions légales impératives dans le cadre d'un litige international tel que le présent litige entre une société suisse et une société française. Elles ne peuvent pas l'emporter sur le choix express fait par les parties à la section 21 du mandat d'agent commercial » (§ 250).

36-Devant le juge de l'annulation, le débat n'est pas tant de savoir si les dispositions des articles L. 134-1 et suivants constituent des lois de police du for, mais plus précisément, si ces articles, fussent-ils qualifiés de loi de police, relèvent au surplus de la conception française de l'ordre public international en ce sens que leur méconnaissance heurterait la conception française de l'ordre public international qui s'entendent de l'ensemble des règles et des valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales.

37-Au soutien de cette thèse, la société Accessoires Company s'appuie sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne émanant de l'arrêt rendu le 9 novembre 2000, Affaire Ingmar GB Ltd c. Eaton Léonard Technologies Inc, au terme de laquelle, la Cour de justice a rappelé notamment qu'il : « est essentiel pour l'ordre juridique communautaire qu'un commettant établi dans un pays tiers, dont l'agent commercial exerce son activité à l'intérieur de la Communauté, ne puisse éluder ces dispositions par le simple jeu d'une clause de choix de loi. La fonction que remplissent les dispositions en cause exige en effet qu'elles trouvent application dès lors que la situation présente un lien étroit avec la Communauté, notamment lorsque l'agent commercial exerce son activité sur le territoire d'un État membre, quelle que soit la loi à laquelle les parties ont entendu soumettre le contrat ».

38-Cependant, il convient de relever, comme l'a fait l'arbitre, que la jurisprudence française émanant de la plus haute juridiction, n'a pas à ce jour considéré que les dispositions des articles L. 134-1 et suivants pouvaient relever de la conception française de l'ordre public international ayant au contraire écarté une telle qualification à au moins deux reprises (1re Civ., 21 octobre 2015, n° 14-20.924 ; Com., 5 janvier 2016, n° 14-10.628).

39-En effet, les dispositions émanant du droit de l'Union européenne, fussent-elles qualifiées d'impératives, ne poursuivent pas toutes des objectifs visant à garantir des principes ou valeurs essentiels dont les Etats membres ne sauraient souffrir la méconnaissance dans un contexte international.

40- En l'espèce, l'objectif de la directive précitée et de sa transposition est essentiellement d'harmoniser et de rapprocher les législations des Etats membres quant à la protection des intérêts privés des agents commerciaux, sans que soit en jeu la défense d'intérêts vitaux de ces mêmes Etats membres, ni même qu'il ressortisse de manière évidente de telles dispositions qu'elles sont nécessaires à la mise en oeuvre d'une politique impérieuse de défense de la liberté d'établissement ou d'une concurrence non faussée.

41-En l'état de ces éléments, aucune contrariété à l'ordre public international ne pouvant être tirée du choix de la loi suisse, la demande subsidiaire tendant à ce que soit posée une question préjudicielle, qui est sans objet, sera également rejetée.

Sur le non-respect du droit d'accès au juge

42-La société Accessoires Company expose qu'elle a été condamnée au paiement d'une somme de 236.905,33 francs suisses au titre d'une partie des frais d'arbitrage exposés par la société Guess Europe et que ce montant nuit à son droit d'accès au juge protégé par l'article 6§1 de la CEDH, au motif que la dette ainsi mise à sa charge excède celui de la créance qui lui a été par ailleurs reconnue par le Tribunal arbitral au titre de certaines commissions impayées.

43-En réponse, la société Guess Europe souligne que la société Accessoires Company a pu agir en référé et former les recours appropriés pour critiquer les décisions lui semblant défavorables. Elle ajoute que la fixation du quantum des frais d'arbitrage relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal arbitral. Elle soutient de plus que l'atteinte au droit d'accès au juge ne peut pas être caractérisée par un évènement survenu postérieurement à la saisine du Tribunal et à l'issue des débats entre les parties. Elle conclut enfin qu'en tout état de cause le caractère manifeste, effectif et concret de la violation à l'ordre public n'est pas démontré.

SUR CE,

44-L'accès à la justice, en ce qu'il permet de garantir l'effectivité des droits, relève de l'ordre public international. Dès lors, une convention d'arbitrage qui ferait obstacle à cet accès, serait contraire à l'ordre public international et donc nulle.

45-Cependant, si le droit d'accès à la justice implique qu'une personne ne puisse être privée de la faculté concrète de faire trancher ses prétentions par un juge, ce droit n'est pas inconditionnel. Des restrictions peuvent être apportées à l'exercice de ce droit, sous réserve de répondre à un but légitime et d'être proportionnées aux nécessités d'une bonne administration de la justice.

46-Ainsi, une convention d'arbitrage, par laquelle les parties consentent à soumettre leur litige à un arbitre et qui emporte nécessairement renonciation à la justice étatique et, en France, à la gratuité du service public de la justice, ne saurait en elle-même porter atteinte à l'accès à la justice.

47-Seules ses modalités doivent être examinées afin de vérifier qu'elles ne privent pas, dans leur mise en oeuvre, une partie d'un accès à la justice et ne portent ainsi pas une atteinte effective au droit fondamental d'accès à la justice.

48-En l'espèce, il convient de relever que la société Accessoires Company n'a pas été privée de son droit d'accès au juge, fût-il arbitral, auquel elle a bien eu accès et pu présenter ses demandes quand bien même elle se plaint du montant des frais et honoraires que l'arbitre a mis à sa charge, après avoir entendu les parties et tranché le litige.

49-Il ressort en outre de la sentence que la société Guess Europe sollicitait la condamnation de la société Accessoires Company à rembourser tous les coûts et frais de justice qu'elle avait exposés dans le cadre de la procédure d'arbitrage soit la somme totale de 355 358 CHF tandis que la société Accessoires Company formait la même demande à son profit pour un montant global de 126 737,62 CHF.

50-L'arbitre unique a estimé, au vu des éléments du dossier, que « les frais de représentation juridique des parties dans la présente procédure, sont raisonnables conformément à l'article 38 (e) du règlement suisse » (§ 330) et que la société Guess Europe ayant obtenu satisfaction sur la « plupart de ses prétentions », il a décidé de mettre à la charge de la société Accessoires Company, 2/3 des coût engagés par la société Guess Europe (soit 2/3 de 355 358 CHF).

51-Ainsi, la société Accessoires Company entend, sous couvert de ce grief, remettre en cause l'appréciation par l'arbitre de la charge et du montant des frais, ce que le juge de l'annulation ne peut contrôler.

54-Ce moyen sera en conséquence rejeté.

Sur le moyen d'annulation tiré de la violation du principe du contradictoire

55-La société Accessoires Company fait valoir que les éléments justificatifs des frais d'arbitrage exposés par la société Guess Europe n'ont pas été produits aux débats préalablement à la reddition de la sentence faisant obstacle à ce qu'ils soient discutés malgré leur montant élevé, en violation du principe du contradictoire.

56-En réponse, la société Guess Europe soutient que son mémoire et ses pièces justificatives ont été régularisés dans le cadre de la procédure arbitrale au titre des coûts exposés par ses soins et ont bien été soumis en temps utile à un débat contradictoire. Elle ajoute que la société Accessoires Company a ainsi disposé de la possibilité de se prononcer sur les frais avant la clôture des débats ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce, renonçant expressément à s'en prévaloir à l'issue de l'audience de plaidoiries qui s'est tenue le 1er février 2018.

SUR CE,

57-Il résulte de l'article 1520, 4° du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

58-Le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.

59-En l'espèce, il ressort de la sentence que les « relevés des frais des parties » ont été déposés le 17 mai 2018, et des pièces versées aux débats, que par courriel du 19 mai 2018, le tribunal arbitral a adressé à chacune des parties le relevé de l'autre.

60-Ainsi, chacune des parties disposait alors de la faculté de faire valoir des observations sur ces frais et la société Accessoires Company n'en a émis aucune étant observé que la clôture de la procédure a été prononcée par le tribunal arbitral le 22 juin 2018, soit plus d'un mois après cette communication et ce quand bien même elle avait lors de l'audience du 1er février 2018 indiqué à l'arbitre qu'elle n'entendrait pas commenter l'état de frais soumis par l'autre partie.

61-En l'état de ces éléments, le principe de la contradiction n'a pas été méconnu de sorte que ce moyen sera également rejeté.

Sur les frais et dépens

62-Il y a lieu de condamner la société Accessoires Company, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

63-En outre, elle doit être condamnée à verser à la société Guess Europe, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 30 000 euros.

IV- DISPOSITIF

La cour, par ces motifs :

1-Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Guess Europe ;

2- Rejette l'appel contre l'ordonnance du 6 mai 2019 ayant conféré l'exequatur à la sentence rendue le 12 septembre 2018 à Lugano (Suisse) (affaire SCAI n° 500099-2016) sous l'égide de la Swiss Chambers' Arbitration Institution ;

3- Condamne la société Accessoires Company à payer à la société Guess Europe la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

4-Condamne la société Accessoires Company aux dépens dont distraction au profit de Maître X.