CA Reims, ch. civ. sect. 1, 1 avril 2014, n° 13/00998
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Batico (SARL), Lebourcq et Associes (SARL), Selarl J.Cabooter (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maillard
Conseillers :
Mme Dias Da Silva Jarry, M. Wachter
Avocats :
Me Six, Me Deltour, Me Vlerick
Le 28 mars 2013, M. X, gérant de la SARL Batico exerçant l'activité de holding financier et prestations de services, dont le siège se trouve à 51 430 Tinqueux et gérant de la SARL Leboucq et Associés exerçant l'activité de travaux de maçonnerie, dont le siège se trouve à 02 190 Guignicourt, a déclaré au greffe du tribunal de commerce de Reims que ces sociétés rencontraient des difficultés qu'elles ne sont pas en mesure de surmonter et a sollicité, pour chacune d'elles, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.
Par jugement du 2 avril 2013 le tribunal de commerce de Reims a, au vu des dispositions des articles L. 621-1 et suivants du code de commerce, ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Batico exerçant l'activité de holding financier et prestations de services, a étendu la procédure de sauvegarde de la société Batico à la SARL Lebourcq et Associés exerçant l'activité de travaux de maçonnerie, a ordonné la confusion des patrimoines en une seule masse active et passive et a désigné la SEARL Cabooter en qualité d'administrateur judiciaire avec mission de surveillance et Me Deltour en qualité de mandataire judiciaire.
Le ministère public a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions du 26 août 2013 et du 28 janvier 2014, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de déclarer la juridiction rémoise incompétente pour statuer sur la situation de la société Lebourcq et Associés et de renvoyer l'examen de sa situation à la juridiction consulaire de Saint Quentin. Il fait observer que le siège social de la société Lebourcq et Associés, qui occupe 28 salariés, se trouve à Guignicourt dans le ressort de tribunal de commerce de Saint Quentin, qu'il ne résulte pas du jugement qu'il y ait confusion des patrimoines ou fictivité de la personne morale, que le procureur de la République a, en première instance, soulevé l'incompétence partielle du tribunal de commerce avant toute défense au fond et que le jugement n'a pas été motivé.
Par conclusions du 3 décembre 2013, les sociétés Lebourcq et Associés et Batico concluent à la confirmation du jugement. Elles font valoir que le procureur de la République qui a requis l'ouverture de la sauvegarde n'a pas soulevé l'exception d'incompétence avant toute défense au fond et que l'appelant n'a pas désigné la juridiction de renvoi.
Par conclusions du 29 novembre 2013, la SELARL Jérome Cabooter et Me Deltour ès qualités d'administrateur et de mandataire judiciaire des sociétés Batico et Lebourcq et Associés s'en rapportent à la sagesse de la cour et lui demandent de dire que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure collective avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur ce, la cour :
En vertu des dispositions de l'article R. 600-1 du code de commerce, et sans préjudice des dispositions de l'article R. 662-7, le tribunal territorialement compétent pour connaître des procédures prévues au livre VI de la partie législative du code de commerce, est celui dans le ressort duquel le débiteur, personne morale a son siège.
L'article R. 662-4 du même code précise que les exceptions d'incompétence sont réglées par les articles 75 à 99 du code de procédure civile.
Le procureur général a dès ses premières conclusions indiqué, que seul le tribunal de commerce de Saint Quentin était compétent pour statuer sur la demande de sauvegarde de la société Lebourcq et Associés, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de pas avoir, tel que l'exige les dispositions de l'article 75 du code de procédure civile, indiqué la juridiction qu'il estime compétente.
L'article 74 du code de procédure civile prévoit que les exceptions doivent à peine d'irrecevabilité être soulevées simultanément avant toute défense au fond. Il en est ainsi même lorsque les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.
Les sociétés intimées soutiennent qu'en première instance l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée avant tout débat au fond. L'examen du procès-verbal établi à l'audience du tribunal de commerce de Reims du 2 avril 2013, au cours de laquelle l'affaire a été évoquée révèle que le représentant de la société Lebourcq et Associés a comparu devant le tribunal de commerce assisté de son avocat, qu'il a sollicité le prononcé d'une mesure de sauvegarde en exposant sa situation économique et en faisant état de difficultés financières, que ce n'est qu'ultérieurement que le substitut du procureur de la République a regretté la demande sur Reims et a fait valoir que le tribunal de commerce n'était pas compétent pour ce dossier.
Le jugement dont appel, mentionne de même que M. X ès qualités de gérant des dites sociétés, assisté de son conseil a déclaré que la société Batico et la SARL Lebourcq et Associés rencontraient des difficultés qu'elles n'étaient pas en mesure de surmonter et a sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. Mme le substitut du procureur de la République, présente à l'audience, requiert l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société Batico et émet des réserves sur la compétence du tribunal de commerce de Reims à ouvrir une procédure de sauvegarde à l'encontre de la SARL Lebourcq et Associés, le siège social étant hors ressort de la juridiction.
Il résulte de ces éléments et bien que l'exception d'incompétence soulevée concernant la société Lebourcq et Associés n'ait pas été déclarée irrecevable par le tribunal de commerce, que cette exception n'a été soulevée à l'audience, qu'après la demande de placement sous le régime de la sauvegarde et alors qu'elle avait déjà exposé au fond sa situation financière. Le moyen pris de la tardiveté du déclinatoire de compétence en première instance pouvant être soulevé pour la première fois en appel, la cour constate que l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée avant toute défense au fond et qu'elle est irrecevable.
Le procureur général fait toutefois valoir à l'appui de son appel, que le tribunal de commerce qui a étendu la procédure de sauvegarde à l'égard de la société Lebourcq et Associés n'a pas motivé sa décision.
Par application des dispositions de l'article L. 621-2 du code de commerce, le tribunal compétent pour statuer sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde, est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale. A la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d'office, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. A cette fin, le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent.
Pour prononcer l'extension de la procédure de sauvegarde d'une société à une autre société appartenant au même groupe, la confusion des patrimoines doit être caractérisée ou la fictivité de la société établie de sorte que le tribunal de commerce devait pour se déclarer compétent à l'égard de la société Lebourcq et Associés trancher une question de fond.
Le tribunal de commerce a dans ses motifs relevé "que pour une bonne administration de la justice, il convient de joindre les deux instances" sans faire référence aux règles prescrites par les dispositions de l'article L. 621-2 du code de commerce.
L'examen de la procédure révèle, que les SARL Batico et Lebourcq et Associés ont déposé séparément devant le tribunal de commerce de Reims, une demande de placement sous le régime de la sauvegarde.
La société Batico qui est domiciliée à Tinqueux emploie un seul salarié et la société Lebourcq et Associés est domiciliée à Guignicourt et occupe 28 salariés.
Les pièces produites par la société Batico à l'appui de sa demande de sauvegarde, établissent, qu'elle fait état des liens la liant à la société Lebourcq et Associés, en exposant, au vu des difficultés que connaît cette dernière, qu'elle risque elle-même de rencontrer des difficultés financières. La société Lebourcq et Associés est sa seule cliente et lui doit actuellement une somme de 103 255 euros.
L'examen des rapports établis au cours de la période d'observation, tant par l'administrateur provisoire que par le mandataire judiciaire désignés par le jugement d'ouverture, confirme que la société Batico a été immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés le 21 septembre 2006 par M. X et Mme X, que son capital social est de 10 000 euros, qu'elle a, au cours de l'année 2006 acheté les parts sociales de la SARL Etablissement Christian Lebourcq créée en 1995 au moyen d'un prêt et qu'elle possède 499 des 500 parts sociales de la société Lebourcq et Associés qui réalise des opérations immobilières de constructions neuves ou de réhabilitations.
M. X est dirigeant des deux sociétés ; les deux sociétés ne sont propriétaires d'aucun bien immobilier et la société Lebourcq et Associés est installée dans un bâtiment propriété de la SCI Y, appartenant à M. X. La société Batico ne dispose d'aucun actif financier autre que les titres de participation de sa filiale Lebourcq.
L'activité de la société Lebourcq et Associés a été développée depuis l'arrivée de M. X et sa rentabilité a quadruplé en deux ans. Elle a en 2012 connu des difficultés de recouvrement sur un chantier en cours pour le compte de la SCI Le Vignoble et a dû, au cours de l'année 2013, faire face à une baisse marquée de son activité.
Il est donc établi que les deux sociétés ont une réelle existence, une comptabilité propre et une activité distincte. Les liens étroits existant entre la société Batico et la société Lebourcq et Associés, qui ont le même dirigeant et les mêmes intérêts ne permettent pas toutefois de constater que leurs patrimoines respectifs ne forment pas deux masses distinctes, qu'il existe entre les deux sociétés des relations financières anormales et que leurs masses actives et passives sont imbriquées. La société Batico ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une confusion de patrimoine justifiant le prononcé de l'extension de la procédure de sauvegarde de la société Batico à la société Lebourcq et Associés et aucun élément du dossier ne permet d'établir l'existence d'une telle situation. Le jugement déféré sera donc infirmé en tant qu'il a étendu la procédure de sauvegarde de la SARL Batico à la SARL Lebourcq et Associés et ordonné la confusion des patrimoines.
Il résulte des pièces versées aux débats et des déclarations du dirigeant de la SARL Lebourcq et Associés, que cette société connaît des difficultés de recouvrement sur un chantier en cours, qu'une créance de 131 164 euros est restée impayée, que son activité a connu une baisse au cours de l'année 2013 et que deux de ses comptes présentent un solde débiteur bien qu'elle conserve la confiance des banques, et dispose d'un bon carnet de commande. Elle n'est pas en état de cessation des paiements. Il est donc établi que la société Lebourcq et Associés rencontre des difficultés qu'elle n'est pas en mesure de surmonter.
Au vu de ces éléments, la cour constate que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde serait susceptible de faciliter la réorganisation de l'entreprise, de permettre la poursuite de l'activité, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Il convient donc de faire application des dispositions de l'article 620-1 du code de commerce, de faire droit à la demande de la société Lebourcq et Associés et d'ouvrir à son encontre une procédure de sauvegarde.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société.
Par ces motifs :
Statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de l'appel ; déclare l'exception d'incompétence irrecevable ;
infirme partiellement le jugement rendu le 2 avril 2013 par le tribunal de commerce de Reims ;
Dit n'y avoir lieu à extension de la procédure de sauvegarde de la SARL Batico à la SARL Lebourcq et Associés ;
Ouvre une procédure de sauvegarde à l'égard de la SARL Lebourcq et Associés ;
Renvoie la procédure de sauvegarde concernant la SARL Lebourcq et Associés devant le tribunal de commerce de Reims pour la suite de la procédure collective et notamment la désignation des organes de la procédure ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Dit que les dépens seront employées en frais privilégiés de la procédure collective.