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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 23 mars 2017, n° 16/05880

DOUAI

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme André, Mme Cordier

TGI Valenciennes, 22 sept. 2016

22 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

M. P. exerce l'activité de chirurgien-dentiste et exploitait précédemment son activité à titre libéral et en son nom propre au sein de la SCM OMAJ sise à Marchiennes.

Par acte sous seing privé en date du 5 juillet 2013, M. P. a cédé sa clientèle et les parts sociales qu'il détenait dans le capital de la SCM OMAJ à M. D. et a continué à exercer dans le cadre d'une collaboration libérale à la SELARL 210 Anatole France à Anzin, dont il est gérant non salarier.

Sur assignation en date du 26 mai 2015 délivrée par l'URSAFF, créancière d'une somme de 105 692 euros, correspondant à des cotisations impayées dues au titre de l'activité de chirurgien-dentiste que M. P. exerçait au sein de la SCM OMAJ, le tribunal de grande instance de Valenciennes, par jugement du 10 septembre 2015 a prononcé le redressement judiciaire de M. P., fixé la date de cessation des paiements au 11 juin 2015 et désigné Me M. en qualité de mandataire judiciaire.

Le 10 mars 2016, le tribunal a ordonné la prolongation de la période d'observation pour une durée de 6 mois.

Par un jugement contradictoire rendu le 22 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Valenciennes a, notamment :

- ordonné la conversion de la procédure de redressement ouverte a l'égard de M. P. en procédure de liquidation judiciaire,

- confirmé l'état de cessation des paiements de M. P.,

- désigné Me M. en qualité de liquidateur ;

- fixé à deux ans le délai au terme duquel la procédure devra être examinée,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

M. P. a interjeté appel par déclaration du 27 septembre 2016.

Selon ordonnance du 8 décembre 2016, le premier président de la cour d'appel de Douai a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 9 novembre 2016, M. P. demande à la cour d'appel de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- ouvrir une procédure de redressement judiciaire à son l'égard,

- renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance de Valenciennes pour permettre l'étude d'un plan de redressement judiciaire,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Après avoir rappelé les conditions d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, notamment la caractérisation de l'impossibilité manifeste de redressement, M. P., fait valoir en premier lieu qu'il n'a pu utilement proposer un plan de redressement sérieux en raison du conflit d'intérêt attaché à son précédent conseil, qui était aussi le conseil de M. W., ancien gérant et actuel salarié de la SELARL 210 Anatole France, et à l'encontre duquel il venait de déposer plainte pour abus de confiance.

Il précise que :

- il s'est retrouvé dans l'impossibilité de régler ses dettes puisque les détournements commis par M. W. l'ont privé de ses droits à dividendes alors que la SELARL 210 Anatole France dégageait d'importants bénéfices,

- aucun plan de redressement sur la base des dividendes à percevoir n'a été soumis au tribunal puisque son précédent conseil a préféré préserver la situation de la SELARL et celle de M. W.

En second lieu, M. P. soutient qu'il n'est pas en situation d'impossibilité manifeste de redressement aux motifs que les droits à dividendes de la SELARL 210 Anatole France, qu'il percevra à hauteur de 100 % en sa qualité d'associé unique, générés par ses résultats largement bénéficiaires, lui permettront d'apurer, dans le cadre d'un plan, l'intégralité de son passif personnel, une seule année de chiffre d'affaires de la SELARL était supérieur au montant du passif déclaré à la procédure collective.

Aux termes de dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 20 décembre 2016, Me M. demande à la cour d'appel de :

- débouter M. P. de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire ;

- dépens en frais de procédure collective'.

Il expose que :

- les griefs avancés par M. P. à l'encontre de son ancien conseil ne constituent pas un moyen d'appel et ne peuvent être une cause de réformation du jugement,

- le redressement, destiné notamment à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise est de fait impossible dès lors que M. P. l''entreprise n'existe déjà plus puisque l'intéressé, personne physique, professionnel libéral, n'exploite plus en son nom personnel,

- au contraire, la liquidation judiciaire permet de mettre fin à l'activité de l'entreprise, situation de fait déjà concrétisée,

- la période d'observation a duré plus d'un an et le parquet n'a pas requis de prorogation exceptionnelle de 6 mois.

Suivant avis du 22 décembre 2012, Mme la procureure générale requiert la confirmation du jugement en l'absence de projet de redressement de l'activité concernée par la procédure.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire aux termes de l'article L. 631-15 du code de commerce, « au plus tard au terme d'un délai de deux mois à compter du jugement d'ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d'observation s'il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes. À tout moment de la période d'observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut ordonner la cessation partielle de l'activité ou prononce la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible. Lorsque le tribunal prononce la liquidation, il met fin à la période d'observation et, sous réserve des dispositions de l'article L. 641-10, à la mission de l'administrateur ».

Selon l'article L. 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

Il résulte de ces textes que ce n'est pas le redressement de l''entreprise' qui doit être impossible, mais celui du débiteur.

Dès lors, et compte tenu du principe d'unicité du patrimoine, qui implique que l'ensemble du patrimoine de l'entrepreneur individuel, présent et à avenir, répond des dettes qu'il contracte pour le fonctionnement de son activité professionnelle, la personne physique qui exerce une activité indépendante peut juridiquement prétendre au bénéfice d'un plan de redressement quand bien même elle aurait mis un terme à son exploitation professionnelle.

Enfin, la possibilité, prévue par l'article L. 631-5 du code de commerce, d'ouvrir un redressement judiciaire à l'encontre d'un débiteur qui a cessé son activité professionnelle, d'ailleurs été mise en oeuvre en l'espèce, conforte une telle interprétation.

M. P., bien qu'ayant mis fin à son activité en son nom personnelle, peut donc prétendre au bénéfice d'un plan de redressement.

Il résulte des dispositions de l'article L. 621-3 du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 631-14 relatif au redressement judiciaire, qu'à l'issue du renouvellement de la période d'observation de 6 mois, cette dernière ne peut être exceptionnellement prolongée qu'à la demande du procureur de la République pour une durée fixée à six mois par l'article R. 621-9.

Cependant, ces textes ne sanctionnent ni le dépassement des délais de la période d'observation, ni sa prolongation exceptionnelle en l'absence de demande du procureur de la République.

En conséquence, le dépassement du délai d'un an et l'absence de réquisitions du parquet dans le sens d'une prolongation ne font pas obstacle à l'adoption d'un plan de redressement.

Pour autant, il appartient à M. P. de démontrer que son redressement n'est pas impossible et qu'il est en capacité de présenter un plan.

Les griefs reprochés par M. P. à son ancien conseil, s'ils apportent un éclairage sur les circonstances entourant les difficultés de l'appelant, ne constituent pas un moyen de nature à apporter cette preuve et à justifier la réformation du jugement prononçant la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

S'agissant des capacités de redressement, il résulte des éléments constants de la procédure et des pièces versées aux débats que :

- le passif total déclaré à la procédure de M. P., non contesté par ce dernier, s'élève à la somme de 429 363,54 euros,

- M. P. est associé unique de la SELARL 210 Anatole France et à ce titre, peut prétendre percevoir 100% du résultat net dégagée par l'activité de la société (pièce 8, 13, 16 et 17),

- ladite société a dégagé les résultats nets suivants

- au 31 décembre 2013 : 86 947 euros (pièces n° 16)

- au 31 décembre 2014 : 198 984 euros (pièces n°16)

- au 31 décembre 2015 : 242 970 euros, ouvrant droit à un avantage fiscal lié à la zone franche urbaine de 100 000 euros, (pièces n° 17),

- son chiffre d'affaires du 1er janvier 2016 au 30 juin 2016 s'est élevé à la somme de 476 226 euros (621 009 euros au 31 décembre 2015),

- l'expert-comptable de la SELAL atteste que la société est à jour de ses cotisations Urssaf au titre de l'année 2016 (pièce 13),

- aux termes de l'inventaire réalisé par le commissaire-priseur, M. P. ne possède pas d'actif hormis un immeuble en indivision avec sa mère et un véhicule monospace'; il ressort cependant d'une attestation notariée que M. P. ne détient que la nue-propriété de ce bien (pièce14).

Ces éléments établissent que M. P. tire des revenus substantiels de son activité professionnelle actuelle.

Cependant, malgré l'observation qui lui a déjà été adressée par le premier président dans son ordonnance du 08 décembre 2016, M. P. ne justifie toujours pas de ses charges personnelles, de sorte qu'il est impossible de connaître la réalité de ses facultés contributives.

Il ne produit aucun prévisionnel financier susceptible de démontrer qu'il serait en capacité d'apurer son passif grâce à un rééchelonnement de ses dettes, étant relevé que ces possibilités d'apurement ne sauraient s'évaluer, comme il le fait, à l'aune du seul chiffre d'affaires de la SELARL.

 L'intéressé, en dépit d'engagements réitérées formés pendant la période d'observation, n'a pas commencé à régler ses dettes. Seul son véhicule constitue un actif immédiatement réalisable, mais il est de valeur très limité ; en outre, l'usufruit dont est titulaire sa mère, conjoint survivant, sur l'immeuble dépendant de la succession de son père, est de nature à compromettre la vente de l'immeuble à court terme, ce que confirme l'absence de toute démarche en ce sens de M. P., malgré ses promesses, pendant la période d'observation.

Dès lors, il ne peut être misé sur la réalisation d'une partie de l'actif - et non de sa totalité, qui participerait de la liquidation du patrimoine et non d'un redressement - pour diminuer la charge du passif et accroître les chances de succès d'un plan de redressement.

En outre, la cour observe que le compte courant de M. P. dans le grand livre général de la SELARL, est débiteur de manière récurrente. Ainsi, en dépit du versement, le 30 juin 2015, de l'intégralité du résultat de l'exercice 2014, soit 194 984,19 euros, ce compte était débiteur à hauteur de 223 593,38 euros à la clôture de l'exercice le 31 décembre 2015.

Il s'en déduit qu'en l'état, M. P., qui ne verse pas aux débats de pièces plus récentes sur ce point, ne dispose pas de la trésorerie qui lui permettrait de faire face aux annuités d'un plan de redressement.

En conséquence, en l'absence de toute perspective de redressement, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

Sur les frais et dépens

Il convient d'ordonner l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Y AJOUTANT,

ORDONNE l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de liquidation judiciaire.