CA Lyon, 3e ch. A, 27 mars 2014, n° 14/00832
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procureur général près la Cour d'appel de Lyon
Défendeur :
L'Art Musical Costellois (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tournier
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par déclaration de cessation des paiements du 21 octobre 2013, X., se présentant comme dirigeante de L'ART MUSICAL COSTELLOIS, a saisi le Tribunal de Grande Instance de ROANNE d'une demande de liquidation judiciaire, faisant état d'une cessation d'activités depuis le 30 juin 2012.
Par jugement en date du 8 janvier 2014, auquel il est expressément fait référence pour plus de précisions sur les faits, les prétentions et moyens des parties, le Tribunal de Grande Instance de ROANNE s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande présentée et dit que le Tribunal de Commerce est compétent.
Par déclaration reçue le 3 février 2014, le Procureur Général a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 11 février 2014, le président du Tribunal de Commerce de ROANNE a rendu une ordonnance disant n'y avoir lieu à faire convoquer X. pour l'examen d'une éventuelle ouverture d'une liquidation judiciaire, car elle exerçait en nom propre et sous le signe libéral, étant inscrite au répertoire SIREN et n'avait aucune activité commerciale.
Par déclaration reçue le 30 janvier 2014, le Procureur Général a relevé appel de cette ordonnance.
Les deux affaires ont été fixées à l'audience en application de l'article 905 du Code de Procédure Civile par ordonnances du Président de cette chambre en date du 11 février 2014.
Par acte en date du 11 mars 2014, le Procureur Général a fait assigner X, l'acte ayant été délivré à sa personne.
Dans ses conclusions régulièrement signifiées à X, le Procureur Général sollicite la jonction des deux instances, l'annulation pour excès de pouvoir du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de ROANNE, les premiers juges ayant soulevé leur incompétence sans que la demanderesse ait été invitée à s'exprimer sur ce point.
Sur le fond, il estime que cette juridiction était compétente pour statuer sur la demande d'ouverture d'une procédure collective, excipant de l'article L. 641-1 du Code de Commerce.
Il requiert en outre l'annulation de l'ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de ROANNE qui a également commis un excès de pouvoir en s'arrogeant le pouvoir de ne pas convoquer le débiteur et en soulevant d'office l'incompétence de sa juridiction. Il sollicite le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de Grande Instance de ROANNE.
X, s'est présentée en personne à l'audience, mais n'a pas constitué avocat.
Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties aux décisions entreprises et aux conclusions régulièrement déposées et ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que X n'ayant pas constitué avocat, mais ayant été avisée de la date d'audience et s'étant présentée sans solliciter un quelconque renvoi, le présent arrêt est réputé contradictoire ;
Attendu que les deux décisions déférées traitant de la même demande d'ouverture d'une procédure collective, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de procéder à leur jonction et de statuer par un seul arrêt ;
Sur la nullité du jugement rendu le 8 janvier 2014 par le Tribunal de Grande Instance de ROANNE attendu qu'aux termes de l'article 16 du Code de Procédure Civile, il appartient au juge de veiller au respect du principe de la contradiction, qui s'impose également à lui lorsqu'il entend soulever d'office un moyen de droit qui n'a pas été soumis à la discussion des parties ;
Que X a comparu devant cette juridiction, alors qu'aucune des mentions du jugement entrepris n'établit que X ait été mise à même de discuter de la question de la compétence de la juridiction civile qu'elle avait saisie, seul le Procureur de la République ayant indiqué que « se pose le problème de la compétence de votre tribunal et je m'en rapporte » sans pour autant qu'une quelconque précision soit faite sur les règles légales ensuite appliquées par le Tribunal de Grande Instance de ROANNE ;
Attendu qu'en ne soumettant pas l'application de l'article L. 621-2 du Code de Commerce à la contradiction, les premiers juges ont porté atteinte aux droits de la requérante et ne lui ont pas permis le cas échéant de répliquer sur la pertinence d'une telle exception d'incompétence ;
Attendu, cela étant, que les premiers juges n'ont par ailleurs pas satisfait aux dispositions de l'article 96 du Code de Procédure Civile, et n'ont pas désigné la juridiction qu'ils estimaient compétente et ordonné le renvoi direct du dossier ;
Attendu, en revanche, qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un quelconque excès de pouvoir, mais d'une atteinte aux droits de la requérante devant motiver l'annulation de la décision entreprise ;
Sur la nullité de l'ordonnance rendue le 11 février 2014 par le Président du Tribunal de Commerce de ROANNE, attendu que ce Tribunal de Commerce devait être saisi directement par l'effet de la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de ROANNE en date du 8 janvier 2014, mais l'a été en réalité sur requête du Ministère Public en date du 22 janvier 2014, visant cette décision d'incompétence, dont l'imperfection de forme de son dispositif vient d'être soulignée ;
Attendu que l'alinéa 2 de l'article 96 susvisé imposait au Tribunal de Commerce de statuer sur la déclaration de cessation des paiements faite par X ;
Que la requête déposée par le Procureur de la République, chargé par nature du contrôle de la bonne règle des dossiers de procédure collective, n'a été émise que pour suppléer à cette irrégularité du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance ;
Attendu que le Président du Tribunal de Commerce de ROANNE en statuant seul sur ce renvoi de compétence, sans même tenter de caractériser un quelconque fondement juridique à la forme donnée à sa décision, a ainsi commis un excès de pouvoir manifeste en rendant de surcroît une ordonnance à l'origine d'un conflit négatif de compétence ;
Que cette ordonnance doit en conséquence être purement et simplement annulée ;
Sur la compétence et la demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire,
Attendu que l'effet dévolutif de l'appel interjeté par le Procureur Général à l'encontre de la décision du Tribunal de Grande Instance de Roanne doit la conduire à statuer sur la demande présentée par X ;
Attendu que l'article L. 640-2 du Code de Commerce prévoit que « la procédure de liquidation judiciaire est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale (...) » ;
Attendu que l'article L. 621-2 du même code dispose que « le tribunal compétent (pour statuer sur l'ouverture d'une procédure collective) est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale. Le tribunal de grande instance est compétent dans les autres cas. » ;
Attendu que X dans sa déclaration de cessation des paiements a fait état d'une activité libérale d'enseignement musical et de l'existence de personnes alors salariées sous la forme de vacations, mais dont les contrats de travail n'ont pas été renouvelés ;
Attendu que la compétence générale d'attribution conférée au Tribunal de Grande Instance devait conduire les premiers juges à caractériser un des critères susvisés pour motiver une déclaration d'incompétence ;
Attendu que l'inscription au répertoire SIRENE ne fait en rien présumer une quelconque qualité de commerçante de X, alors que la qualité d'artisan découle de plein droit d'une inscription au Répertoire des Métiers, qui n'est pas plus affirmée ;
Attendu qu'aucune des pièces versées aux débats ne vient établir que X ait effectué des actes de commerce par nature ;
Attendu qu'en l'état de l'absence de cette caractérisation d'une activité commerciale ou artisanale, le Tribunal de Grande Instance de ROANNE était dès lors compétent pour statuer ;
Attendu que X a cessé son activité depuis de très longs mois et a fourni dans sa déclaration de cessation des paiements tous documents et chiffres attestant de sa situation irrémédiablement compromise ;
Attendu qu'il convient en conséquence de faire droit à sa demande et d'ouvrir à son bénéfice une procédure de liquidation judiciaire simplifiée dont les précisions sont édictées au dispositif de cet arrêt ;
Attendu qu'en l'état des annulations et de la liquidation judiciaire prononcées, les dépens doivent être tirés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Vu les conclusions du Ministère Public, ordonne la jonction entre les dossiers N° RG 14/00382 et RG 14/00834,
Annule l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de ROANNE le 11 février 2014,
Annule le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de ROANNE le 8 janvier 2014,
Constate l'état de cessation des paiements et prononce la liquidation judiciaire simplifiée de X, inscrite au répertoire SIRENE sous le N° 507542132,
Fixe provisoirement au 21 octobre 2013 la date de cessation des paiements,
Dit qu'il appartient au Président du Tribunal de Grande Instance de ROANNE de désigner le juge commissaire destiné à suivre cette procédure de liquidation judiciaire,
Désigne la SELARL MJ SYNERGIE, en la personne de Maître B.,[...], en qualité de liquidateur judiciaire,
Désigne Maître Véronique I., Commissaire Priseur à [...] pour procéder à l'inventaire des biens de la débitrice, et en adresser rapport au Tribunal de Grande Instance de ROANNE avant le 31 mai 2014,
Dit que le délai pour produire les créances est de DEUX MOIS à compter de la publication du présent arrêt au BODACC, ce dernier délai est augmenté de deux mois pour les créanciers domiciliés hors de la FRANCE métropolitaine (articles 99 et 236 du décret du 28 décembre 2005),
Invite les éventuels salariés à élire leur représentant conformément aux dispositions des articles L. 641-1 et L. 621-4 du Code de Commerce et à communiquer au secrétariat-greffe, dans les 10 jours à compter de l'ouverture de la procédure, les nom et adresse de ce représentant,
Dit que la clôture de la liquidation judiciaire devra intervenir, en application de l'article L. 644-5 du Code de Commerce, dans le délai d'un an suivant le présent arrêt,
Ordonne la publicité du présent arrêt et la transmission des extraits prescrits par la loi,
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.