CA Pau, 2e ch. sect. 1, 9 mai 2016, n° 15/03661
PAU
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Diximier
Conseillers :
Mme Morillon, Mme Janson
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Sur assignation de la MSA et par jugement du 22 octobre 2012, le tribunal de grande instance de PAU a ouvert à l'égard de Monsieur Antoine L. une procédure de redressement judiciaire, fixé la période d'observation à 6 mois et désigné la SELARL FRANCOIS L. en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 28 janvier 2013, le tribunal a décidé de la poursuite de la période d'observation.
Cependant, à l'audience de renvoi du 27 mai 2013, la juridiction de première instance a estimé que le défaut d'assurance couvrant l'exploitation agricole rendait impossible la poursuite de l'activité, que Monsieur Antoine L. ne justifiait d'aucune démarche concrète permettant d'apprécier la viabilité de son projet de créer une ferme découverte ou de développer une activité de production biologique, que le passif déclaré était d'un montant de 28'499,73 euros et qu'il n'avait transmis aucun élément comptable au mandataire judiciaire.
Au regard de ces constatations, le tribunal de grande instance de Pau a, par jugement du 24 juin 2013, ordonné la conversion de la procédure de redressement judiciaire en procédure de liquidation judiciaire et désigné la SELARL FRANCOIS L. en qualité de liquidateur.
Monsieur Antoine L. a formé appel à l'encontre de cette décision par déclaration du 11 juillet 2013.
Par arrêt du 18 novembre 2014, la Cour d'Appel de PAU a :
- constaté la nullité de l'acte de saisine du Tribunal de Grande Instance de PAU tendant à la conversion du redressement de Monsieur Antoine L. en liquidation judiciaire,
- prononcé la nullité du jugement de première instance,
- dit n'y avoir à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Constatant que le passif avait augmenté, par jugement réputé contradictoire du 14 septembre 2015, auquel il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, le Tribunal de Grande Instance de PAU a :
- ordonné la conversion de la procédure de redressement ouverte à l'égard de Monsieur Antoine L. en procédure de liquidation judiciaire,
- désigné la SELARL FRANCOIS L. en qualité de liquidateur.
Dans ses conclusions du 16 décembre 2015, Monsieur Antoine L. demande de :
- A titre principal, in limine litis, annuler le jugement de première instance du 24 juin 2013,
- A titre subsidiaire, sur le fond, infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de PAU du 14 septembre 2015,
- ordonner la poursuite de la période d'observation,
- condamner la SELARL FRANCOIS L. à lui payer la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
A l'appui de sa demande, il invoque divers motifs de nullité tirés du non-respect des règles de forme de cette procédure dans la mesure où les parties ont été entendues seulement par le juge rapporteur, qu'il n'a pas été convoqué régulièrement à l'audience à laquelle la poursuite de la procédure a été examinée, que le tribunal a statué sans rapport du juge-commissaire et sans recueillir l'avis du ministère public.
Sur le fond, il explique qu'il a repris une petite exploitation fin 2005 mais qu'il n'a réellement commencé son activité qu'en mai 2011. Il déduit des règles fiscales propres aux agriculteurs qu'il n'est tenu à aucune obligation comptable particulière. S'agissant de l'achat du tracteur, il estime que le mandataire a signalé cette difficulté sans en rapporter la moindre preuve. Il considère enfin que le tribunal a renversé la charge de la preuve en lui imposant de justifier de la viabilité de son activité et de ses capacités à apurer le passif. A cet égard, il rappelle que son passif ne paraît pas insurmontable et qu'il est en mesure de le rembourser sur 14 années par des pactes mensuels de 197,91 €.
Dans des conclusions déposées le 5 février 2016, le mandataire judiciaire la SELARL FRANCOIS L., demande de :
- dire irrecevable et en tout cas mal fondé l'appel interjeté par Monsieur Antoine L.,
- débouter Monsieur Antoine L. de ses moyens de nullité,
- confirmer en toutes ses dispositions la décision de première instance,
- le condamner au paiement d'une somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
Il soutient en premier lieu qu'aucune cause de nullité ne peut être invoquée. En particulier, il estime que devant le Tribunal de Grande Instance, l'affaire peut être prise par un juge rapporteur. Il ajoute que le tribunal, saisi sur sa requête, a convoqué le débiteur ainsi que cela ressort du jugement lui-même et que l'absence du rapport du juge-commissaire n'interdirait pas à la cour d'évoquer le fond de l'affaire. Elle fait valoir que le premier juge a expressément indiqué que le ministère public n'a pas fait d'observations particulières et qu'en tout état de cause, la cour étant saisie d'un appel réformation, par l'effet dévolutif, elle doit statuer sur l'entier litige.
Sur le fond, le mandataire indique que Monsieur Antoine L. n'a fourni aucune pièce à caractère comptable pouvant démontrer qu'il était en mesure de pouvoir se redresser, qu'il persiste dans la même attitude puisqu'il ne produit de nouveau aucune pièce devant la cour. Le mandataire ajoute que depuis l'ouverture de la procédure, de nouvelles sommes sont dues notamment à la mutualité sociale agricole, de telle sorte que le passif postérieur au jugement d'ouverture est désormais de 14.564,31 €. Par ailleurs, le mandataire conteste l'inversion de la charge de la preuve invoquée par le débiteur estimant que c'est bien à ce dernier de démontrer ses possibilités de redressement.
Le ministère public, dans des conclusions du 7 février 2016, requiert de :
- déclarer l'appel recevable,
- au fond, confirmer la décision de première instance.
L'affaire a été fixée à l'audience du 8 février 2016. Elle a été renvoyée à l'audience du 4 avril 2016 à la demande du conseil de Monsieur Antoine L. afin de lui permettre de répliquer aux dernières conclusions de la SELARL FRANCOIS L., ce qu'il n'a cependant pas fait.
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les moyens de nullité soulevés par Monsieur Antoine L. :
Il convient de rappeler que, conformément aux articles R.662-1 et suivants du code de commerce, le traitement des difficultés des entreprises à l'égard d'un agriculteur est régi par le code du commerce qui renvoie à l'application des règles procédurales prévues aux articles 854 et suivants du code de procédure civile.
La possibilité de tenir les audiences à juge rapporteur est offerte devant le Tribunal de Grande Instance quelle que soit l'objet du litige, et sans qu'aucune disposition spécifique ne soit prévue pour exclure cette faculté dans le domaine des procédures collectives.
Par conséquent, il ne peut être retenu de cause de nullité résultant de la tenue à juge rapporteur de l'audience à laquelle la conversion de la liquidation judiciaire a été envisagée.
En vertu des articles L. 631-1 et L. 631-2 du code de commerce, la procédure de redressement judiciaire est applicable à ...tout agriculteur qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Cette procédure est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.
Les articles L. 640-1 et L. 640-2 du même code prévoient que la procédure de liquidation judiciaire est ouverte à tout agriculteur en cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible.
Il résulte de l'article L. 631-15 II du code de commerce « qu'à tout moment de la période d'observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire ... peut ... prononcer la liquidation judiciaire si les conditions prévues à l'article L. 640-1 sont réunies. Il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l'administrateur, le mandataire judiciaire et avoir recueilli l'avis du ministère public ».
A cet égard, l'examen des pièces de la procédure de première instance fait apparaître que le tribunal a été saisi sur requête du mandataire judiciaire déposée au greffe le 23 avril 2015 et que le débiteur a été régulièrement convoqué à l'audience du 22 juin 2015 par lettre recommandée réceptionnée le 6 mai 2015.
L'acte de saisine du tribunal est donc parfaitement valable et la décision n'encourt aucun grief de ce chef, et ce même si Monsieur Antoine L. a estimé inutile de comparaître devant ses juges.
En revanche, s'il est exact que le ministère public a été avisé de l'audience, il n'est indiqué ni dans le jugement ni dans les notes d'audience qu'il aurait été présent aux débats et aurait fait connaître oralement son avis, et aucunes réquisitions écrites ne figurent au dossier, de telle sorte qu'il y a lieu de considérer que la procédure prévue par les textes n'a pas été respectée et que le jugement encourt la nullité de ce chef.
Il résulte par ailleurs de l'article R.662-12 du code de commerce que 'le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires.'
Or, il n'est fait nulle mention tant dans le jugement que dans les notes d'audiences ou le dossier de l'existence du rapport exigé par ce texte.
Par conséquent, la nullité du jugement déféré sera prononcée compte-tenu des irrégularités constatées.
Sur l'évocation :
La nullité prononcée n'interdit cependant pas à la cour d'évoquer le fond et de statuer.
A cet égard, il y a lieu de vérifier que Monsieur Antoine L. est bien dans l'impossibilité de proposer un plan de redressement.
Dans son dossier produit devant la cour, Monsieur Antoine L. se contente de justifier de l'obtention d'une attestation d'engagement au respect du mode de production biologique délivrée le 12 décembre 2011 et de diverses publications sur les effets néfastes des pesticides mais ne communique toujours pas les éléments propres à justifier de ses capacités de redressement.
Contrairement à ses affirmations, c'est bien à lui de démontrer qu'il est en mesure de présenter un plan de redressement et la charge de la preuve n'est pas renversée lorsque la cour constate qu'il ne fournit aucun élément comptable sérieux permettant d'apprécier ses capacités à faire face non seulement à ses échéances normales mais également à celles destinées à apurer un plan de redressement.
A cet égard, la cour est tenue d'apprécier la viabilité de l'entreprise. Pour se faire, elle doit vérifier si de nouvelles dettes sont apparues en période d'observation, si l'exploitation respecte les exigences légales notamment en termes d'assurance et si les revenus actuels ou futurs du débiteur lui permettront non seulement de faire face à ses charges d'exploitation mais également à ses charges personnelles s'agissant d'une entreprise individuelle et enfin d'assumer le remboursement des créanciers selon le plan proposé.
Or, il résulte des pièces versées aux débats que :
- Monsieur Antoine L. qui exerce une activité d'élevage, et doit faire face à un passif déclaré de 28.499,73 €, n'a, malgré les délais qui lui ont été accordés, transmis aucun élément comptable au mandataire ni justifié de ce que son exploitation était assurée, ce qui fait obstacle à la poursuite de son exploitation.
- Monsieur Antoine L. qui a, dès le début de la procédure, fait part de son souhait de développer une activité de production biologique ou de ferme découverte, n'a justifié d'aucune démarche en ce sens, sauf sa participation à diverses réunions d'information, et n'a communiqué aucun document de nature a établir que de telles activités seraient viables et pourraient générer sur son exploitation des revenus suffisants pour apurer le passif.
Au surplus, après plusieurs mois de procédure, Monsieur Antoine L. ne justifie toujours pas de ses ressources actuelles, ne fournit aucune attestation d'assurance couvrant son exploitation et ne présente pas réellement de mesures propres à permettre à son entreprise de perdurer pendant la durée du plan.
De surcroît, des dettes nouvelles sont apparues postérieurement à l'ouverture de la procédure, notamment à l'égard de la MSA Sud Aquitaine pour des cotisations impayées d'un montant de 9.404,51 € et de l'administration fiscale pour une somme de 1.685 €, ce qui porte le passif constitué en cours de période d'observation à une somme de 14.564,31 €.
En conséquence, la cour ordonnera la conversion de la procédure de redressement ouverte à l'égard de Monsieur Antoine L. en procédure de liquidation judiciaire et désignera les organes de la procédure ainsi qu'il sera dit dans le dispositif de la décision.
L'équité ou la situation économique des parties ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties.
Les frais de procédure seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déboute Monsieur Antoine L. de sa demande de nullité de l'acte de saisine du Tribunal de Grande Instance de PAU,
Prononce la nullité du jugement du Tribunal de Grande Instance de PAU en date du 14 septembre 2015, pour absence d'avis du ministère public et de rapport du juge-commissaire,
Evoquant sur le fond,
Ordonne la conversion de la procédure de redressement ouverte à l'égard de Monsieur Antoine L. en procédure de liquidation judiciaire,
Désigne la SELARL FRANCOIS L. en qualité de liquidateur et Madame Christine L., vice-président au tribunal de grande instance de Pau, en qualité de juge commissaire,
Dit que le liquidateur procédera aux opérations de liquidation et qu'il établira l'ordre des créanciers,
Dit que le liquidateur poursuivra les actions introduites avant le jugement de liquidation soit par l'administrateur soit par le mandataire judiciaire et qu'il pourra introduire les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire,
Fixe à six mois à compter de la publication de cette décision, le délai dans lequel le liquidateur devra établir la liste des créances mentionnées à l'article L. 641-13 du code du commerce,
Rappelle au débiteur qu'en vertu de l'article L. 641-9 III du code du commerce, il ne peut exercer au cours de la liquidation judiciaire aucune des activités mentionnées au premier alinéa de l'article L. 640-2 du code du commerce,
Fixe à deux ans le délai au terme duquel la procédure devra être examinée, conformément aux articles L 643-9 du code du commerce et 304 du décret du 28 décembre 2005,
Dit que la présente décision sera signifiée par les soins du greffe à Monsieur Antoine L. et communiquée à la SELARL FRANCOIS L.,
Dit qu'une copie du présent arrêt sera donnée pour avis à Monsieur le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pau et à Monsieur le Procureur Général,
Dit qu'il sera procédé, par les soins du greffe, aux publicités prévues par l'article R 621-8 du Code de commerce,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les frais de procédure seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.