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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 3 mai 2017, n° 16/01379

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Caisse régional de crédit agricole Alsace Vosges, Caisse de Crédit Mutel Illkirch-Graffenstaden, Alasbail "Alsacienne de crédit bail immobilier" (SA), Publicité européenne de communication

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

M. Vallens, Mme Diepenbroek

TGI Strasbourg, du 9 mars 2016

9 mars 2016

M. C., qui exerce la profession de médecin anesthésiste, a créé un fonds de commerce d'hôtellerie. Il a exploité ce fonds dans un ensemble immobilier acheté en 2002 et cédé à la société Alsabail par un contrat de crédit-bail du 16 janvier 2009.

Il a agrandi l'hôtel par la transformation de deux maisons voisines, avec le soutien financier de deux banques la Caisse régionale de Crédit agricole et le Crédit mutuel. Il a ensuite conclu un contrat de location gérance le 27 octobre 2014 avec la société Publicité Européenne de Communication, moyennant une redevance mensuelle fixée initialement à 42 083 € ramenée 2 mois plus tard à 25 000 €. Il a enfin développé en parallèle son activité de médecin anesthésiste dans le cadre d'une Selarl C., lui procurant des revenus professionnels.

M. C. a été admis au bénéfice du redressement judiciaire par un jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 9 mars 2015.

Ce jugement n'a pas été frappé d'appel.

Au vu des rapports de Me W., administrateur judiciaire du 23 février et du 1er mars 2016, et de Me J., mandataire judiciaire du 2 mars 2016, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de M. C. et désigné Me J., mandataire judiciaire, aux fonctions de liquidateur, en ordonnant la cessation immédiate de l'activité, selon un jugement du 9 mars 2007.

M. C. a interjeté appel.

Selon ses conclusions récapitulatives du 17 juin 2016, M. C. demande à la Cour de :

annuler le jugement, subsidiairement, le réformer,

dire n'y avoir lieu à liquidation judiciaire,

renvoyer la procédure devant le tribunal afin de mettre en cause régulièrement l'ordre des médecins et le désigner comme contrôleur.

Au soutien de son appel, le débiteur expose : l'ordre des médecins dont il relève n'a pas été mis en cause, ce qui entraîne la nullité du jugement ; le seul fait d'avoir informé l'ordre des médecins n'est pas suffisant ; la procédure doit donc être renvoyée pour être régularisée avec désignation de l'ordre des médecins ; ces dispositions s'appliquent également à un jugement de conversion.

La société Alsabail, créancier désigné comme contrôleur, sollicite le rejet de l'appel comme irrecevable ou mal fondé, la confirmation du jugement et le paiement par l'appelant d'une indemnité de procédure de 4000 €.

Elle fait valoir : M. C. a lui-même conclu à la liquidation judiciaire devant le tribunal en raison d'un passif déclaré de plus de 4 50 000 € et d'un nouveau passif de 255 700 € ; la présence de l'ordre des médecins à l'audience de conversion n'est pas prévue ; l'ordre avait été informé; les dispositions invoquées ne s'appliquent qu'à l'ouverture de la liquidation judiciaire et non au prononcé de la liquidation judiciaire au cours de la période d'observation.

La Caisse régionale de Crédit agricole Alsace Vosges, créancier également désigné comme contrôleur, demande le rejet de l'appel, la confirmation du jugement, le débouté de M. C. et le paiement d'une indemnité de procédure de 5000 €.

Elle fait valoir : elle détient des créances pour 2 802 955,52 € ; le débiteur a organisé son insolvabilité par des montages ; la liquidation judiciaire est justifiée par l'impossibilité de tout redressement ; la société PEC, locataire gérant, ne règle plus les redevances prévues aux termes du contrat de location-gérance ; l'ordre étant d'office contrôleur, sa désignation n'est pas nécessaire ; la convocation et l'audition de l'ordre des médecins ne s'imposent pas pour la conversion ; l'ordre a été avisé de la date d'audience ; le motif invoqué n'est pas justifié.

La Selarl W. et G., administrateur judiciaire (Me W.) et la Selarl J. et associés, mandataire judiciaire (Me J.), désignée comme liquidateur, ont été régulièrement assignées.

Sur ce, la Cour,

Par un arrêt du 11 janvier 2017, la Cour a confirmé l'ordonnance du délégataire du Premier président qui avait jugé l'appel de M. C. recevable, en considérant qu'il n'avait pas formellement conclu à la liquidation judiciaire, même si son avocat avait jugé estimé cette solution inévitable. L'appel est donc recevable.

M. C. développe un moyen principal : l'absence de mise en cause de l'ordre des médecins dont il relève. Il ajoute cependant que la liquidation judiciaire l'aurait empêché de poursuivre des négociations alors que l'exploitation était, selon lui, bénéficiaire.

Le débiteur exerce une profession libérale réglementée : le tribunal doit donc statuer sur l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire après avoir entendu ou dûment appeler l'ordre professionnel ou l'autorité compétente dont il relève, conformément à l'article L. 621-1 al 2 du code de commerce. Cette règle s'applique également au jugement ouvrant une procédure de liquidation judiciaire en application de l'article L. 641-1 du même code.

La Cour de cassation a considéré que cette obligation ne s'appliquait pas à la conversion d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, en faisant une application littérale des textes ci-dessus.

L'article L. 622-10 du code de commerce (comme l'ancien article L 621-28) prescrit cependant au tribunal statuer après avoir entendu ou dûment appelé les contrôleurs.

L'administrateur judiciaire a par ailleurs informé la Cour qu'il avait adressé à l'ordre des médecins son rapport aux fins de conversion en liquidation judiciaire de sorte qu'il était informé de la requête.

L'audition de la convocation de l'ordre des médecins apparaît donc requis.

Or le jugement critiqué ne fait pas mention d'un avis ni d'une convocation à l'attention de cet organisme et ne vise pas non plus l'avis adressé par l'administrateur judiciaire à ce dernier.

Il apparaît d'autre part que la procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire concerne l'activité commerciale développée par M. C. et non son activité libérale, mais ce point, soulevé d'office par la Cour, a suscité de la part du conseil de M. C. l'opinion que la présence de l'ordre s'imposait d'autant plus. Il lui en sera donné acte.

Dans ces conditions, il apparaît que le jugement doit être annulé.

La Cour est néanmoins saisie par l'effet dévolutif de l'appel et ne peut renvoyer l'affaire au premier juge pour régulariser la procédure.

Elle doit en conséquence statuer sur le bien-fondé la décision critiquée.

Or, aucun texte ne prescrit à la Cour d'entendre l'ordre professionnel dont dépend le débiteur avant de statuer.

Ce moyen n'est donc pas de nature à faire obstacle à ce que la Cour se prononce.

Quant au fond, la liquidation judiciaire de M. C. a été prononcée par conversion de la procédure de redressement judiciaire antérieure, au vu d'un passif élevé supérieur à 5,7 millions €, comparé à un actif évalué par l'administrateur judiciaire à 3,5 millions €. Au passif déclaré de 4 496 771 € s'ajoute en effet le passif correspondant à la période d'observation, s'élevant à 255 700 €.

Aucune proposition sérieuse n'est faite par l'appelant, alors que la procédure de redressement judiciaire avait été ouverte le 9 mars 2015, un an avant que le tribunal se prononce sur l'issue de la procédure, au terme du délai légal fixé par l'article L 621-3 du code de commerce.

M. C. a contesté l'essentiel du passif déclaré (en discutant 3 924 126 €) mais n'a pas repris ces contestations devant la Cour et se borne à évoquer la possibilité de négociations.

Il doit également un arriéré au crédit bailleur à hauteur de 3 millions €.

Les principaux créanciers (Alsabail, Crédit agricole et Crédit mutuel) ont émis un avis négatif à la poursuite de la période d'observation et ont conclu devant la Cour à la confirmation du jugement de liquidation judiciaire.

Tant l'administrateur judiciaire, que le mandataire judiciaire et le juge commissaire ont estimé dans leurs rapports que la liquidation judiciaire était inévitable.

Aucune pièce n'est produite par l'appelant pouvant justifier une autre appréciation de ses perspectives de redressement.

M. C. se borne à prétendre qu'il aurait manqué de temps pour négocier, sans justifier de l'objet des négociations ni du contenu de ses propositions. De plus, l'administrateur judiciaire a relevé les défaillances de M. C., l'arrêt des paiements des redevances dues par PEC, qui a empêché la poursuite du règlement des dettes courantes, notamment la redevance du à Alsabail, ainsi que la mise en place par le débiteur d'une SARL qui lui a permis de percevoir les fruits de son activité professionnelle sans régler ses dettes commerciales.

Enfin, un an après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, M. C. n'a présenté aucun projet précis destiné à apurer le passif, n'a pas produit de compte de résultat de son activité et n'a pas justifié des ressources qui lui permettraient d'y faire face.

Dans ces conditions, la liquidation s'impose comme la seule issue à la situation financière du débiteur.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Annule le jugement déféré pour défaut de convocation de l'ordre des médecins,

Et, statuant sur l'entier litige,

Met fin à la période d'observation et à la mission de l'administrateur judiciaire,

Prononce la liquidation judiciaire de M. Jacques C.,

Nomme la Selarl J. et associés, mandataire judiciaire, aux fonctions de liquidateur,

Ordonne la cessation de l'activité,

Renvoie l'affaire devant le tribunal de grande instance de Strasbourg pour fixer la date à la quelle la clôture sera examinée et procéder aux publications légales,

Condamne M. C. aux frais,

Dit que les frais irrépétibles exposés par l'appelant ne constituent pas des frais privilégiés de la procédure,

Dit que les frais irrépétibles exposés par les intimés constituent des frais privilégiés de la procédure.