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Décisions

CA Nancy, 2e ch. civ., 27 juin 2012, n° 11/01968

NANCY

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cunin

Conseillers :

M. Schneider, M. Bruneau

T. com. Nancy, du 21 juin 2011, n° 2011/…

21 juin 2011

EXPOSE DU LITIGE

La société Imza a été placée en redressement judiciaire par jugement en date du 10 novembre 2010 du Tribunal de commerce de Nancy, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement en date du 2 février 2011. La SCP B. a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.

La date de la cessation des paiements a été fixée au 11 mai 2008.

La SCP B. a prétendu que Monsieur O., le gérant, avait commis des malversations d'une gravité telle qu'elles justifiaient la saisine du Tribunal de commerce en extension de la procédure de liquidation judiciaire à celui-ci.

Par jugement en date du 21 juin 2011, le Tribunal de commerce de Nancy a rejeté sa demande.

La SCP B., ès qualité, a relevé appel de ce jugement et demande à la Cour de l'infirmer en prononçant l'extension de la procédure de liquidation judiciaire à Monsieur O. et en condamnant celui-ci à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle prétend que Monsieur O. a totalement confondu son patrimoine avec celui de la société, ainsi qu'il ressort des vérifications de l'administration fiscale. Elle souligne que le passif déclaré s'élève à la somme de 1.054.143 euros, dont 852.000 euros déclaré par le Trésor public, et que le redressement fiscal s'élève à la somme de 689.000 euros. Elle estime donc que les agissements de Monsieur O. manifestent des flux financiers anormaux et une confusion de patrimoines.

Monsieur O. demande à la Cour de déclarer nulle la procédure de première instance, compte tenu de l'absence de rapport du Juge commissaire, de la présence dans la formation de jugement du Juge commissaire suppléant et de l'absence d'audition du débiteur.

Subsidiairement, il demande la confirmation du jugement. Il sollicite enfin la condamnation de la SCP B., ès qualité, à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il prétend en effet que, si des irrégularités sont démontrées, la preuve d'une confusion des patrimoines n'est pas rapportée. Il soutient en effet que le patrimoine de la société et le sien propre sont parfaitement dissociables et que les flux financiers constatés entre ceux-ci ne caractérisent pas une confusion de patrimoines.

Monsieur l'Avocat général a eu communication du dossier.

MOTIFS DE LA DECISION

La régularité de la procédure :

L'audition du débiteur :

Attendu que Monsieur O. fait grief au Tribunal de commerce de ne pas l'avoir entendu en méconnaissance des dispositions de l'article L. 621-1 du code de commerce ; qu'il prétend que cette formalité est substantielle, de sorte que la procédure de première instance doit être annulée ;

Attendu que la SCP B. expose que Monsieur O. a été assigné et a constitué avocat, de sorte qu'il a pu assurer sa défense ; qu'il estime donc que les dispositions de cet article ont été respectées ;

Attendu que la SCP B., ès qualité de liquidateur de la société Imza, a fait délivrer une assignation le 21 janvier 2011 à Monsieur O. en vue d'obtenir l'extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société Imza à Monsieur O. « après avoir convoqué et entendu Monsieur O. en chambre du conseil » ;

Attendu qu'il n'apparaît pas des pièces de la procédure et des mentions du jugement que Monsieur O., assigné en extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Imza, a été entendu ou appelé en chambre du conseil par le Tribunal ; qu'en effet le fait qu'il ait constitué avocat et ait déposé des conclusions ne peut pas suppléer son audition en chambre du conseil imposée par l'article L. 621-1 du code de commerce ;

Attendu en conséquence que l'absence d'audition du débiteur en chambre du conseil constitue une irrégularité substantielle qui entache le jugement et justifie son annulation ;

Le rapport du Juge commissaire :

Attendu que Monsieur O. reproche au Tribunal de commerce d'avoir statué sans que le Juge commissaire ait été entendu en son rapport en méconnaissance des dispositions de l'article R. 662-12 du code de commerce ;

Attendu que la SCP B. fait état de l'existence d'un rapport déposé par le Juge commissaire et prétend qu'à supposer que l'existence de ce rapport ne soit pas prouvée, la Cour peut statuer en raison de l'effet dévolutif de l'appel ;

Attendu qu'il ne ressort pas de l'examen de la procédure et des mentions du jugement que le Juge commissaire ait déposé un rapport ; que pourtant l'article R. 662-12 du code de commerce dispose que le Tribunal statue sur le rapport du Juge commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8 ;

Attendu que la méconnaissance des dispositions de cet article constitue une irrégularité substantielle qui justifie le prononcé de la nullité du jugement ;

La présence du Juge commissaire suppléant :

Attendu enfin que Monsieur O. fait grief au jugement d'avoir statué, alors que Monsieur F., Juge commissaire suppléant, faisait partie de la composition du Tribunal, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 651-3 du code de commerce transposable en cas de procédure en extension d'une liquidation judiciaire ;

Attendu que la SCP B. fait observer que la loi ne prévoit pas que, dans une instance en extension de la procédure collective, le Juge commissaire ne puisse siéger et participer au délibéré ; qu'il estime donc que ce moyen doit être rejeté ;

Attendu que le code de commerce fait interdiction au Juge commissaire de siéger et de participer au délibéré dans le cas d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actifs (L. 651-2) ou d'une action tendant à une sanction de faillite personnelle (L. 653-7) ; que la sanction de la nullité pour ce motif n'est pas prévue en cas d'action en extension de la procédure de liquidation judiciaire ; que le moyen développé par Monsieur O. sera en conséquence rejeté ;

La sanction des irrégularités :

Attendu que Monsieur O. prétend que les sanctions pour irrégularité de la procédure entachent l'ensemble de la procédure, qui doit être annulée ; qu'il ajoute que le contradictoire n'a pas été respecté et que le principe du procès équitable a été méconnu ;

Attendu que la SCP B. fait observer que les nullités alléguées ne portent pas sur la saisine du Tribunal, mais affectent la procédure postérieure, de sorte que, par l'effet dévolutif de l'appel, la Cour reste saisie et peut statuer ;

Attendu que l'article 562 du code de procédure civile dispose en son second alinéa que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ;

Attendu qu'en l'espèce les irrégularités relevées sont d'une gravité telle qu'elles justifient l'annulation du jugement ; que cependant elles ne concernent pas l'acte de saisine, mais la régularité de la procédure devant le Tribunal ; qu'il suit que la Cour est compétente en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, pour statuer au fond sur le litige ;

La confusion des patrimoines :

Attendu que la SCP B. fait valoir que plusieurs contrôles fiscaux ont mis en évidence des malversations réalisés par Monsieur O. dans la gestion de la société Imza et prétend que celles-ci caractérisent une confusion des patrimoines de la société et de son gérant et démontrent l'existence de flux financiers anormaux ;

Attendu que les pièces du dossier, principalement les propositions de rectification émanant des services fiscaux, mettent ainsi en évidence des anomalies dans la comptabilité de la société Imza et des flux financiers anormaux entre cette société et Monsieur O. ;

Attendu que des charges acquittées par la société Imza l'ont été en fait au profit de Monsieur O. pour un montant global de 80.993 euros ; qu'ainsi Monsieur O. s'est fait livrer sur le compte de la société Imza des matériels destinés à équiper sa maison d'habitation et a fait réaliser chez lui une chape de béton à la charge de la société ; qu'il s'est fait facturer des frais kilométriques injustifiés et a loué un véhicule à la charge de la société ;

Attendu qu'une prime exceptionnelle de 45.000 euros a été versée par la société Imza à Monsieur O. vraisemblablement afin de rétablir son compte débiteur dans la comptabilité de la société ;

Attendu que des mouvements anormaux ont été constatés sur ce compte courant caractérisés par une double facturation (14.310 euros), une vente de véhicule non justifiée (37.000 euros), le versement de salaires ne correspondant pas aux bulletins de salaires (22.047 euros), le paiement prétendu de fournisseurs ou des organismes sociaux, la vente à son profit d'un véhicule de la société (18.000 euros) ;

Attendu enfin qu'un compte ouvert au Luxembourg, qui fonctionnait sous la seule signature de Monsieur O., lui a permis d'appréhender d'une somme de 127.651 euros ; que cette somme n'apparaît pas dans la comptabilité de la société Imza et ne lui a pas été reversée ;

Attendu que la confusion de patrimoines suppose que soit prouvée l'impossibilité de dissocier les patrimoines, les actifs et passifs de la société et de Monsieur O. étant mêlés au point de ne pouvoir être attribués à l'un ou à l'autre ;

Attendu qu'en l'espèce, il ressort de la procédure de redressement fiscal que les comptes entre Monsieur O. peuvent être reconstitués en attribuant à la société Imza les sommes indument appréhendées par Monsieur O. et en restituant à celle-ci les sommes correspondant à des dépenses faites au profit de Monsieur O. ; que la société Imza disposait en effet d'une comptabilité autonome qui a fait l'objet d'une vérification par l'administration fiscale ; qu'il suit que les patrimoines de la société Imza et de Monsieur O. sont dissociables, malgré la confusion résultant des malversations opérées par ce dernier ;

Attendu que des relations financières anormales entre la société Imza et Monsieur O. ont été révélées par l'administration fiscale ; qu'en effet Monsieur O. a appréhendé des sommes devant revenir à la société Imza sans justification, ni contrepartie ; qu'il s'est fait notamment attribuer une prime de 45.000 euros sans justification, sauf la volonté de couvrir son compte courant débiteur au sein de la société, et a fait fonctionner à son profit un compte ouvert au Luxembourg ;

Attendu cependant que ces flux financiers anormaux ne caractérisent pas une confusion des patrimoines, puisque les opérations frauduleuses sont identifiables et ne rendent pas impossible la détermination de la consistance de chacun des patrimoines ;

Attendu qu'il convient dans ces conditions de débouter la SCP B., ès qualité, de ses demandes ;

Les autres demandes :

Attendu que la SCP B., ès qualité, qui succombe en son appel, sera déboutée de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée aux dépens d'appel ; que compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu à application au profit de Monsieur O. des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Vu la communication du dossier au Parquet général,

Annule le jugement en date du 21 juin 2011 du Tribunal de commerce de Nancy.

Vu l'article 562 du code de procédure civile,

Déboute la SCP B., ès qualité, de sa demande en extension à Monsieur O. de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société Imza.

Déboute la SCP B., ès qualité, de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute Monsieur O. du surplus de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SCP B., ès qualité, aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP L. W. M., avocats associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.