Cass. com., 7 octobre 2020, n° 19-13.560
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Vallansan
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SCP Gadiou et Chevallier, SCP Yves et Blaise Capron
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 janvier 2019), la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur (la banque) a consenti un prêt à Mme P, entrepreneur individuel, le 3 janvier 2006. Cette dernière a fait publier une déclaration d'insaisissabilité de sa résidence principale le 3 mai 2010. Elle a été mise en liquidation judiciaire le 7 octobre 2014, la procédure étant clôturée le 3 novembre 2015.
2. La banque, qui avait, sur autorisation du juge de l'exécution, fait inscrire, le 9 novembre 2014, une hypothèque provisoire sur l'immeuble a, le 16 novembre suivant, assigné Mme P en paiement de sa créance. Cette dernière a opposé l'irrecevabilité de la demande et sollicité la levée de l'hypothèque.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. Mme P fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de mainlevée de l'hypothèque provisoire, alors « que le droit pour le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable d'agir en cours de procédure en ce qu'il est directement lié au périmètre de la procédure – biens objet de la poursuite non inclus dans la procédure collective – ne saurait perdurer après la clôture de la liquidation dès lors, d'une part, qu'il expose le débiteur à des poursuites sans fin, d'autre part, est lié au périmètre d'une procédure désormais clôturée et, enfin, crée une trop grande inégalité entre les créanciers ; qu'il en résulte que le créancier ne peut être admis, après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif, à procéder à une inscription d'hypothèque provisoire sur un immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 643-11-I du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt retient exactement qu'un créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur celui-ci indépendamment de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble.
5. Il en résulte que rien ne lui interdit, tant que sa créance n'est pas prescrite, de faire inscrire une hypothèque provisoire sur ce bien dans les conditions du droit commun, lequel s'applique aussi à la demande de mainlevée d'une telle mesure conservatoire.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur moyen, relevé d'office
7. Conformément aux dispositions des articles 620, alinéa 2, et 1015, du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 526-1, L. 622-7 et L. 622-21 du code de commerce :
8. Si le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable bénéficie d'un droit de poursuite sur cet immeuble, il n'en demeure pas moins soumis au principe d'ordre public de l'arrêt des poursuites ainsi qu'à l'interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d'ouverture. Il en résulte que, s'il doit être en mesure d'exercer le droit qu'il détient sur l'immeuble en obtenant un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance, cette action ne peut tendre au paiement de celle-ci.
9. Pour condamner Mme P à payer à la banque la somme de 19 411,76 euros, l'arrêt retient que celle-ci, à laquelle la déclaration d'insaisissabilité publiée par Mme P était inopposable, est bien fondée à agir individuellement contre la débitrice aux fins d'obtenir un titre exécutoire portant condamnation.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui aurait dû se borner à constater l'existence, le montant et l'exigibilité de la créance, sans prononcer de condamnation à paiement, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne Mme P à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Provence-Côte d'Azur la somme de 19 411,76 euros au titre du prêt n° [] et dit que cette somme produira intérêts au taux conventionnel à compter du 10 septembre 2015 et jusqu'à parfait paiement, l'arrêt rendu le 10 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.