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Décisions

Cass. com., 12 novembre 2020, n° 19-18.849

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ipsa Holding (SAS), CBF Associés

Défendeur :

Alpha Petrovision Holding (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Bélaval

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocat :

SCP Ortscheidt, SCP Thouin-Palat et Boucard

Paris, du 14 mai 2019

14 mai 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mai 2019), par une convention du 9 septembre 2011, la société de droit suisse Alpha Petrovision Holding (la société APV) a cédé à la société ACG Private Equity (la société ACG) la totalité des titres de la société de droit français IPSA, gestionnaire de fonds communs de placement, moyennant le prix de 1 euro dans l'attente de la liquidation des fonds, et de deux compléments de prix, l'un représentant 50 % du résultat de la société IPSA, dit Earn Out, et l'autre assis sur les performances des fonds. En mars 2012, la société ACG a cédé les titres à la société de droit français IPSA Holding qui s'est substituée à la société ACG dans l'ensemble de ses droits et obligations.

2. Le 12 novembre 2014, la société APV a engagé une procédure d‘arbitrage pour régler un différend relatif au paiement des compléments de prix. Le tribunal arbitral a rendu à Zurich, le 23 décembre 2016, une sentence condamnant la société IPSA Holding à payer à la société APV une somme de 3 310 399,16 euros en principal et intérêts, outre intérêts ultérieurs, frais et dépens.

3. Le 9 janvier 2017, un tribunal a ouvert la procédure de sauvegarde de la société IPSA Holding, la société CBF associés, en la personne de M. B, étant désignée administrateur, et la société I. O., en la personne de Mme O, étant désignée mandataire judiciaire. La société APV a déclaré sa créance qui a été contestée.

4. Le 8 mars 2017, la société APV, en liquidation amiable, a déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence arbitrale en demandant la délivrance d'une expédition revêtue de la formule exécutoire. Il y a été fait droit par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 10 mars 2017 qui a déclaré la sentence exécutoire. La société IPSA Holding a fait appel de l'ordonnance.

5. Par une ordonnance du 22 mai 2018, le juge-commissaire, saisi de la demande d'admission de la créance de la société APV, a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel statuant sur l'appel de l'ordonnance d'exequatur.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident qui est préalable

Enoncé du moyen

6. La société APV fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent, alors « que l'exequatur n'étant pas un acte d'exécution, l'ouverture en France d'une procédure collective à l'égard d'un débiteur condamné par un tribunal arbitral à l'étranger est sans incidence sur l'exequatur de la sentence arbitrale ; qu'en considérant, pour infirmer l'ordonnance d'exequatur du 10 mars 2017 en ce qu'elle rend exécutoire une condamnation à paiement de sommes d'argent, que l'exequatur ne pourrait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence et ne saurait, sans méconnaître le principe d'arrêt des poursuites individuelles, rendre exécutoire une condamnation à paiement, la cour d'appel a estimé à tort que l'exequatur serait une mesure d'exécution forcée et a violé l'article 1516 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt énonce que le principe de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers est à la fois d'ordre public interne et international et, après avoir relevé que la sentence litigieuse du 23 décembre 2016, revêtue dès sa reddition, de l'autorité de chose jugée, avait condamné la société IPSA Holding à payer diverses sommes à la société APV, et que le tribunal a ouvert la procédure de sauvegarde de la société IPSA Holding le 9 janvier 2017, retient exactement que l'exequatur ne saurait, sans méconnaître le principe susvisé, rendre exécutoire une condamnation du débiteur à paiement de sommes d'argent.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La société IPSA Holding, la société CBF associés, en la personne de M. B, ès qualités, et la société I.-O, en la personne de Mme O, ès qualités, font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance d'exequatur en ce qu'elle emporte reconnaissance de la sentence, alors :

« 1°) qu'il résulte des articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 624-2 du code de commerce qu'en l'absence d'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la sauvegarde du débiteur, le créancier, après avoir déclaré sa créance, ne peut faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances ; que seule une décision par laquelle le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher une contestation relative à une créance déclarée et sursoit à statuer, en conséquence, sur son admission, peut inviter les parties à saisir la juridiction compétente ; qu'il s'ensuit qu'après avoir déclaré sa créance, un créancier ne peut saisir directement le juge d'une demande d'exequatur ou de reconnaissance d'une sentence arbitrale et doit attendre la décision du juge-commissaire l'invitant à saisir le juge compétent, lors même que la contestation ou la créance ne relève pas, a priori, du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire ; qu'en statuant comme elle a fait, après avoir constaté que la société IPSA Holding avait été placée en sauvegarde par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 janvier 2017, que la société APV avait déclaré sa créance au passif de la société IPSA Holding le 16 février 2017 et ensuite déposé une requête aux fins d'exequatur de la sentence le 8 mars 2017, sans attendre la décision du juge-commissaire qui a seul le pouvoir de statuer sur la régularité de la déclaration de créance, lequel ne s'est prononcé que par une ordonnance du 22 mai 2018 en ordonnance uniquement un sursis à statuer, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 622-21, L. 622-22, L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, ensemble l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°) que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en confirmant l'ordonnance du 10 mars 2017 rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris, en ce qu'elle emportait reconnaissance de la sentence rendue le 23 décembre 2016, la société APV sollicitant pourtant uniquement, dans ses dernières conclusions, la confirmation de cette ordonnance en ce qu'elle avait conféré l'exequatur à la sentence arbitrale, sans en demander la reconnaissance, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

3°) que le juge doit observer et faire observer le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que dans les circonstances de l'espèce, l'exequatur ne pouvait avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence, sans préalablement inviter les parties à s'expliquer sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. L'arrêt retient que la sentence ne pouvant être contestée, conformément aux dispositions de l'article 1525 du code de procédure civile, que par la voie de l'appel de l'ordonnance d'exequatur et pour les motifs limitativement énumérés par ce texte, il appartient au créancier de solliciter l'exequatur lorsque la vérification des créances fait apparaître une contestation à l'égard de laquelle le juge-commissaire n'est pas compétent, que l'exequatur prononcé dans de telles circonstances ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l'opposabilité en France de la sentence et que l'ordonnance d'exequatur rendue le 10 mars 2017, postérieurement à la déclaration de la créance résultant de la sentence, échappe au grief de violation du principe d'ordre public international de l'arrêt des poursuites individuelles du débiteur par les créanciers en ce qui concerne ce seul effet de reconnaissance. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui était saisie par la société APV de conclusions demandant l'exequatur de la sentence afin d'en intégrer les dispositions dans l'ordre juridique interne, a exactement déduit, sans méconnaître l'objet du litige ni le principe de la contradiction, que l'exequatur pouvait, en l'espèce, être accordé dans le but, non de conférer à la sentence arbitrale la force exécutoire d'une décision de condamnation du débiteur, mais exclusivement de permettre à la société APV de faire reconnaître son droit de créance.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société IPSA Holding, la société CBF associés, en la personne de M. B..., ès qualités, et la société I.-O, en la personne de Mme O ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que dans ses dernières conclusions d'appel, déposées et signifiées le 3 décembre 2018, la société IPSA Holding faisait très précisément valoir que la méconnaissance du principe de la contradiction par le tribunal arbitral résultait de ce que sa décision relative aux postes de dépenses, dans la seconde partie de sa sentence arbitrale, avait été prise en considération de critères qu'ils avaient définis dans la première partie de cette sentence, qui ne correspondaient ni à la position du demandeur à l'arbitrage, la société APV, pour laquelle toutes les charges devaient être traitées de la même manière, sans distinction, ni à celle du défendeur à l'arbitrage, la société IPSA Holding, laquelle estimait que toutes les dépenses exceptionnelles relatives à la gestion de la société avant le closing devaient être exclues du calcul du plafond de dépenses, puisque le tribunal arbitral avait au contraire jugé que ces dépenses ne devaient être exclues du calcul du plafond des dépenses que si elles résultaient de violation des déclarations et garanties prévues au contrat ; qu'elle ajoutait que ce qui était donc reproché au tribunal arbitral, c'est de ne pas l'avoir mise en mesure de fournir sa propre argumentation poste par poste s'agissant de ces dépenses, au regard des critères préalablement retenus dans la sentence ne correspondant pas à ceux proposés par les parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que la discussion des charges poste par poste avait été introduite dans le débat par la note de calcul déposée par la société IPSA Holding et contestée par la société APV, et qu'elle avait du reste été l'objet de l'audition par les arbitres du témoin de la société IPSA Holding, comme le relevait le tribunal fédéral suisse, sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Dès lors que le tribunal arbitral était saisi d'une discussion sur l'interprétation à donner à la clause de la convention de cession des titres fournissant les règles de calcul du complément de prix dit Earn out, supposant que soient déterminées les charges susceptibles d'être intégrées à ce calcul, la cour d'appel, en relevant que la société IPSA Holding avait remis au tribunal arbitral des documents détaillant, poste par poste, les différents éléments intervenant, selon elle, dans le calcul de l'Earn out, chacun des postes étant contesté par la société APV, et en retenant que la discussion des charges poste par poste avait été introduite dans le débat par la note de calcul déposée par la société IPSA Holding et contestée par la société APV, et avait été l'objet de l'audition par les arbitres du témoin de la société IPSA Holding, a répondu, en les écartant, aux conclusions invoquées.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident.