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Décisions

Cass. 3e civ., 12 novembre 2020, n° 19-16.927

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Financière de la Marne (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Collomp

Avocat général :

M. Sturlèse

Avocats :

SARL Cabinet Munier-Apaire, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Yves et Blaise Capron

Paris, pôle 5, ch. 3, du 16 janv. 2019

16 janvier 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), par acte du 10 décembre 2014, Mme N... a vendu à la société Financière de la Marne le local donné à bail commercial à la société [...] .

2. Cette société a assigné Mme N... et la société Financière de la Marne en nullité de la vente. Elle a demandé à être substituée à l'acquéreur en se prévalant du droit de préemption prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société [...] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en annulation ou inopposabilité de la vente et tendant à lui donner acte de ce qu'elle entendait se prévaloir du droit de préemption instauré par l'article L. 145-46 -1 du code de commerce, de sa demande en remboursement des loyers et charges, à la restitution du dépôt de garantie et au paiement de dommages et intérêts, alors « que l'article 14 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, a instauré un droit de préemption au bénéfice du locataire commercial en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal dans lequel est exploité le fonds, codifié à l'article 145-46-1 du code de commerce ; que l'article 21, III, de la loi du 18 juin 2014, précise que ce droit de préemption « s'applique à toute cession d'un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la même loi » ; que toute vente intervenue à compter du 1er décembre 2014 l'a été à compter du sixième mois suivant la promulgation de la loi, de sorte que la loi nouvelle lui est applicable ; qu'en l'espèce, la vente litigieuse ayant été conclue le 10 décembre 2014 au profit de la société Financière de la Marne, soit après la date d'entrée en vigueur de l'article 14 de la loi du 18 juin 2014, la société [...] était fondée à se prévaloir d'un droit de préemption qui existait lors de la vente ; que pour la débouter néanmoins de sa demande d'annulation de la vente du 10 décembre 2014 et de son droit à se prévaloir du droit de préemption instauré par l'article L.145-46-1 du code de commerce, la cour d'appel a énoncé que si le législateur avait souhaité que l'entrée en vigueur différée de l'article 14 de la loi du 18 juin 2014 soit fixée au 1er décembre 2014, il aurait utilisé la formule « à compter du premier jour du sixième mois suivant la promulgation » quand l'emploi, dans l'article 21, III, de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 du terme « à compter du sixième mois » visait le sixième mois calendaire et non pas un délai de six mois, de sorte que la cour d'appel en a violé les termes.»

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 21, III, de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, l'article 14 de cette loi, qui a institué un droit de préemption au bénéfice du locataire en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal, s'applique à toute cession d'un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi.

5. Cette disposition, interprétée à la lumière des travaux parlementaires, doit être entendue comme signifiant que l'article L. 145-46-1 du code de commerce s'applique à toute cession conclue six mois après la promulgation de la loi, soit le 18 décembre 2014.

6. En conséquence, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la vente du local conclue le 10 décembre 2014 n'était pas soumise à l'article L. 145-46-1 précité.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8. Mme N... fait grief à l'arrêt de dire que la demande de la société [...] de dommages-intérêts pour rupture fautive des pourparlers était recevable, alors « que les parties ne peuvent expliciter en appel que les seules prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises aux premiers juges, et ne peuvent ajouter à celles-ci que les seules demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; que ne sont pas virtuellement comprises dans les demandes soumises aux premiers juges, les demandes formées pour la première fois en cause d'appel qui ont des objets différents et reposent sur des moyens distincts de celles formées en première instance ; qu'en l'espèce, la société [...] avait demandé aux premiers juges (cf. production n° 7), à titre principal, d'annuler la vente du local où elle exerçait son commerce, intervenue entre Mme N... et la société Financière de la Marne, et, à titre subsidiaire, de lui déclarer ladite vente inopposable, de lui donner acte de ce qu'elle entendait se prévaloir de son droit de préemption, d'enjoindre à Mme N... de donner mandat au notaire de rédiger un nouvel acte de vente au profit de la société [...] , de condamner solidairement la société Financière de la Marne et Mme N... à rembourser les loyers et charges versés le jour de la vente, et de condamner les défenderesses à verser à la société [...] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; que pour la première fois en cause d'appel, et à titre très subsidiaire, la société [...] avait formé une demande tendant au paiement de dommages-intérêts contre Mme N..., fondée sur une faute que celle-ci aurait commise dans la rupture des pourparlers précontractuels menés avec la société [...] , qui souhaitait acquérir le local litigieux, en parallèle de la négociation ayant finalement abouti à la vente du local au profit de la société Financière de la Marne ; qu'en jugeant cette demande recevable, en se fondant de manière inopérante sur la circonstance que la société [...] avait « évoqué » en première instance le comportement de Mme N... dans le cadre des pourparlers précontractuels, quand cette demande, nouvelle en cause d'appel, avait un objet différent et reposait sur des moyens distincts des demandes formées en première instance, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 566 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 6 mai 2017 :

9. Aux termes de ce texte, les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

10. Pour déclarer recevable la demande nouvelle en appel de la société [...] en paiement de dommages-intérêts pour rupture fautive de pourparlers, l'arrêt retient que cette société avait évoqué en première instance le comportement de Mme N... lors des pourparlers pré-contractuels.


11. En statuant ainsi, alors que la demande nouvelle formée en appel et tendant à l'indemnisation d'un préjudice causé par une rupture fautive de pourparlers n'était pas virtuellement comprise dans les demandes en nullité ou en inopposabilité de la vente soumises aux premiers juges et n'en était pas l'accessoire, la conséquence ou le complément, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau prononcé sur le fond.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle déclare recevable la demande de la société [...] en indemnisation du préjudice qu'aurait causé la rupture fautive de pourparlers pré-contractuels et en ce qu'il condamne Mme N..., à ce titre, à payer à la société [...] la somme de 10 000 euros, l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.