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Décisions

Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.959

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Dehe TP, SCP Laureau et Jeannerot (ès qual.)

Défendeur :

Gagneraud construction

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Paris, du 26 janv. 2011

26 janvier 2011

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2011), que la société Dehe TP, invoquant la rupture fautive de pourparlers par la société Gagneraud construction, portant sur la cession à celle-ci de trois fonds de commerce, a fait assigner cette société en vue d'obtenir l'indemnisation du préjudice en résultant ; qu'en cours d'instance, la société Dehe TP a été mise en redressement judiciaire, la SCP Laureau et Jeannerot étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan et M. X... en qualité de mandataire judiciaire ;

Attendu que la société Dehe TP, la SCP Laureau et Jeannerot et M. X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement et rejeté leur demande tendant à la condamnation de la société Gagneraud construction au paiement d'une certaine somme au titre de la rupture fautive des pourparlers, alors, selon le moyen :

1°) que les juges du fond ne peuvent se fonder exclusivement pour établir un fait sur une pièce émanant de la partie qui s'en prévaut et sur laquelle pèse la charge de la preuve ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'abandon du projet d'achat était justifié, dès lors qu'une visite sur le site d'Ourville le 22 décembre 2005 avait mis en lumière des écarts entre les prix pratiqués et de revient et que des éléments n'avaient pas été fournis concernant l'achèvement de chantiers et des travaux facturés ; qu'en se fondant ainsi sur l'attestation d'un responsable de la société Gagneraud construction, M. Y..., pour établir la réalité de la visite et de ses conclusions, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

2°) que la cour d'appel s'est également fondée sur l'attestation de M Z..., lui aussi responsable de la société Gagneraud construction, pour établir que cette dernière n'aurait participé à diverses réunions que pour obtenir un parfait éclairage de la situation; qu'en se fondant ainsi sur une pièce que cette dernière s'était constituée à elle-même, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

3°) que les négociations devant être menées de bonne foi et loyalement, celui qui rompt tardivement et brusquement des pourparlers engage sa responsabilité délictuelle envers l'autre partie, notamment s'il ne laisse pas à son partenaire dans des négociations très avancées la possibilité de lever les obstacles dont il entend se prévaloir pour rompre les pourparlers ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la rupture par la société Gagneraud construction, le 26 janvier 2006, des pourparlers très avancés entrepris avec la société Dehe TP n'était pas fautive, pour résulter de la prise de connaissance par cette dernière d'une étude ayant révélé d'importants écarts entre les prix pratiqués et les prix de revient de l'agence d'Ourville et une méconnaissance de travaux facturés et de l'état d'avancement de certains chantiers ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur le caractère brutal et tardif de la rupture survenue brusquement le 26 janvier 2006, après que la société Gagneraud a participé le jour même à deux réunions sans démentir la persistance de son intention d'acquérir les fonds le 1er février 2006, et sans constater que la société Gagneraud construction avait laissé à son partenaire la possibilité de palier les carences par lesquelles elle justifiait la rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

4°) que la rupture de pourparlers est fautive si son auteur a laissé croire à son partenaire que le contrat allait être conclu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la société Gagneraud construction n'avait pas laissé croire à la société Dehe TP que l'issue des négociations était certaine, en lui faisant procéder, par exemple, à des licenciements, en effectuant diverses démarches anticipant ces cessions, en lui adressant des projets d'actes corrigés le 20 janvier 2006 et en participant à des réunions jusqu'au 26 janvier, jour de la rupture, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

5°) que les négociations devant être menées loyalement, il ne peut être reproché à une partie à des pourparlers avancés de n'avoir pas mené de pourparlers parallèles avec un tiers ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a, par motifs adoptés du jugement, relevé que l'existence d'un lien de causalité n'était pas démontrée entre l'abandon de son projet d'achat par la société Gagneraud construction et son préjudice, dès lors qu'en l'absence de promesse de vente ou de clause d'exclusivité, il ne lui était pas interdit d'entamer des pourparlers avec d'autres acquéreurs potentiels ; qu'en statuant ainsi, bien qu'elle ait constaté que les pourparlers avec la société Gagneraud construction étaient très avancés et bien que les obligations de loyauté et de coopération pesant sur la société Dehe TP l'empêchaient de mener des négociations parallèles dont elle avait toute raison de penser qu'elles n'aboutiraient pas, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur les seules attestations dont font état les deux premières branches, a souverainement apprécié le sens et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, relatifs à des faits juridiques dont la preuve peut être rapportée par tous moyens ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant retenu que la société Gagneraud s'était déterminée le 26 janvier 2006, après avoir pris connaissance d'une étude, conduite au cours du même mois, révélant des éléments non conformes sur le site de l'un des fonds de commerce et de nature à jeter un doute sur le devenir de ce fonds, la cour d'appel a pu en déduire, sans avoir à procéder à d'autres recherches, que cette société avait pu, malgré des pourparlers très avancés et alors que son projet d'acquisition portait initialement sur les trois sites , mettre fin légitimement aux pourparlers ;

Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt relève qu'il résulte des différents échanges entre les parties que la société Gagneraud n'entendait se déterminer définitivement qu'après avoir pu apprécier de façon précise la situation exacte de chacun des trois sites, ce qu'elle avait encore expressément indiqué dans un courrier du 12 janvier 2006 rappelant les difficultés qu'elle avait rencontrées après l'achat antérieur d'autres établissements de la société Dehe TP ; qu'en l'état de ces constatations faisant ressortir que la société Gagneraud n'avait pas entretenu son partenaire dans la croyance d'une issue certaine des pourparlers, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.