Cass. com., 22 mars 2017, n° 15-14.875
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Allegro Partners (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocat :
Me Haas, SCP Odent et Poulet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 janvier 2015), que M. [L], gérant de la société Allegro Partners (la société Allegro), a transmis, le 29 décembre 2011, à M. [F], dirigeant de la société Groupe [V] [F] (la société [F]), une lettre d'intention confirmant l'intérêt de sa société pour la reprise de la totalité des actifs de la société [F] à un certain prix ; qu'après plusieurs modifications du projet de cession, M. [L] a adressé, le 6 mars 2012, une nouvelle lettre d'intention d'acquérir la totalité des actions de la société [F] sous diverses conditions ; que M. [F] a donné son accord ; que lors du rendez-vous de signature du protocole de cession le 6 avril 2012, une divergence d'interprétation de la clause concernant le prix est apparue entre les parties et la cession n'a pas été conclue ; que la société [F] et ses associés ont assigné la société Allegro en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive des pourparlers ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Allegro fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société [F] la somme de 107 160 euros au titre de la rupture abusive des pourparlers et de rejeter sa demande d'imputation à M. [F] de la rupture fautive de ces pourparlers et de dommages-intérêts de ce chef alors, selon le moyen :
1°) que pour justifier que la rupture des pourparlers engagés avec la société [F] était intervenue à l'initiative de cette dernière, la société Allegro avait fait valoir qu'en l'état du désaccord survenu sur le sens et la portée de la lettre d'intention relative aux conditions du prix de cession, elle avait, consécutivement à l'échec de la réunion intervenue entre les parties, le 6 avril 2012, reformulé une offre d'acquisition par courriel du 27 avril 2012, qui avait été refusée par les associés de la société [F] par une lettre du 4 mai 2012, lesquels avaient alors exigé la régularisation de la vente selon les termes du protocole du 6 avril 2012 ; que pour écarter ce moyen, la cour a retenu que la société Allegro ne pouvait se prévaloir de ces circonstances dès lors qu'elle avait été elle-même « l'initiatrice » de la rupture des pourparlers, « qui était alors consommée » au moment des propositions réitérées par cette société et, a fortiori, du refus qu'y a opposé la société [F] ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir retenu aucun acte exprimant la volonté, claire et sans équivoque, de la société Allegro d'opérer une rupture des pourparlers en cours, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°) que la cour d'appel a constaté qu'au 6 avril 2012, les pourparlers étaient toujours en cours, de sorte que leur rupture était en principe libre, et qu'il existait une divergence d'interprétation sur les stipulations de la lettre d'intention relatives au prix ; qu'elle a cependant jugé que la société Allegro avait abusivement rompu ces pourparlers « en modifiant unilatéralement, sans motif, ni explication préalable, à quelques jours d'un rendez-vous qui devait être consacré à la signature des actes juridiques concluant une cession négociée avec sérieux depuis quelques semaines dont les conditions de détermination du prix envisagé étaient fixées par des projets rédigés pour l'essentiel par ses conseils » ; qu'en se déterminant ainsi, sans indiquer la nature de cette « modification » prétendument introduite dans les conditions de détermination du prix ni en quoi elle rompait avec l'interprétation que la société Allegro soutenait avoir toujours fait de ces conditions, qui étaient celles de son propre engagement, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°) que, selon les constatations de la cour, le prix de la cession - à supposer qu'il ait été l'objet de la « modification » invoquée par l'arrêt - n'avait donné lieu à aucun accord « ferme et définitif » au 6 avril 2012, aucune « discussion tangible » n'étant intervenue « quant à son calcul définitif, aux valeurs à retenir et aux modalités précises de paiement » et les parties n'ayant pas « la même interprétation de la portée de la clause relative au "prix d'acquisition initial" » ; qu'il s'ensuit que le prix et les modalités de sa fixation, n'ayant jamais été fixés « dans "des termes mutuellement acceptables" », n'étaient pas susceptibles d'avoir été « modifiés unilatéralement » par la société Allegro ; qu'en jugeant supposément le contraire, la cour a violé l'article 1382 du code civil ;
4°) que la cour d'appel a retenu qu'il n'existait, au 6 avril 2012, aucun accord ferme et définitif sur le prix entre les parties, lesquelles n'avaient pas la même interprétation de la portée de la clause relative au "prix d'acquisition initial", de « rédaction complexe » ; qu'il s'ensuit que ce prix, ambigu et sujet à interprétations divergentes, n'ayant pas été fixé en des termes « mutuellement acceptables » à cette date, chaque partie demeurait libre de discuter ces termes dans le cadre des pourparlers subsistants, sans que son refus de l'interprétation de l'autre, nouvellement découverte, pût lui être imputé comme une rupture, abusive de surcroît ; que la société Allegro, en particulier, était en droit de soutenir la validité de sa propre interprétation, sans être tenue d'accepter purement et simplement des conditions qu'elle n'avait jamais entendu admettre ni donner aux stipulations contestées un sens unilatéralement défini par la société [F] ; que pour juger que la société Allegro avait brutalement rompu les pourparlers, la cour d'appel a retenu, par motifs supposément adoptés, qu'elle avait provoqué « la remise en cause tardive de la valorisation de l'entreprise, élément essentiel de l'accord envisagé » ; qu'en se déterminant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la société Allegro n'avait fait qu'user de son droit de négocier des termes, ambigus, dont il était récemment apparu qu'ils étaient diversement interprétés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé qu'il résultait de la lettre d'intention et du projet d'acte de cession du 6 avril 2012 que les stipulations relatives au prix pouvaient être interprétées comme garantissant au cédant un prix minimum de un million d'euros et que seul le complément de prix ferait l'objet de diminutions éventuelles en fonction de l'excédent brut d'exploitation et de la dette nette, la notion de besoin en fonds de roulement négatif étant absente de ces documents, l'arrêt retient que, le 6 avril 2012, M. [L] a prétendu que le prix de cession était affecté en totalité par la déduction de la dette nette et du besoin en fonds de roulement négatif ; qu'il ajoute que la modification du projet de protocole de cession par la société Allegro est intervenue de manière unilatérale, sans explication préalable, à quelques jours d'un rendez-vous qui devait être consacré à la signature des actes juridiques concluant une cession, négociée avec sérieux depuis plusieurs semaines et dont les conditions de détermination de prix étaient fixées par des projets rédigés pour l'essentiel par les conseils de la société Allegro ; que l'arrêt en déduit que c'est au cours du rendez-vous du 6 avril 2012 que s'est manifestée la divergence sur le prix et qu'a été consommée la rupture des pourparlers à l'initiative de la société Allegro, qui ne pouvait, dès lors, se fonder sur des propositions dont elle avait saisi sa partenaire après cette date pour prétendre lui imputer la responsabilité de la rupture ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Allegro fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°) que le juge doit se prononcer sur, et uniquement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, les consorts [F] n'ont présenté aucune demande relative à l'indemnisation du « temps mobilisé en pure perte » dans le dispositif de leurs conclusions ; qu'en décidant dès lors de leur accorder de ce chef une indemnisation, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) que les consorts [F], qui n'ont pas présenté de demande d'indemnisation du chef de la perte du temps mobilisé en pure perte dans le dispositif de leurs écritures, ont explicitement indiqué, dans les motifs de ces dernières, que « le groupe [V] [F] n'évalue pas toutes les heures qui ont été passées pour la réalisation de cette opération comme le fait de manière absolument scandaleuse Allegro Partners (...) » ; qu'en décidant dès lors de condamner la société Allegro à leur payer de ce chef une somme de 60 000 euros, au titre d'une réparation qui, du propre aveu des intéressés, n'était ni invoquée ni a fortiori chiffrée, la cour a violé l'article 1382 du code civil ;
3°) que le juge doit se prononcer sur, et uniquement sur ce qui est demandé ; qu'en condamnant dès lors la société Allegro Partners à payer une somme de 20 000 euros aux consorts [F] en raison d'une « gêne nécessaire » occasionnée par l'engagement de M. [F], dans le cadre des négociations, de s'interdire toute opération, sauf accord de M. [L], excédant la gestion courante de la société [F], quand les consorts [F] n'avaient présenté aucune demande de ce chef, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) qu'en décidant dès lors de condamner la société Allegro à payer aux consorts [F] une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, en raison de cette « gêne nécessaire » dont les consorts [F] n'avaient ni demandé la réparation ni proposé une évaluation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que, saisie d'une demande de condamnation à des dommages-intérêts d'un montant de 500 000 euros en réparation des préjudices résultant de la rupture abusive des pourparlers, la cour d'appel a souverainement apprécié, sans excéder sa saisine, l'existence et l'étendue du préjudice résultant des dépenses inutiles causées par la négociation et les mesures qu'elle a nécessitées ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.