Cass. com., 7 janvier 2014, n° 12-28.041
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Château Cheval Blanc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Cheval Blanc fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir interdire l'usage, sous quelque forme que ce soit, du nom « Cheval Blanc », alors, selon le moyen :
1°) que le titulaire d'une dénomination sociale et/ ou d'un nom de cru peut s'opposer à l'usage par un tiers d'une dénomination sociale postérieure identique ou similaire, si celle-ci est de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public ; que le seul fait que le tiers en question dispose, par ailleurs, d'une marque différente qui inclut également le vocable constituant la dénomination sociale et le nom de cru invoqués, et qu'il dispose de parcelles situées sur un toponyme constitué d'une dénomination identique ou similaire à ceux-ci, n'est pas en soi de nature à exclure l'existence d'un tel risque dans l'esprit du public entre les signes en litige ; qu'en se bornant à relever que M. X... et l'EARL X... de Cheval Blanc auraient le « bénéfice » d'une marque Domaine du Cheval Blanc et disposeraient du « privilège du toponyme » qui s'attacherait à leurs parcelles désignées au cadastre sous le nom « Cheval Blanc », sans constater qu'il n'existerait aucun risque de confusion, dans l'esprit du public, entre les signes « Cheval Blanc » et « X... de Cheval Blanc » en litige, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants, en violation de l'article 1382 du code civil ;
2°) que la société Cheval Blanc faisait valoir que la dénomination sociale de l'EARL X... de Cheval Blanc présente un caractère déceptif en ce qu'elle suggère un rattachement avec elle-même et trompe sur l'origine géographique de la société ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions d'appel de la société Cheval Blanc qu'elle ait soutenu qu'il convenait de rechercher, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, s'il existait un risque de confusion, dans l'esprit du public, entre les signes « Cheval Blanc » et la dénomination sociale X... de Cheval Blanc ; que le moyen, pris en sa première branche est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, d'autre part, que la dénomination sociale ayant pour objet d'identifier une société et non de permettre au public de déterminer son origine géographique, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait, sans avoir à s'expliquer sur la circonstance invoquée par la seconde branche ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa première branche, le moyen est inopérant pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que les défendeurs au pourvoi font valoir que ce moyen est irrecevable comme nouveau et contraire aux écritures d'appel de la société Cheval Blanc ;
Mais attendu que la société Cheval Blanc ayant fait valoir dans ses écritures d'appel qu'à supposer acquis le droit au toponyme « Cheval Blanc », la marque « domaine du Cheval Blanc » était déceptive en ce qu'elle faisait croire au consommateur qu'elle était un second vin du célébrissime vin « Cheval Blanc », le moyen est recevable ;
Et sur le moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour écarter le caractère déceptif de la marque « domaine du Cheval Blanc », l'arrêt retient que la propriété dénommée Domaine du Cheval Blanc présente une superficie globale de 17 hectares comprenant 11, 60 hectares de parcelles désignées au cadastre sous le toponyme « Cheval Blanc », soit les deux tiers ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Cheval Blanc soutenant que la marque « domaine du Cheval Blanc » était de nature à tromper le consommateur sur la qualité et la provenance du vin désigné sous cette marque en lui faisant croire qu'il s'agirait d'un second vin du vin premier grand cru classé A « Cheval Blanc », la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Sur le deuxième moyen :
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que les défendeurs au pourvoi font valoir que ce moyen est irrecevable comme nouveau et comme tendant à rectifier une erreur purement matérielle ;
Mais attendu que le moyen étant né de la décision attaquée et ne tendant pas à rectifier une erreur purement matérielle est recevable ;
Et sur le moyen :
Vu les articles L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle et 13 du décret du 19 août 1921 ;
Attendu qu'en retenant que, pour les mêmes motifs que la marque « château relais du Cheval Blanc », en l'absence de preuve tant d'une vinification séparée que de l'acquisition d'une notoriété antérieure, la marque semi-figurative n° 03 3 205 896 devait être annulée et en confirmant à ce titre le jugement qui avait, au contraire, rejeté la demande en nullité de cette marque, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
Et sur le troisième moyen :
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que les défendeurs au pourvoi font valoir que ce moyen est irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Mais attendu que la société Cheval Blanc ayant fait valoir dans ses écritures d'appel que la forclusion par tolérance ne saurait affecter d'autres droits privatifs qu'un droit de marque, le moyen est recevable ;
Et sur le moyen :
Vu l'article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour déclarer irrecevable dans sa totalité l'action en contrefaçon formée par la société Cheval Blanc, l'arrêt retient que cette société a toléré, pendant plus de cinq ans avant la date de l'assignation, l'usage du signe « Cheval Blanc » ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la forclusion par tolérance ne peut être opposée à une action en contrefaçon de marque dirigée contre une dénomination sociale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande en nullité de la marque « domaine du Cheval Blanc » n° 1 291 368 et de la marque semi-figurative n° 033205896, en ce qu'il a déclaré la société Cheval Blanc irrecevable en son action en contrefaçon de sa marque « Cheval Blanc » n° 1 301 809 à raison de l'utilisation du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale de l'Earl X... de Cheval Blanc, l'arrêt rendu le 10 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.