Cass. com., 7 octobre 2020, n° 19-10.685
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Selarl JSA (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, SCP Gadiou et Chevallier
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. N K et à Mme Q K du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme R, épouse U.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 novembre 2018, RG : n° 18/06789) et les productions, la société Alexandre III est propriétaire de droits et biens immobiliers dépendant d'un ensemble sis à Cannes. Dans le cadre de son activité de gestion, d'administration et d'exploitation de cet immeuble, elle a consenti à M. N K et à Mme Q K (les consorts K) un bail d'habitation portant sur l'un des lots situés dans l'ensemble immobilier, pour un loyer de 1 000 euros non révisable, à compter du 5 décembre 2008 et pour une durée de six ans. Ce bail s'est renouvelé le 5 décembre 2014, pour une nouvelle durée de six ans expirant le 5 décembre 2020, pour le même loyer.
3. Un jugement du tribunal de commerce de Grasse, rendu le 22 février 2017, a étendu à la société Alexandre III la liquidation judiciaire ouverte le 9 novembre 2015 à l'égard de la société Nouvelle Vignette haute, la société JSA étant désignée en qualité de liquidateur.
4. Estimant qu'il était nécessaire de procéder à la réalisation des actifs de la société Alexandre III non grevés de baux « manifestement anormaux » selon lui, le liquidateur a saisi le juge-commissaire d'une requête tendant à obtenir la résiliation du bail conclu avec les consorts K, sur le fondement de l'article L. 641-11-1, IV, du code de commerce. Le juge-commissaire ayant accueilli cette demande, les consorts K ont formé un recours contre son ordonnance et demandé le rejet de la demande de résiliation du liquidateur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les consorts K font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail, alors « que lorsque le juge-commissaire entend, au nom du bailleur en liquidation judiciaire, résilier un bail d'habitation pour vendre l'appartement, objet de ce bail, il doit, préalablement à cette résiliation, notifier un congé pour vendre au locataire ; qu'en ayant décidé du contraire, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles L. 641-11-1-IV du code de commerce et 15-II de la loi du 6 juillet 1989. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 15, I et II de la loi du 6 juillet 1989 et l'article L. 641-11-1, IV du code de commerce :
6. Il résulte du premier de ces textes que lorsque le bailleur entend résilier un bail d'habitation relevant des dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989 pour vendre le logement donné à bail, il doit, en respectant un délai de préavis de six mois, délivrer un congé qui, à peine de nullité, doit être motivé par sa décision de vendre le logement et indiquer le prix et les conditions de la vente projetée, le congé valant offre de vente au profit du locataire. Le second de ces textes n'excluant pas l'application du premier en cas de liquidation judiciaire, il s'ensuit que, lorsque le bailleur est mis en liquidation judiciaire, le liquidateur qui entend céder de gré à gré et libre d'occupation le logement donné à bail est tenu de délivrer au locataire un congé pour vendre, en se conformant aux dispositions du premier texte.
7. Pour prononcer la résiliation du bail d'habitation consenti aux consorts K par la société débitrice, l'arrêt retient que, les dispositions de l'article L. 641-11-1, IV du code du commerce étant dérogatoires au droit commun, celles-ci ne peuvent, à défaut de dispositions d'exception expressément mentionnées, céder devant les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 relatives au congé pour vendre.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. Les consorts K font le même grief à l'arrêt, alors qu' « en liquidation judiciaire, lorsque la prestation du débiteur est autre que le paiement d'une somme d'argent, le liquidateur peut faire prononcer par le juge-commissaire la résiliation d'un contrat en cours si elle est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant, conditions qu'il appartient au juge de vérifier ; qu'en prononçant la résiliation du bail d'habitation conclu entre les exposants et la SAS Alexandre III au prétexte qu'il était fait "depuis interdiction" à cette dernière de louer des lots dont elle est propriétaire quand le jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 8 juin 2016 prononçant cette interdiction, versé aux débats par le liquidateur (prod. n° 5), fait apparaître qu'il était reproché à la SAS Alexandre III d'exercer une activité "hôtelière" de location saisonnière de lots meublés, ce qui n'avait rien de comparable avec le bail d'habitation conclu avec les exposants, de sorte qu'en statuant par des tels motifs inopérants, la cour d'appel, qui n'a pas démontré en quoi la résiliation était nécessaire aux opérations de liquidation et qu'elle ne portait pas une atteinte excessive aux intérêts des preneurs, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 641-11-1 IV du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 641-11-1, IV du code de commerce :
10. Il résulte de ce texte que la résiliation d'un contrat en cours à la date du jugement ouvrant la liquidation judiciaire peut être demandée par le liquidateur, lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent, au juge-commissaire qui ne peut prononcer la résiliation que si deux conditions cumulatives sont réunies : cette résiliation est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.
11. Pour prononcer la résiliation du bail d'habitation consenti aux consorts K par la société Alexandre III, l'arrêt se borne à retenir que c'est à bon droit que le juge-commissaire a fait droit à ses demandes de résiliation d'un bail conclu de façon évidente au détriment des intérêts de la société bailleresse eu égard à la sous-évaluation du loyer consenti par des membres de l'entourage proche des locataires, et donc au détriment des créanciers, et que la résiliation du bail dans de telles circonstances ne revêt pas pour les locataires, qui ne le démontrent pas, de conséquences manifestement excessives.
12. En se déterminant par de tels motifs, insuffisants à caractériser en quoi la résiliation du bail était concrètement nécessaire aux opérations de liquidation, et en quoi l'atteinte portée aux intérêts des consorts K n'était pas excessive, cependant que le bail dont la résiliation était demandée, portant sur la résidence principale des intéressés, se trouvait soumis aux dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la juridiction compétente était le tribunal de commerce de Grasse, l'arrêt n° RG : 18/06789 rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.