Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-19.513
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
la société du Domaine de Jouanda (Sté)
Défendeur :
le groupement foncier des Domaines (Sté) de Saint-Julien-Médoc, la société Fermière du Château (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Sevaux et Mathonnet
Sur les troisièmes moyens des pourvois, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que le GFA et la société du Château font grief à l'arrêt, indiquant statuer dans les limites de sa saisine, de déclarer irrecevables leurs demandes visant à remettre en cause les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juillet 2012 qui n'ont pas fait l'objet de cassation par l'arrêt du 13 novembre 2013 de la Cour de cassation et de rejeter toutes autres demandes, en écartant la demande tendant à voir « infirmer en son entier le jugement entrepris dans les limites de la cassation prononcée » et à voir ainsi notamment infirmer ce jugement, en ce qu'il a retenu que « le dépôt et l'usage des marques françaises verbales n° 3 420900 « Pavillon de [Q] » et n° 3420901 « Les Contes de [Q] » déposées le 31 mars 2006 par le GFA constituent une contrefaçon par imitation de la marque « Baron de [Q] », de les condamner à payer des dommages-intérêts à la société du Domaine de Jouanda et de prononcer, sous astreinte, une interdiction et ordonner le retrait des marques « Pavillon de [Q] » et « Les contes de [Q] » alors, selon le moyen, que la cassation ne laisse rien subsister des chefs de dispositif qu'elle atteint, et ce quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; qu'en l'espèce, par son arrêt du 13 novembre 2013, la chambre commerciale a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 4 juillet 2012 « sauf en ce qu'il a dit que le dépôt et l'usage des marques « Pavillon de [Q] » et « Les Contes de [Q] » portaient atteinte aux droits des consorts de [Q] sur leur nom patronymique, condamné le GFA à leur payer à chacun une certaine somme et fait interdiction sous astreinte à ce GFA et à la société d'utiliser à quelque titre que ce soit le patronyme « de [Q] » non précédé du terme « Léoville » à titre de marque, de nom commercial ou de nom de domaine » ; que la cassation a ainsi atteint non seulement les chefs de l'arrêt d'appel ayant rejeté les demandes reconventionnelles pour nullité de la marque « Baron de [Q] » et pour contrefaçon de la marque « Château Léoville [Q] », mais également les dispositions par lesquelles la cour d'appel a « dit que le dépôt et l'usage des marques françaises verbales n° 3420900 « Pavillon de [Q] » et n° 3420901 « Les Contes de [Q] » déposées le 31 mars 2006 par le GFA constituent une contrefaçon par imitation de la marque française verbale n° 3100980 « Baron de [Q] » déposée le 14 mai 2001 par la société civile du Domaine de Jouanda », condamné in solidum les demandeurs à payer à la société civile du Domaine de Jouanda la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice et ordonné, sous astreinte, des mesures d'interdiction et de retrait des marques « Pavillon de [Q] » et « Les contes de [Q] » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les « seuls points ayant fait l'objet de la cassation » seraient la déceptivité de la marque « Baron de [Q] » pour désigner des vins et la forclusion par tolérance de cette marque par la société du Château, et que « toutes les autres demandes doivent être déclarées irrecevables » ; qu'en estimant ainsi que la portée de la cassation prononcée par l'arrêt rendu par la chambre commerciale le 13 novembre 2013 était limitée aux seules dispositions ayant rejeté les demandes reconventionnelles pour nullité de la marque « Baron de [Q] » et pour contrefaçon de la marque « Château Léoville [Q] », la cour d'appel a violé les articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relevant, par un motif dont l'exactitude n'est pas critiquée, que le débat se limitait aux seuls points ayant fait l'objet de la cassation, à savoir la déceptivité de la marque « Baron de [Q] » pour désigner également des vins et la forclusion par tolérance de la marque « Baron de [Q] » par la société du Château et le GFA, ce que finalement ces derniers reconnaissent dans les motifs de leurs dernières écritures, ces parties ne sont pas recevables à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à leurs propres écritures ;
Mais sur les premiers moyens des pourvois, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu l'article L. 711-3 c) du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu qu'une marque est nulle lorsqu'elle est en elle-même susceptible de tromper le public sur l'une des caractéristiques des produits désignés dans son enregistrement, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération les conditions de son exploitation, qui n'intéressent que la déchéance ultérieure des droits qui lui sont attachés ;
Attendu que pour rejeter la demande de nullité de la marque « Baron de [Q] » à raison de son caractère déceptif, l'arrêt constate que cette marque est enregistrée afin de désigner « les boissons alcooliques (à l'exception des bières), appellations Armagnac, Bas-Armagnac, Cognac, Brandy, Floc de Gascogne ; vins ; autres préparations alcoolisées ; fruits dans de l'alcool », puis retient qu'il n'existe aucun risque de confusion sur la provenance des produits, dès lors que le consommateur concerné, qui voudra acheter ou aura acheté une bouteille de tels produits, issus du Domaine de Jouanda dans les Landes et portant cette marque, ne sera pas amené à faire un lien avec le vin provenant de l'exploitation « Château Léoville [Q] », située dans le Médoc, commercialisé sous la marque complexe éponyme ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'enregistrement de cette marque ne précise pas l'origine géographique du vin qu'elle désigne, la cour d'appel, qui s'est fondée sur ses conditions d'exploitation, a violé le texte susvisé ;
Sur ces moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu l'article L. 711-3 c) du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que rejeter cette demande en nullité, l'arrêt retient encore que la marque « Baron de [Q] » n'incitera pas le public à croire à l'existence d'un lien avec le vin classé 2ème grand cru de [Localité 2] produit sous la dénomination « Château Léoville [Q] » et qu'ainsi, elle n'est déceptive pour aucun des produits qu'elle désigne ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions du GFA et de la société du Château faisant valoir que ce vin « Château Léoville [Q] » jouissait d'une grande notoriété, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur les deuxièmes moyens des pourvois, pris en leur seconde branche, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour rejeter l'action du GFA et de la société du Château en contrefaçon de la marque « Château Léoville [Q] », l'arrêt se borne à relever qu'il existe entre cette dernière et la marque « Baron de [Q] » de telles différences d'ordre visuel, phonétique et conceptuel qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que, nonobstant la similarité partielle des produits concernés, la faible similitude entre les signes en cause, pris dans leur ensemble, exclut tout risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne ;
Qu'en statuant ainsi, sans examiner si la notoriété de la marque antérieure, dont se prévalaient les demandeurs, était établie et, dans l'affirmative, s'il n'en résultait pas un risque de confusion, eu égard à la similitude partielle des produits ou services respectivement désignés, et malgré le faible degré de similitude entre les marques, la cour d'appel, qui n'a pas apprécié globalement l'existence de ce risque en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, a violé le texte susvisé ;
Et sur les quatrièmes moyens des deux pourvois, rédigés en termes identiques, réunis :
Vu les articles 4 et 638 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer irrecevable la demande du GFA et de la société du Château tendant à interdire à la société du Domaine de Jouanda d'utiliser le nom de [Q], sous quelque forme et en quelque lieu que ce soit, pour désigner tout produit et service relevant des classes 31, 32, 33 et 40, l'arrêt retient que cette demande, qui ne concerne pas la marque en cause ni le présent litige mais au contraire vise personnellement les consorts de [Q], excède les termes de l'arrêt de renvoi et n'est pas recevable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette demande était accessoire aux actions en nullité de la marque « Baron de [Q] » et en contrefaçon de la marque « Château Léoville [Q] », dont elle était saisie par l'effet de l'arrêt de renvoi après cassation partielle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement déboutant la société Fermière du Château [K] [Q] et le groupement foncier des Domaines de Saint-Julien-Médoc de leur demande reconventionnelle en contrefaçon, en ce qu'il rejette la demande de nullité de la marque « Baron de [Q] », en ce qu'il dit irrecevable la demande tendant à voir interdire à la société du Domaine de Jouanda d'utiliser le nom de [Q] sous quelque forme et en quelque lieu que ce soit pour désigner tout produit et service relevant des classes 31, 32, 33 et 40, et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.