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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 16 septembre 2009, n° 08/03742

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cinq Huitièmes (SAS), Tefilex Group (Sté)

Défendeur :

Carrefour Hypermarchés France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Rosenthal, Mme Chokron

Avoués :

SCP Lagourgue - Olivier, SCP Bolling - Durant - Lallement, Me Pamart

Avocats :

Me Lecomte, Me Rambert, Me Karsenty - Ricard

TGI Paris, du 19 déc. 2007

19 décembre 2007

Vu l'appel interjeté le 19 février 2008, par la société CINQ HUITIÈMES d'un jugement rendu le 19 décembre 2007 par le tribunal de grande instance de Paris ;

Vu les dernières écritures de l'appelante en date du 24 avril 2009 ;

Vu les dernières écritures de la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE, intimée, en date du 29 mai 2009 ;

Vu les dernières écritures de la société TEFILEX GROUP, intimée, en date du 19 septembre 2008 ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

la société CINQ HUITIÈMES commercialise, sous la marque EDEN PARK, des articles vestimentaires,

elle est titulaire d'une marque figurative représentant des rayures bleu marine et rose, déposée le 30 octobre 2006, enregistrée sous le n° 063459808, pour désigner notamment en classe 25 les vêtements,

cette société a eu connaissance de la diffusion par la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS

FRANCE d'un catalogue annonçant, à l'occasion de la fête des pères, une opération promotionnelle du 7 au 16 juin 2007, portant sur l'offre en vente de polos dans ses magasins à l'enseigne CARREFOUR,

en première et quatrième de couverture de ce catalogue est reproduit un polo 'OVALATTITUDE' à rayures horizontales de couleurs marine et rose,

après avoir fait procéder à trois constats d'huissier, la société CINQ HUITIÈMES a assigné la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Paris,

la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE a appelé en garantie son fournisseur, la société TEFILEX GROUP ;

Que les sociétés défenderesses se sont opposées aux demandes de la société CINQ HUITIÈMES en contestant la validité de la marque n°3459808, tout acte de contrefaçon et d'agissement déloyal ;

Que par le jugement déféré, le tribunal a dit que la marque figurative n°3459808 est dépourvue de caractère distinctif pour les produits de la classe 25, a prononcé la nullité de son enregistrement, a dit que la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société CINQ HUITIÈMES en mettant en valeur des polos de sport à rayures roses et bleues avec un col blanc dans une campagne publicitaire et en les commercialisant, a interdit à la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE la poursuite de tels agissements sous astreinte de 150 euros par infraction constatée, a condamné cette société à payer à la société CINQ HUITIÈMES la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, a dit que la société TEFILEX GROUP doit garantir la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE à hauteur de 50% du montant de ces condamnations, a condamné la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE aux dépens ;

Sur la contrefaçon de marque :

Considérant que pour s'opposer au grief de contrefaçon, les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE et TEFILEX GROUP soulèvent la nullité de l'enregistrement de la marque figurative n°063459808, faute de remplir les conditions exigées pour la validité d'une marque de couleurs ;

Considérant que la marque invoquée est un dessin en couleurs composé de rayures horizontales rose et bleu marine d'égale largeur ;

Que dans l'acte de dépôt la marque est ainsi décrite : 'couleurs pantone : cyan 100, magenta 70, noir 80, rose 203C ;

Considérant qu'une couleur ou une combinaison de couleurs peuvent valablement constituer une marque si la représentation graphique est claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible et objective ;

Que ces exigences résultent de la nécessité de ne pas contrevenir à l'intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits similaires ;

Considérant en l'espèce, d'une part, que force est de constater une incohérence entre le libellé du dépôt qui désigne quatre couleurs et la représentation visuelle qui n'en reproduit que deux, de sorte que la description verbale n'étant pas conforme à l'élément figuratif, l'acte de dépôt ne permet pas d'identifier l'objet exact de la protection revendiquée ;

Que d'autre part, la couleur marine n'est pas mentionnée et qu'à supposer que les couleurs cyan, magenta et noire permettent de constituer le bleu marine reproduit au dépôt, il n'en demeure pas moins que cette couleur, auquel il n'est pas fait expressément fait référence, n'est pas identifiée par un code internationalement reconnu ;

Que dans ces circonstances, dès lors que le dépôt nécessite d'être interprété, la description de la marque n'est pas suffisamment précise et intelligible de sorte qu'il n'identifie pas l'objet de la protection et l'origine commerciale des produits ;

Que la société CINQ HUITIÈMES ne saurait revendiquer le bénéfice de l'acquisition du caractère distinctif de la marque par son usage, dès lors, que le signe litigieux ne fait pas l'objet dans l'acte de dépôt d'une représentation identifiable et est affecté d'un vice intrinsèque ;

Considérant par voie de conséquence, que les premiers juges ont justement prononcé, pour défaut de distinctivité, la nullité de l'enregistrement de la marque n°3459808 pour les produits de la classe 25, de sorte que la décision déférée sera, sur ce point, confirmée ;

Considérant que la société CINQ HUITIÈMES ne saurait solliciter, en outre, la nullité de l'enregistrement de cette marque pour les produits de la classe 18 qui ne lui sont pas opposés ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société CINQ HUITIÈMES reproche à la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE de s'être appropriée un polo de sport aux rayures rose et marine qu'elle aurait mis en avant dans sa communication et de s'être placée dans son sillage en s'appropriant le fruit de ses investissements qu'elle a engagés pour sa communication dans le cadre de ses partenariats pour la Coupe du monde du rugby 2007 avec la Fédération française du rugby et la société RUGBY WORLD CUP ;

Mais considérant que la société CINQ HUITIÈMES ne dispose d'aucun droit privatif sur la combinaison des couleurs rose et marine et que celle-ci est amplement répandue dans le domaine du vêtement, est portée par l'équipe de rugby du Stade de France Paris et est ainsi associée à l'image du sport et du rugby ;

Que par ailleurs, la photographie, figurant en quatrième de couverture sur le catalogue de la société CARREFOUR HYPERMARCHES FRANCE et reprise sur son site internet, montre cinq joueurs portant quatre modèles de polos rayés de plusieurs coloris : rose et marine, bleu et rouge, bleu et blanc, violet et noir, sur lesquels est apposé de manière très apparente le logo 'OVALATTITUDE' ; que le polo à rayures rose et marine ne présente aucun caractère attractif particulier ;

Que la photographie en première page représentant ce maillot met en avant le logo 'OVALATTITUDE' sur lequel la prise de vue est centrée, de sorte que ce signe semi-figuratif en constitue l'élément caractéristique et distinctif ;

Que peu important la couleur blanche du col du vêtement, amplement usitée, l'apposition de ce logo, aux larges dimensions, sur les polos vendus par la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE ainsi que du dessin des visages des cinq joueurs de rugby partenaires excluent tout risque de confusion avec les polos commercialisés par la société CINQ HUITIÈMES sous la marque EDEN PARK dont le signe le plus distinctif est un noeud papillon ;

Que la vente à des prix inférieurs à ceux d'un concurrent relève de la liberté du commerce ;

Considérant que la publicité litigieuse n'évoque nullement les droits concédés à la société CINQ HUITIÈMES par la société RUGBY WORLD CUP et la Fédération française du rugby et ne fait aucunement référence à la Coupe du monde de rugby ; qu'en tout état de cause, les droits concédés à la société CINQ HUITIÈMES ne couvrent pas la période de cet événement sportif ;

Que cette opération promotionnelle n'est pas davantage de nature à laisser accroire que la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE serait un partenaire officiel de la Fédération française de rugby, dès lors qu'aucune mention ne fait référence à cet organisme ou même au XV de France ; que cette publicité évoque seulement la thématique du rugby dont la société CINQ HUITIÈMES n'a pas le monopole ;

Considérant qu'il en résulte, alors qu'il n'est pas suffisant de prétendre procéder à de nombreux investissements pour en conclure qu'un concurrent en a tiré profit, qu'aucun agissement déloyal ou parasitaire n'est caractérisé ; que le jugement déféré sera infirmé de ce chef ;

Sur les autres demandes :

Considérant que la solution du litige rend sans objet la demande en garantie formée par la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE à l'encontre de la société TEFILEX GROUP ;

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société CINQ HUITIÈMES ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce même fondement, à verser à la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE la somme de 20.000 euros et à la société TEFILEX GROUP celle de 10.000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque n°3459808 pour désigner les produits de la classe 25 visés au dépôt, dit que la décision devenue définitive sera transmise à l'INPI pour inscription au Registre national des marques,

Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau :

Déboute la société CINQ HUITIÈMES de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale,

Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation,

Condamne la société CINQ HUITIÈMES aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer la somme de 20.000 euros à la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE, la somme de 10.000 euros à la société TEFILEX GROUP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.