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Décisions

Cass. crim., 7 janvier 2014, n° 13-80.073

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Harel-Dutirou

Avocats :

SCP POTIER de la VARDE et BUK-LAMENT, SCP COUTARD et MUNIER-APAIRE

Avocat général :

M. DESPORTES

Paris, chambre 4-10, du 4 déc. 2012

4 décembre 2012

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le Comité national contre le tabagisme (CNCT), partie civile, a fait directement citer devant le tribunal correctionnel l'Institut national de la propriété intellectuelle ( INPI) pour le voir déclarer coupable de complicité de publicité illicite en faveur du tabac ; qu'il lui est reproché l'enregistrement de marques de produits du tabac, qu'il estime être constitutives de publicité en faveur de produits du tabac ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 3511-3, L. 3512-2 et L. 3512-3 du code de la santé publique, 121-6 et 121-7 du code pénal, L. 711-1 et L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté le CNCT de ses demandes indemnitaires ;

"aux motifs que l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle précise que la marque de fabrique, de commerce ou de service, est un signe de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale ; que si la CJCE a reconnu récemment plusieurs autres fonctions à la marque, elle a précisé ultérieurement qu'une marque est toujours censée remplir sa fonction d'indication d'origine, tandis qu'elle n'assure ses autres fonctions que dans la mesure où son titulaire l'exploite en ce sens, notamment à des fins de publicité ou d'investissement ; qu'ainsi, contrairement à ce que prétend le CNCT, la nouvelle fonction de publicité n'est qu'accessoire ou secondaire de la fonction de garantie d'origine ; que le tabac est un produit licite qui peut être commercialisé ; que pour ce produit, l'arrangement de Nice a prévu qu'il entrait dans la classe 34 ; que l'article 7 de la Convention d'union de Paris pour la propriété intellectuelle prévoit que la nature du produit sur lequel la marque de fabrique ou de commerce doit être apposée ne peut, en aucun cas, faire obstacle à l'enregistrement de cette marque ; que le 8 janvier 1991 (décision n°90-283), le Conseil Constitutionnel s'exprimant sur le recours contre la loi relative à l'interdiction de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, soulignait que le droit de propriété d'une marque régulièrement déposée n'est pas affectée dans son existence par les dispositions légales considérées ; qu'aucune disposition de la loi Evin ne vient interdire ni édicter d'interdiction spécifique quant aux choix des signes à déposer en dehors des prescriptions des articles L. 711-1 à L. 711-4 du code la propriété intellectuelle ; que le CNCT soutient que l'INPI avait le pouvoir de refuser un dépôt d'une marque contraire à l'ordre public sanitaire, ce qui est le cas des marques contestées ; mais que l'INPI ne doit pas prendre en considération l'usage que serait susceptible de faire le titulaire de la marque à la suite d'un éventuel enregistrement ; qu'en effet, l'enregistrement d'une marque ne constitue pas un acte de publicité et n'est en rien assimilable à une propagande directe ou indirecte des produits du tabac, contraire au code de la santé publique ; que dès lors, l'INPI n'a commis aucune erreur en refusant de radier ces marques après les mises en demeure du CNCT, étant au surplus observé que ce pouvoir n'est pas dans ses attributions ; qu'en conséquence, l'INPI ne s'est rendu coupable d'aucun fait punissable ; que le jugement sera confirmé ; qu'il le sera également en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile du CNCT mais l'a débouté de ses demandes ;

"1°) alors qu'est prohibée toute forme de communication commerciale, quel qu'en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir le tabac ou l'un de ses produits ; qu'en retenant, pour dire que l'Institut national de la propriété intellectuelle ne s'était pas rendu complice de ce délit à raison de l'enregistrement de plusieurs marques dont les termes constituaient des slogans en faveur du tabac ou de ses produits et ainsi débouter le CNCT de ses demandes indemnitaires, qu'aucune disposition de la loi Evin ne vient interdire ni édicter d'interdiction spécifique quant aux choix des signes à déposer comme marques de tabac, la cour d'appel a méconnu la portée générale des dispositions de cette loi et n'a ainsi pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors qu'en enregistrant une marque contraire à l'ordre public en ce que ses termes constituent un slogan publicitaire en faveur du tabac ou de ses produits, l'Institut national de la propriété intellectuelle se rend complice du délit de publicité prohibée en faveur de ces produits ; qu'en retenant que l'Institut national de la propriété intellectuelle ne devait pas prendre en considération l'usage que le titulaire de la marque serait susceptible d'en faire et que l'enregistrement d'une marque ne constituait pas un acte de publicité et n'était pas assimilable à une propagande directe ou indirecte des produits du tabac, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés ;

"3°) alors qu'en retenant encore, pour écarter la réunion des éléments constitutifs du délit de complicité de propagande prohibée en faveur du tabac ou de ses produits, que la fonction publicitaire de la marque n'est que secondaire, que le tabac est un produit licite, que l'article 7 de la Convention d'Union de Paris prévoit que la nature du produit ne peut pas faire obstacle à l'enregistrement de marque et que dans sa décision n° 90-283 du 8 janvier 1991, le Conseil constitutionnel avait souligné que le droit de propriété d'une marque régulièrement déposée n'était pas affecté dans son existence par les dispositions de la loi Evin, la cour d'appel s'est fondée sur des circonstances qui étaient sans incidence sur la solution du litige et n'a ainsi pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant relaxé l'INPI du délit de complicité de publicité en faveur du tabac, l'arrêt relève que les dispositions de la loi du 10 janvier 1991 (relative à la lutte contre le tabagisme) interdisant toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac n'affectent pas dans son existence le droit de propriété d'une marque régulièrement déposée mais sont susceptibles de l'affecter dans son exercice ; que les juges ajoutent qu'elles n'édictent pas d'interdiction spécifique quant aux choix des signes à déposer en dehors des prescriptions des articles L. 711-1 à L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle ; qu'ils en déduisent que, lors de l'enregistrement d'une marque qui est un signe servant à distinguer les produits ou services et qui n'assure ses autres fonctions, notamment sa fonction de publicité, que dans la mesure où son titulaire l'exploite en ce sens, l'INPI n'a pas à prendre en considération l'usage susceptible d'en être fait par le titulaire de la marque ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 472, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le CNCT à verser à l'INPI les sommes d'un euro à titre de dommages-intérêts et de 10 000 euros au titre de l'article 472 du code de procédure pénale ;

"aux motifs que l'INPI est un établissement qui exerce une mission de service public ; qu'il ressort de ce qui précède qu'il a été attrait de façon téméraire devant une juridiction correctionnelle ; que le jugement sera donc confirmé sur l'euro symbolique accordé à titre de dommages-intérêts et sur la somme allouée au titre de l'article 472 du code de procédure pénale, étant précisé que l'INPI, qui n'est pas appelant, ne peut solliciter une somme supérieure à celle accordée en première instance ;

"1°) alors que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, celle des chefs de dispositif visés par le second moyen de cassation, qui sont la suite de ceux visés par le premier ;

"2°) alors que, en tout état de cause, l'allocation de dommages-intérêts au titre de l'article 472 du code de procédure pénale implique la constatation d'un comportement fautif ; qu'en se contentant d'affirmer, pour condamner le CNCT à payer des sommes au titre d'abus dans sa constitution de partie civile, que l'INPI a été attrait de façon téméraire devant une juridiction correctionnelle, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision" ;

Attendu que, pour confirmer l'allocation à la personne relaxée sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale de dommages- intérêts, l'arrêt relève que la partie civile a agi de manière téméraire devant la juridiction pénale ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui caractérisent l'abus de constitution de partie civile, les juges ont justifié leur décision ;

D'où il suit que le moyen doit être rejeté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que devra payer le Comité national contre le tabagisme au profit de l'Institut national de la propriété intellectuelle, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.