CA Paris, 4e ch., 2 juillet 2003, n° 2002/04001
PARIS
PARTIES
Demandeur :
Cote
Défendeur :
Cabinet la voix (SA), Axa Courtage Groupe CDI Iard (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mme Magueur, Mme Schoendoerffer
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Teytaud
Avocat :
SCP Cordelier
Vu l’appel interjeté, le 10 janvier 2002, par Jean C d’un jugement rendu le 13 décembre 2001 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
dit le cabinet LA VOIX responsable de la déchéance du brevet n° 93.08.609 déposé le 13 juillet 1993 à l’INPI au nom de Jean COTE et de Bernard R,
déclaré Jean C recevable en sa demande de dommages et intérêts, mais l’en a débouté,
dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 26 février 2003, aux termes desquelles Jean C, poursuivant la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a dit le cabinet LA VOIX responsable de la déchéance du brevet n° 93.08 .609 déposé le 13 juillet 1993 à l’INPI et son infirmation en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts, demande à la Cour de condamner in solidum le cabinet LAVOIX et la société AXA à lui payer la somme de 114.340 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation introductive d’instance et celle de 4.600 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel ;
Vu les ultimes conclusions, en date du 24 février 2003, par lesquelles les sociétés CABINET LAVOIX et AXA FRANCE LARD, poursuivant la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a débouté Jean C de sa demande de dommages et intérêts, sollicitent de la Cour de le réformer pour le surplus et, après une énumération, dans le dispositif de ces écritures, de constatations ou de "dire et juger" qui ne sauraient constituer des prétentions au sens des dispositions du nouveau Code de procédure civile, de débouter Jean C de toutes ses prétentions, de donner acte à la société AXA de ce qu’elle ne conteste pas assurer la responsabilité civile professionnelle du CABINET LAVOIX, mais seulement dans les limites du contrat d’assurance, qui prévoit une franchise à la charge de l’assuré et opposable aux tiers, de condamner enfin Jean COTE à payer à chacun d’eux la somme de 2.286,74 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens d’appel ;
SUR CE,
LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu’il suffit de rappeler que :
le 5 juillet 1993, Jean C et Jean-Bernard R ayant donné pouvoir au CABINET LAVOIX de déposer une demande de brevet d’invention, celui-ci, en exécution de ce mandat a déposé le 13 juillet 1993 le brevet n° 93. 08.609 aux noms de ceux-ci, le 5 juillet 1995, Jean C et Jean-Bernard R ont concédé à la société DES CHAUDIERES CTL la licence d’exploitation faisant l’objet de la demande de brevet,
selon décision du 31 mars 1998, notifiée le 2 avril 1998 au CABINET LAVOIX, le directeur général de l’INPI, prétendant que les redevances prescrites pour la 5e annuité pour le maintien en vigueur du titre n’ayant pas été versées en temps utile, a prononcé la déchéance des droits attachés au brevet,
par courrier du 17 août 1998, l’INPI a informé la société DES CHAUDIERES CTL, de la déchéance prononcée le 31 mars 1998,
le 31 décembre 1998, le directeur général de l’INPI a fait savoir que la décision de déchéance, faute de recours dans les délais légaux, était devenue définitive,
le 7 janvier 1999, Jean C, par lettre adressée au CABINET LAVOIX, lui a fait grief de ne pas lui avoir adressé le titre officiel du brevet, délivré le 2 février 1996, de ne pas lui avoir adressé copie de la décision de constatation de déchéance, à réception de sa notification du 2 avril 1998, et de ne pas avoir instauré en temps utile un recours à rencontre de cette décision ;
sur la qualité à agir de Jean C :
Considérant que, dans le cadre de la procédure d’appel, les sociétés intimées persévèrent, avec mauvaise foi, à soutenir que Jean C, co-titulaire du brevet, ne peut se prévaloir des droits de Jean-Bernard R qui aurait déclaré les avoir abandonner, alors qu’il est établi, ainsi que le relève pertinemment les premiers juges, que, par lettre du 4 février 1999, ce dernier écrivait à Jean C de ce fait, vous serez seul titulaire de ce brevet, et seul responsable des actions que vous pourriez engager ;
Que le jugement déféré mérite donc confirmation ;
sur la responsabilité du CABINET LA VOIX :
Considérant qu’il résulte des faits constants précédemment rappelés que le CABINET LAVOIX, ayant reçu la décision de déchéance, prise le 31 mars 1998 par le directeur général de l’INPI, n’ a pas transmis cette décision à l’appelant de sorte que celui-ci n’a pas été mis à même d’exercer le recours ouvert par les dispositions des articles R. 411.19 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, à rencontre de cette décision ; Considérant que, pour justifier de sa carence, le CABINET LAVOIX fait valoir que, par lettre du 20 octobre 1995, il aurait informé Jean COTE que sauf instruction contraire [de sa part ] par retour du courrier, accompagnée d’une remise de nos frais et honoraires pour le paiement de la taxe de délivrance, nous classerons définitivement ce dossier, de sorte qu’il aurait été, à l’époque de la notification de la décision de déchéance prise par le directeur général de l’INPI, déchargé de tout mandat à l’égard de Jean C ; Mais considérant que force est de constater que le CABINET LA VOIX ne justifie pas de l’expédition de la lettre du 20 octobre 1995 à l’appelant, de sorte que celui-ci était légitiment fondé à regarder ce cabinet comme étant encore son mandataire; que, au surplus, et même dans l’hypothèse selon laquelle il aurait été mis fin au mandat du CABINET LAVOIX, il appartenait à ce dernier d’informer, en sa qualité de professionnel, Jean C de la décision de déchéance intervenue et dont il était le seul destinataire ; Qu’enfin c’est sans dénaturation de la lettre du 22 février 1999, que les premiers juges ont, selon les termes de cette correspondance, estimé que le CABINET LAVOIX reconnaissait avoir considéré à tort que Jean C aurait renoncé à la poursuite de l’exploitation du brevet, dès lors qu’il est établi par l’ensemble des lettres échangées entre les parties – étant observé que le cabinet intimé, à l’exception de la lettre litigieuse du 20 octobre 1995, expédiait toujours ses courriers en la forme d’un envoi recommandé – que le CABINET LAVOIX, ainsi que le relève les premiers juges, était à même de constater que son interprétation des intentions de Jean C, selon lesquelles dès 1995 il aurait renoncé au brevet, était erronée puisque la déchéance n’a été constatée qu’en 1998, circonstance impliquant un paiement des taxes entre ces deux dates ; Qu’il s’ensuit que, les premiers juges ont justement qualifié de fautif le comportement du CABINET LAVOIX; que le jugement déféré sera donc, sur ce point, confirmé ;
sur le préjudice :
Considérant que Jean C est fondé à critiquer le jugement déféré en ce que les premiers juges ont retenu qu’il n’avait subi aucun préjudice du fait de la déchéance du brevet puisque, déjà en 1997, il n’aurait perçu aucune redevance au titre de ce brevet ;
Qu’en effet, il résulte du rapport spécial établi, le 11 juin 1998, par Daniel de BEAUREPAIRE, commissaire aux comptes de la société LES CHAUDIERES CTL, que les CHAUDIERES CTL ont pris en location à compter du 1er janvier 1995 un brevet déposé le 13 juillet 1993 par messieurs C et R, concernant le lavage des gaz. Cette convention a été renouvelée le 27 juin 1997 pour deux ans; que les sociétés intimées ne sont donc pas fondées à soutenir que Jean C aurait été rempli de ses droits, tels qu’ils résulteraient du contrat de licence venu à expiration le 5 janvier 1998, antérieurement à la décision de déchéance du 31 mars 1998 ou encore que l’exploitation du brevet aurait été reconnu sans intérêt ;
Qu’il s’ensuit que la déchéance prononcée a causé un préjudice certain à l’appelant dès lors qu’elle a eu pour conséquence directe de lui faire perdre une chance de percevoir à l’avenir des redevances; qu’en effet, Jean C ne peut considérer, comme étant acquis, le fait de percevoir des redevances sur le brevet pendant les quinze années à venir ;
Considérant que la cour dispose des éléments utiles, notamment du montant des redevances perçues jusqu’à la déchéance prononcée, pour fixer le préjudice de Jean COTE à la somme de 30.000 euros ; Que le jugement déféré sera donc, sur ce point, infirmé ;
sur le lien de causalité :
Considérant que les sociétés intimées ne peuvent sérieusement contester que le préjudice subi par Jean C est directement lié au comportement fautif de CABINET LA VOIX tel qu’il l’a été précédemment établi, de sorte que la responsabilité de cette société est pleine et entière ;
Qu’il convient en conséquence de condamner in solidum les sociétés intimées à payer à Jean COTE la somme de 30.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt qui fixe l’indemnité réparatrice de son préjudice et de donner à la société AXA l’acte par elle requis ;
sur les autres demandes : Considérant qu’il résulte de la solution du litige que les sociétés intimées qui seront condamnées aux dépens tant de première instance que d’appel, ne sauraient bénéficier des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile; que, en revanche, l’équité commande, sur le même fondement, de les condamner in solidum à verser à Jean COTE une indemnité de 4.600 euros ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a déclaré recevable l’action de Jean COTE et dit que le CABINET LAVOIX est responsable de la déchéance du brevet n° 93.08.609 déposé le 13 juillet 1993 à l’I NPI au nom de Jean COTE et de Jean-Bernard R ;
Et, statuant à nouveau, Condamne in solidum les sociétés AXA FRANCE IARD et la société CABINET LAVOIX à payer à Jean COTE les sommes suivantes: 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent arrêt, 4.600 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, Donne à la société AXA FRANCE IARD l’acte par elle requis,
Rejette toutes autres demandes.