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Décisions

CA Paris, 4e ch. b, 18 septembre 1998, n° M19980600

PARIS

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BNF DIFFUSION (SARL)

Défendeur :

BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE

TGI Paris, du 21 janv. 1998

21 janvier 1998

FAITS ET PROCEDURE

La cour statue sur l’appel interjeté par la société BNF Diffusion d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance de PARIS le 21 janvier 1998 dans un litige l’opposant à la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE. Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d’appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent. M. B a créé une entreprise en nom propre, immatriculée au registre du commerce de STRASBOURG le 9 décembre 1993, sous le nom commercial « BUREL NICOLE FRANÇOISE DIFFUSION – BNF DIFFUSION ». Cette entreprise a été radiée le 30 juin 1994. La S.A.R.L. BNF DIFFUSION, constituée par François B, associé unique, le  19 mai 1994, a été immatriculée au registre de commerce de Strasbourg le 20 juin 1994. Cette société avait initialement pour objet social et activité « la vente à domicile, la vente non sédentaire sur stands de marché ou foires, aux particuliers, commerçants et comités d’entreprise, de tous articles publicitaires, de cadeaux, maroquinerie, tableaux, vêtements, bijoux fantaisie, articles décoration, produits alimentaires et en général de tous produits non réglementés y compris le transport jusqu’à 19 tonnes si besoin, la fabrication et le conditionnement, l’import-export des produits vendus ». Le 2 janvier 1995, BNF Diffusion a déposé la marque complexe ci-dessous reproduite, enregistrée sous le n 95552251 pour désigner les produits et services des classes 16, 18, 21, 25 et notamment « les produits de l’imprimerie, les articles pour reliures, les photographies, la papeterie, adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage, matériel pour les artistes ». Depuis avril 1995, BNF DIFFUSION édite et diffuse en Alsace sous le logo BNF DIFFUSION une revue trimestrielle. Le 19 avril 1995, elle a élargi son objet social à « l’édition et l’exploitation du journal BNF DIFFUSION et d’imprimerie de journaux ainsi qu’à l’exploitation d’imprimerie de tous genres de travaux graphiques, la promotion publicitaire, travaux annexes ou connexes ».

Faisant valoir que la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, créée par décret du 3 janvier 1994, portait atteinte à ses droits par l’usage du sigle BNF. BNF DIFFUSION a fait assigner, devant le tribunal de grande instance de PARIS, cet établissement public administratif, par acte du 19 février 1997, lui reprochant la contrefaçon de sa marque et l’usurpation de sa dénomination sociale ainsi que de son nom commercial et réclamant outre des mesures d’interdiction sous astreinte, de destruction et de publication, paiement, à titre de dommages intérêts, de diverses sommes pour un montant total excédant 1.800.000 francs.

La BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE a conclu au débouté, faisant valoir en particulier que les activités de son adversaire, précédemment sans rapport avec les siennes, n’avaient été étendues au même domaine qu’en 1995, en même temps qu’était déposée la marque invoquée. Elle réclamait notamment l’annulation de la marque et paiement de la somme de 100.000 francs pour procédure abusive. Le tribunal, après avoir retenu que la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE disposait sur le signe BNF de droits privatifs antérieurs à ceux qui lui étaient opposés, a :

- débouté BNF DIFFUSION de l’intégralité de ses demandes,

- reçu partiellement la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE en sa demande reconventionnelle.

annulé la marque BNF déposée le 2 janvier 1995 pour les produits de la classe 16 et ordonné la transmission du jugement pour inscription au registre national des marques,

- prononcé des mesures d’interdiction sous astreinte pour les produits d’imprimerie et tous genres de travaux graphiques,

- dit que la société BNF DIFFUSION devrait justifier de ses démarches au greffe du tribunal de commerce pour modifier les mentions relatives à son objet social et assorti cette condamnation d’une astreinte,

- rejeté toutes autres demandes. BNF DIFFUSION a interjeté appel. La BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE autorisée à assigner selon la procédure de jour fixe, a, formant appel incident, saisi également la cour. Elle conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il n’a pas été fait droit à ses demandes de publication et de dommages intérêts pour procédure abusive, qu’elle limite en appel à la somme de 1 franc. BNF DIFFUSION expose :

- que, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, elle était titulaire de droits sur le terme BNF antérieurement à son adversaire, ce terme ayant été créé à titre de nom commercial en novembre 1993 par M. B qui exploitait une entreprise personnelle,

- que ce nom commercial, élément du fonds de commerce, lui a été transmis lors de la cession de ce fonds au moment de sa création en mai 1994. Elle fait en outre valoir que la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE n’a aucun droit opposable sur l’abréviation BNF qui ne correspond pas à sa dénomination officielle et qui ne peut être assimilée à un nom commercial ou à un nom patronymique. Elle réitère ses demandes en contrefaçon de sa marque et en usurpation de sa dénomination sociale, de son nom commercial et de son enseigne et sollicite la condamnation de la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE au paiement à titre de dommages intérêts de la somme de 600 000 francs pour l’usurpation et la contrefaçon et de celle de 1 280 000 francs en réparation du préjudice commercial résultant de la contrefaçon de la marque. Elle demande à la cour, qu’outre des mesures d’interdiction sous astreinte et de publication, soit ordonné sous astreinte le retrait de tous documents et tous objets comportant l’indication du sigle BNF, et, en tant que de besoin, la destruction de ces documents aux frais de la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE.

Chacune des parties revendique le bénéfice des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

DECISION

I – SUR L’ORIGINE DES DROITS DE LA SOCIÉTÉ BNF DIFFUSION SUR LE SIGNE BNF

Considérant que la société BNF DIFFUSION, créée en mai 1994, prétend bénéficier d’un droit antérieur, consistant dans le nom commercial de l’entreprise de M. BUREL, nom commercial inscrit au registre du commerce de STRASBOURG, le 9 décembre 1993 ; qu’elle soutient en effet que ce nom commercial lui a été transmis (même s’il n’y a pas eu d’écrit) avec le fonds de commerce de M. B puisqu’elle a pris la suite de l’activité de ce dernier ;

Considérant que si l’écrit n’est pas une condition de validité du contrat de vente de fonds de commerce, il appartient néanmoins à celui qui se prévaut d’une cession d’en établir la réalité ;

Considérant qu’en l’espèce, rien ne prouve que M. B aurait cédé à la société nouvelle qu’il créait l’intégralité de son fonds de commerce ; qu’en effet les documents produits ne portent que sur des biens corporels ou n’émanent pas de M. B (facture comportant une liste de biens corporels avec une estimation de leur valeur sans justificatif du paiement de cette somme par la société, à M. B, bail enregistré le 8 mars 1994, conclu au nom de M. B avec une autorisation de sous-location à la société BNF DIFFUSION en formation, attestation de Madame B qui aurait cédé le véhicule Trafic dont elle était propriétaire à la société) et sont donc insuffisants pour établir la réalité de la transmission de l’universalité du fonds de commerce ; que l’extrait du registre du commerce mentionnant la radiation de l’entreprise de M. BUREL fait d’ailleurs état d’une « suppression du fonds », alors que l’extrait K bis de BNF DIFFUSION mentionne que le fonds de commerce qu’elle exploite a pour origine une « création » ;

Considérant que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu que la société BNF DIFFUSION ne pouvait se prévaloir d’aucun droit sur le sigle BNF avant son immatriculation au registre de commerce le 20 juin 1994 ;

II – SUR LES DROITS DE BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE

SUR LE SIGLE BNF

Considérant que, selon l’appelante, le tribunal a, à tort, reconnu des droits privatifs à son adversaire sur ce signe en relevant que cet établissement, créé par décret en date du 3 janvier 1994, était connu de tous, et à tout le moins sur l’ensemble du territoire national sous le signe BNF qui l’identifie depuis janvier 1994 et que ce sigle était pour l’établissement public l’équivalent de ce qu’est pour une société commerciale son nom commercial ;

Considérant qu’en effet, selon elle, aucun texte ne prévoit que le sigle utilisé par les tiers pour désigner un établissement public dont la dénomination est « BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE » puisse être l’équivalent du nom commercial d’une entreprise, l’article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle sur lequel se fonde son adversaire n’est pas conforme à la directive européenne qui précise que les Etats doivent dresser une liste exhaustive des droits privatifs pouvant être opposés à l’enregistrement d’une marque, son adversaire ne dispose d’aucun droit privatif sur ce terme qui ne correspond pas à sa dénomination sociale, et ne peut invoquer une prescription acquisitive, laquelle exige une possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque et à titre de propriétaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque l’intimée n’a pas manifesté la volonté de se considérer comme disposant d’un droit sur ce terme (lettres de son directeur du 18 octobre 1995 et du 26 août 1996), la désignation de la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE par le sigle BNF ne constitue qu’une simple commodité de langage à laquelle ont recouru des tiers pour désigner la l’établissement public qui ne confère à celui-ci aucun droit privatif ;

Considérant que la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE réplique en droit qu’elle n’invoque pas la prescription acquisitive qui ne saurait s’appliquer aux biens incorporels mais qu’elle se prévaut d’un droit privatif sur le terme qui l’identifie aux yeux de ses utilisateurs ; qu’il sera par ailleurs relevé que, contrairement à ce que soutient BNF DIFFUSION, l’article L. 711- 4 du Code de la propriété intellectuelle est conforme à la directive européenne du 21 décembre 1988, qui, dans son article 4 alinéa 4, c), ne dresse pas une liste exhaustive des droits qui peuvent être opposés à l’enregistrement d’une marque ;

Considérant qu’il est constant que depuis la création de la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE, cet établissement a été, de manière habituelle, d’une façon à la fois spontanée et massive dans le public, désigné sous le sigle BNF et cela dès janvier 1994 ; que si dans les lettres invoquées par l’appelante, le directeur de la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE avait déclaré ne pas utiliser le terme BNF à titre de marque, il se référait cependant à l’usage fait par les tiers des initiales de la dénomination de l’établissement ; que la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE verse aux débats plus de 200 articles de presse utilisant le sigle BNF pour désigner l’établissement public ; que si une centaine de ces articles ont été publiés avant le 20 juin 1994 date de l’immatriculation de la société appelante, tous sont antérieurs au dépôt de la marque invoquée en janvier 1995, et à l’extension des activités de la société BNF DIFFUSION à l’édition, imprimerie et travaux graphiques ;

Considérant que BNF DIFFUSION ne peut être suivie en ce qu’elle prétend que la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE ne pourrait se prévaloir de droits sur le sigle BNF parce qu’elle est un établissement public ; que, de même que sont protégés le nom commercial ou l’enseigne des entreprises commerciales, est également protégé le sigle qui identifie un établissement public auprès de ses usagers, en tout cas lorsque, comme en l’espèce, il acquiert un rayonnement national ; que le tribunal a justement retenu que le sigle BNF était, pour l’établissement public concerné, l’équivalent de ce qu’est le nom commercial pour une entreprise et que la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE disposant sur ce signe de droits antérieurs à ceux qui lui étaient opposés au titre de la marque BNF, l’action en contrefaçon de marque ne pouvait prospérer ;

Considérant que le jugement mérite pareillement confirmation en ce qu’il a dit que les demandes formées au titre de l’usurpation de dénomination sociale et de nom commercial devaient être repoussées, les droits de la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE étant antérieurs à la modification de l’activité de la société demanderesse en avril 1995 (modification avant laquelle aucun risque de confusion n’était possible entre l’activité de l’établissement public et celui de la société se rapportant essentiellement à la vente au porte à porte et au transport) ;

Considérant que compte tenu du risque de confusion entre les produits de la classe 16 liés à l’imprimerie et la papeterie visés par la marque BNF, et le sigle antérieur BNF, c’est à juste titre et par des motifs que la cour fait siens que les premiers juges ont prononcé la nullité de la marque pour ces produits, prononcé des mesures d’interdiction et enjoint sous astreinte à la société de justifier de ses démarches auprès du registre du commerce pour modifier son objet social ;

Considérant que la publication de la présente décision n’est pas nécessaire ;

Considérant qu’il n’est pas démontré que BNF DIFFUSION aurait fait preuve dans la présente instance d’une volonté de nuire ou d’une légèreté blâmable justifiant l’allocation des dommages intérêts de principe réclamés par la BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE Considérant que l’équité commande d’allouer à la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE la somme de 20 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS Confirme le jugement entrepris ;

 Y ajoutant ;

 Condamne la société BNF DIFFUSION à payer à la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE la somme de

20 000 francs par application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société BNF DIFFUSION aux dépens d’appel qui seront recouvrés, le cas échéant, par la SCP HARDOUIN- LE BOUSSE- HERSCOVICI, avoués, selon les dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.