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Décisions

Cass. com., 4 novembre 2020, n° 18-18.455

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Heben Music (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Bouzidi et Bouhanna

Paris, du 27 janv. 2015

27 janvier 2015

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2018, tel que rectifié le 29 juin 2018), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 11 janvier 2017, pourvoi n° 15-15.750), M. G..., auteur, compositeur, arrangeur, orchestrateur et réalisateur sous le pseudonyme de Prince AK, est l'auteur des paroles, avec M. R... pour la musique, de la chanson intitulée « [...] » mettant en scène une enfant prénommée X..., enregistrée le 12 juin 2005 et, avec MM. R... et Q... pour la musique, de la chanson intitulée « [...] », mettant en scène un personnage dénommé « [...] », écrite en mars 2006, dont les droits ont fait l'objet de contrats de cession et d'édition signés le 13 mars 2006 avec un éditeur. Le 26 mars 2006, un disque format single comprenant ces deux titres a été commercialisé par la société Heben Music sous l'intitulé « [...] ».

2. Ayant appris que cette société avait déposé, le 1er juin 2006, la marque verbale française « [...] » sous le numéro 06 3 432 222 pour désigner différents produits et services des classes 3, 9, 11, 14, 16, 18, 20, 21, 24, 25, 26, 28, 34, 38 et 41, et, le 27 novembre 2006, la marque verbale internationale « [...] » sous le numéro 920 900 pour désigner différents produits et services des classes 9, 16 et 38, M. G... l'a assignée, sur le fondement des articles L. 712-6 et L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, pour dépôt frauduleux et trompeur, en demandant, en dernier lieu, le transfert à son profit des deux marques et le paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. G... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en revendication des marques « [...] » n° 06 3 432 222 et n° 920 900, alors « qu'en affirmant, pour débouter M. G... de son action en revendication de la marque française "[...]" n° [...] et de la marque internationale "[...]" n° [...], que ce dernier ne pouvait à la fois invoquer le caractère trompeur des marques litigieuses et revendiquer celles-ci à son profit, cependant que M. G... s'était prévalu non pas du caractère intrinsèquement trompeur des marques litigieuses, mais de leur caractère trompeur en tant qu'elles avaient été déposées par la société Heben Music et évoquaient pour le public un rattachement erroné des produits de celle-ci avec l'activité artistique de M. G..., rattachement que la revendication priverait précisément de son caractère trompeur, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier le rejet de l'action en revendication, en violation de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, L. 712-6, alinéa 1er, et L. 714-3 du même code :

4. Si, selon les premier et troisième textes susvisés, une marque constituée d'un signe de nature à tromper le public ne peut pas être enregistrée et, si elle l'a été, doit en principe être annulée, une telle marque peut néanmoins, en application du deuxième, donner lieu à revendication dans l'hypothèse où le transfert de sa propriété ferait disparaître son caractère déceptif.

5. Pour rejeter la demande de M. G... en revendication des marques française et internationale « [...] » pour dépôt frauduleux par la société Heben Music, l'arrêt, après avoir relevé que M. G... soutenait que le dépôt de ces marques avait pour but de tromper le public sur la provenance des enregistrements et de faire croire qu'il n'existait pas d'artiste réel ayant interprété ses oeuvres, énonce qu'il ne peut revendiquer à son profit des marques dont il allègue le caractère trompeur.

6. En statuant ainsi, sans vérifier si le transfert des marques litigieuses à M. G..., qui ne concluait à leur caractère trompeur que dans la seule mesure où elles avaient été déposées par la société Heben Music, ne ferait pas disparaître leur éventuel caractère déceptif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. G... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « qu'il avait sollicité des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant tant du caractère trompeur des dépôts allégués que de leur caractère frauduleux ; qu'en le déboutant de sa demande de dommages-intérêts au seul titre du caractère trompeur des dépôts, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si elle était fondée au titre de leur caractère frauduleux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1382, devenue 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

8. Aux termes de cet article, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

9. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts de M. G... en réparation du préjudice subi du fait du dépôt des marques, l'arrêt, après avoir estimé que M. G... n'avait aucune exclusivité sur la dénomination « [...] » et que, dès lors, des écrits autres que les siens pouvaient être produits sous cette dénomination, retient qu'il ne caractérise pas le préjudice qu'il aurait subi du fait de l'utilisation des marques litigieuses par la société Heben Music.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, ainsi que le soutenait M. G..., la société Heben Music l'avait, en toute connaissance de cause et de façon déloyale, privé de la possibilité d'exploiter paisiblement la dénomination « [...] », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. G... de sa demande de revendication des marques « [...] » n° 06 3 432 222 et n° 920 900 ainsi que de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 30 mars 2018, tel que rectifié le 29 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.