CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 mai 2015, n° 14/25007
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Monster Energy Company (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mme Nerot, Mme Renard
Avocats :
Me Ribaut , Me Tribouillet
SUR CE,
Considérant qu'au soutien de son recours, la société requérante reproche au Directeur de l'INPI de n'avoir retenu que pour partie l'identité ou la similarité des produits couverts par chacun des deux signes opposés alors que pour quatre séries d'entre eux ils doivent également être considérés comme similaires et qu'en outre, pour ce qui est des produits du tabac de la classe 34, compte tenu des dispositions du code de la santé publique, elle est fondée à s'opposer à son enregistrement ;
Qu'elle qualifie, par ailleurs, d'erronée l'analyse comparative des signes en présence menée par le Directeur de l'INPI ; que la commune présence du terme « Mons » en attaque, au caractère dominant et en regard duquel le terme « Energy » de la marque antérieure n'apparaît que secondaire, constitue, à son sens, une ressemblance marquante de même que la semblable présence d'un « M » au centre des signes opposés et que les différences relevées (longueur de termes « Mons » et « Monster », éléments figuratifs) ne sont pas significatives ; que l'analyse phonétique pratiquée a, de plus, occulté l'importance des sonorités de « Mons » et du « M » présentes dans chacun des signes en conflit ; qu'enfin, ceux ci renvoient identiquement à un même concept, à savoir le monde animal ou surnaturel, l'élément verbal venant renforcer l'évocation d'une même idée de griffure, de violence, d'un monde de prédateurs ;
Qu'elle ajoute pour finir que le risque de confusion est d'autant plus élevé que la marque antérieure a acquis un caractère distinctif élevé, son titulaire étant l'un des leaders mondiaux sur le marché des boissons énergisantes et distribuant aussi des vêtements et accessoires de mode ;
Sur la comparaison des produits
Considérant que l'opposante conteste comme suit l'appréciation du directeur de l'INPI relative à l'identité ou la similarité des produits visés à l'enregistrement des marques en litige :
1 - S'agissant des « sucre, miel, sirop de mélasse ; sucreries » de la demande d'enregistrement et des « boissons à base de thé ; boissons à base de café » couverts par la marque antérieure
Considérant que si l'appelante ne critique pas la décision en ce qu'elle énonce que les premiers ne sont pas nécessairement destinés aux seconds, elle estime que cela n'exclut pas leur complémentarité, selon elle nécessaire ; qu'il suffit, expose t elle, que l'un soit « indispensable ou important pour l'usage de l'autre » selon une décision communautaire (Sanco SA) et qu'en l'espèce les premiers entrent dans la composition des premiers, qu'ils sont présentés ensemble dans les grandes surfaces, vendus majoritairement ensemble dans les magasins spécialisés ou en bocaux et que les seconds sont même vendus déjà sucrés ;
Mais considérant qu'à juste titre, l'INPI objecte que la complémentarité requiert l'existence d'un lien étroit et obligatoire entre les produits, sauf à s'affranchir du principe de spécialité, de sorte que des rapprochements occasionnels ou aléatoires sont insuffisants pour caractériser une complémentarité ;
Que les substances désignées dans la demande d'enregistrement sont de nature différentes de celle des boissons couvertes par la marque antérieure, que ces produits ne répondent pas aux mêmes besoins et que leur rapprochement n'est qu'optionnel ; que le lien de complémentarité invoqué ne peut donc être retenu ;
2 S'agissant des produits suivants : «riz, tapioca, sagou, farine et préparations faites de céréales ; levure, poudre pour faire lever ; sel, moutarde ; vinaigre, sauces (condiments), épices » de la demande d'enregistrement et des « boissons à base de thé ; boissons à base de café » couverts par la marque antérieure
Considérant que pour affirmer que ces produits ont mêmes nature, fonction et destination, la requérante soutient que ce sont des produits de première nécessité permettant à l'être humain de s'alimenter et de s'hydrater, qu'ils répondent aux mêmes habitudes de consommation, qu'il suffit qu'ils entrent dans la composition d'un même repas, qu'ils peuvent, de plus, s'adresser à la même clientèle et être vendus dans les mêmes points de vente ;
Mais considérant que les produits finis ou destinés à s'incorporer à des préparations culinaires ou encore à les accompagner n'ont pas la même nature ni la même fonction que les boissons de la marque antérieure, que leur absorption conjointe au cours d'un même repas n'est qu'hypothétique de même que leur distribution dans les mêmes points de vente, la requérante n'évoquant d'ailleurs que les grandes surfaces qui référencent nombre de produits des plus divers si bien que le consommateur ne les associera pas nécessairement ;
Que la requérante échoue donc en ce deuxième point de sa contestation ;
3 S'agissant des «pain, pâtisserie et confiseries, glaces comestibles ; sandwiches, pizzas, crêtes (alimentation) ; biscuits, gâteaux ; biscottes» désignés dans la demande d'enregistrement et des « boissons à base de thé ; boissons à base de café » couverts par la marque antérieure
Considérant que la société Monster Energy Company soutient de la même façon que, consommés au cours des mêmes repas et empruntant les mêmes circuits de distribution, ils sont similaires, ajoutant que les premiers s'entendent de produits de boulangerie, comme énoncé dans la décision querellée, et que de nombreuses boulangeries et pâtisseries offrent à la vente des boissons à base de thé ou de café destinés à une consommation sur place ;
Mais considérant que par mêmes motifs qu'au point 3 précédent, il ne peut être retenu que les produits opposés aient semblables caractéristiques et fonction ; qu'ils ne satisfont pas aux mêmes besoins et peuvent aisément être consommés isolément, le directeur de l'INPI observant justement que les pratiques invoquées n'impliquent nullement qu'en vertu des usages du commerce, des consommateurs finaux soient soumis à une offre conjointe des aliments et boissons concernés au point de leur attribuer une même origine commerciale ;
Que cet élément de la contestation ne peut, par conséquent, prospérer ;
4 S'agissant des « glaces à rafraîchir » de la demande d enregistrement et des «thé glacé, café glacé» de la marque antérieure
Considérant que la requérante expose que le thé glacé et le café glacé sont des produits fabriqués à partir de glace à rafraîchir, que, sans la glace, ils ne seraient que des produits « classiques » et que la glace est un élément indispensable à leur fabrication, ce qui fait que ces produits sont étroitement liés ;
Mais considérant que la requérante procède ici par affirmation sans démontrer que les thés ou boissons glacés requièrent nécessairement de la glace à rafraîchir, alors que tel n'est pas le cas et que la glace à rafraîchir n'est pas nécessairement destinée à ce type de boissons ni d'usage ;
Qu'en l'absence, par conséquent, de démonstration d'un lien étroit et obligatoire entre ces produits, la contestation n'est pas fondée ;
5 S'agissant des produits de tabac en classe 34
Considérant que, se fondant sur les dispositions des articles L 3511-3 et L 3511-4 du code de la santé publique, la requérante évoque à leur égard le trouble à l'ordre public et à l'usage futur de sa marque que constitue l'enregistrement du signe contesté ;
Mais considérant que ces dispositions ont vocation à réglementer la publicité en faveur de tels produits ; que le directeur de l'INPI fait pertinemment valoir qu'il ne saurait porter une appréciation sur les conditions d'exploitation du signe et que l'appréciation de l'application de ces dispositions ressort de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Que, dans le cadre précis du présent contentieux, le moyen n'est donc pas fondé ;
Sur la comparaison des signes
Considérant que la marque antérieure porte sur le signe semi figuratif « Monster Energy » comportant, dans un rectangle de couleur noire et aux deux tiers de sa partie supérieure, trois « dégoulinures » irrégulières, accentuées à leur sommet et effilées en leur extrémité, verticales, quasi parallèles et de couleur vive, jaune et verte ; qu'à la base du cartouche, le terme « Monster » en lettres blanches majuscules dont les contours sont irréguliers et dont le « O » est barré à la verticale, surmonte le terme « Energy » calligraphié en lettres vertes majuscules ;
Que la demande d'enregistrement litigieuse porte sur le signe « Mons ((M)) » ; qu'elle est constituée d'un ovale épais de couleur noire, légèrement ouvert en sa partie droite, incluant en son sommet et en lettres blanches épaisses l'élément verbal « Mons »; que cet ovale inclut deux triangles ouverts de couleur noire dont la jonction peut figurer la lettre majuscule « M », leurs côtés supérieurs tronqués se terminant en pointe ;
Considérant que le signe critiqué ne constituant pas la reproduction à l'identique de la marque première qui lui est opposée, il convient de rechercher s'il n'existe pas entre les deux signes un risque de confusion (lequel comprend le risque d'association) qui doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; que cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ;
Qu'en outre, un faible degré de similitude entre les produits ou services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les signes et inversement ;
Que, visuellement, la commune présence de la séquence « Mons » issue du terme « Monster » dans la marque antérieure et du terme « Mons » dans le signe contesté ne constitue pas, comme il est prétendu, une ressemblance visuelle marquante, le terme « Monster » étant appelé à être lu sans décomposition par le consommateur ;
Que rien ne permet d'affirmer, non plus, que celui ci verra dans les trois « dégoulinues » de la marque première une figuration de la lettre « M » alors qu'elles se présentent plutôt comme la trace laissée par une griffure et qu'il fera, de plus, un rapprochement avec l'enchevêtrement géométrique susceptible d'évoquer la lettre majuscule « M » dans le signe contesté ;
Que la présence du terme « Energy » dans la seule marque antérieure, les couleurs employées dans chacun des deux signes, leurs polices de caractère distinctes et les éléments figuratifs de chacun qui ne peuvent être tenus pour négligeables tant ils sont importants sont autant de facteurs qui ne permettent pas de dire, comme le voudrait la requérante, que les signes en présence sont visuellement similaires ;
Que, phonétiquement, la requérante ne peut occulter le fait que l'élément verbal de la marque première comprend, en sus du terme « Monster », le terme « Energy » ni valablement prétendre que les éléments graphiques seront prononcés et qu'ils le seront comme la lettre « M », ni encore se prévaloir des similitudes phonétiques entre la séquence « Mons » de « Monster » et le terme « Mons » de la demande d'enregistrement, le consommateur n'étant pas conduit, comme il a été dit, à décomposer le terme « monster » et étant incité à lui donner une prononciation anglaise, phonétiquement différente du simple terme « mons » ;
Que, conceptuellement, si la marque antérieure est susceptible d'évoquer, pour le consommateur moyen, un univers de cruauté animale peuplé de monstres puissants, il ne trouvera pas dans le signe contesté une telle évocation, le terme « Mons », que la requérante présente sans éléments pertinents pour en justifier comme l'abréviation du mot « monstre », pouvant tout aussi bien le renvoyer à une idée de montagne, à une ville belge ou lui apparaître dépourvu de sens évident, tout comme ce qui peut se rapprocher de la majuscule « M » occupant l'ovale du signe contesté et, en tout cas, sans rien qui l'incite à penser à la violence animale, à un monstre et à l'énergie véhiculés par la marque première ;
Qu'enfin, débattant du risque de confusion, la requérante ne peut tirer argument de la forte réputation que sa marque aurait acquise dans le monde entier, faute de s'en être prévalue lors de la procédure devant l'INPI, le présent recours n'ayant pas d'effet dévolutif ;
Qu'il résulte de l'analyse globale ainsi menée qu'en dépit de l'identité ou de la similarité d'une partie des produits couverts par les marques opposées, le consommateur ne pourra se méprendre sur l'origine respective des produits ou des services en cause, tant sont distinctes la présentation visuelle, la prononciation et la perception des signes opposés ; qu'il ne sera pas conduit à les confondre ou à les associer en pensant qu'ils proviennent d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées ;
Que doit, par conséquent, être rejeté le recours formé à l'encontre de la décision rendue par le Directeur de l'INPI ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours formé par la société organisée selon les lois de l'Etat du Delaware (USA) Monster Energy Company à l'encontre de la décision rendue le 16 septembre 2014 par le Directeur Général de l'Institut national de la propriété industrielle ;
Dit que la présente décision sera notifiée par les soins du greffe et par lettre recommandée avec accusé de réception à la société organisée selon les lois de l'Etat du Delaware (USA) Monster Energy Company, à Monsieur Mehdi B. et au Directeur Général de l'Institut national de la propriété industrielle.