Livv
Décisions

Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-13.128

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Raynaud

Paris, du 16 janv. 1991

16 janvier 1991

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 1991), que la société Urgo est titulaire de la marque Urgo déposée le 28 juillet 1965 enregistrée sous le numéro 262 541, renouvelée le 28 juillet 1980 sous le numéro 1 145 317 et le 30 avril 1987 sous le numéro 1 406 229 pour désigner dans la classe 5 les matériels pour pansements ; que la société Laboratoires d'Hygiène et Diététique (société LHD) est titulaire des marques Urgofix, déposée le 10 novembre 1986, enregistrée sous le numéro 1 379 239 pour désigner les produits dans les classes 3 et 5, Urgoflex, déposée le 22 septembre 1982, enregistrée sous le numéro 1 213 604, pour désigner les produits dans la classe 5, Urofilm, déposée le 29 novembre 1982, enregistrée sous le numéro 1 220 335, pour désigner les produits dans la classe 5 ; que la société Urgo est licenciée de ces marques en vertu d'un contrat du 25 mai 1983, publié au registre national des marques ; que Mme Jacqueline X..., après avoir fait procéder à une recherche d'antériorité par le cabinet de conseil en propriété industrielle Regimbeau, a déposé, le 1er avril 1987, les marques Urgislip et Urgifilet, enregistrées sous les numéros 1 401 501 et 1 401 502 pour désigner dans la classe 5, la première, les slips et, couches hygiéniques pour incontinents, la seconde les filets de maintien de pansement et matériel pour pansements, le 19 mai 1988, les marques Urgy's et Urgy's Aseptil, enregistrées sous les numéros 1 466 995 et 1 466 994 pour désigner les produits dans la classe 5 ; que le 28 juillet 1987, la société Urgifarm, ayant pour gérant Mme X... et pour objet social la vent,et la distribution de tous produits pharmaceutiques non médicaux et parapharmaceutiques, a été immatriculée au registre du commerce ; que le 16 septembre 1988, la société Urgo et la société LMD ont assigné Mme X... en annulation du dépôt des marques suscitées et en imitation illicite des marques Urgo, Urgofix, Urgoflex et Urgofilm, en annulation de leur dépôt et en condamnation au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'atteinte au nom commercial et par la concurrence déloyale ; Sur le premier moyen pris en ses trois branches :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir annulé le dépôt des marques Urgislip, Urgifilet, Urgy's et Urgy's Aseptil pour avoir été effectué frauduleusement, alors, selon le pourvoi, d'une part que, suivant les articles 1, 13 et 14 de la loi du 31 décembre 1964, le distributeur exclusif d'une marque appartenant à une société tierce de nationalité étrangère est sans qualité pour poursuivre l'annulation d'une marque française arguée de contrefaçon ou d'imitation ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt qu'Urgo n'était pas propriétaire de la marque Surgifix dont il n'est pas établi au surplus qu'elle fût inscrite au registre national des marques ; qu'en omettant dès lors de déduire l'irrecevabilité de la demande d'Urgo qui s'évinçait de ses propres constatations, la cour d'appel a violé les textes suscités ; alors, d'autre part, que suivant l'article 1er de la loi du 31 décembre 1964, la protection de la marque ne s'étend pas nécessairement à tous les produits de la classe dans laquelle elle est déposée, mais seulement aux produits identiques ou voisins de ceux pour lesquels elle a été déposée ; qu'en annulant les marques exploitées par Urgifarm dans le domaine du filet de maintien de pansements, même si les marques dont se prévalait Urgo étaient relatives à des pansements adhésifs, la cour d'appel a méconnu la règle de spécialité des marques litigieuses en violation de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1964 ; alors enfin, qu'en toute hypothèse que le radical "Urgo" suivi de termes différents, tant visuellement que phonétiquement en ce qui concerne les produits respectivement commercialisés par Urgifarm et Urgo, réalisait une combinaison faiblement distincte, insusceptible en elle-même, au regard de la différence des produits, de justifier l'annulation des marques de la société Urgifarm ; qu'en décidant le contraire, sans autrement caractériser une prétendue atteinte aux marques exploitées par Urgo, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt a prononcé la nullité du dépôt des marques Urgislip, Urgifilet, Urgy's et Urgy's Aseptil en raison de ce qu'elles imitaient illicitement la marque Urgo, dont est titulaire la société Urgo et les marques Urgofix, Urgoflex et Urgofilm dont est titulaire la société LHD ; que la cour d'appel n'a donc pas accueilli une demande d'annulation d'une marque faite par une société qui n'en était pas titulaire ;

Attendu, d'autre part, que ni l'arrêt ni les conclusions ne font apparaître que Mme X... et la société Urgifarm aient soutenu devant la cour d'appel que le principe de la spécialité des marques devait faire échec à la demande en annulation du dépôt des marques litigieuses pour imitation illicite ; que le moyen dans sa deuxième branche est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel a retenu que le dépôt des marques Urgo, Urgofix, Urgoflex et Urgofilm et la constitution de la société Urgifarm, à la suite de la mise en règlement judiciaire de la société Adifarm dont la gérante était la soeur de Mme Jacqueline X..., et de la résiliation du contrat de distribution exclusive des produits portant la marque Surgifix, de la société italienne FRA, avaient pour but de créer, dans l'hypothèse où la société Urgo deviendrait le distributeur exclusif des produits Surgifix, une confusion pour détourner la notoriété de la marque Urgo ; que la cour d'appel a pu déduire de ces constatations et appréciations faisant apparaître que le dépôt des marques litigieuses, effectué en fraude des droits de la société Urgo et dans le but de lui nuire, était nul ; D'où il suit que le moyen, irrecevable dans sa deuxième branche, n'est pas fondé pour les première et troisième branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la dénomination Urgifarm portait atteinte au nom commercial Urgo alors, selon le pourvoi, que, suivant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les jugements et arrêts doivent être motivés ; qu'en affirmant l'existence d'une atteinte au nom commercial d'Urgo, à la faveur de motifs inopérants tirés de la seule commercialisation des produits respectifs d'Urgo et d'Urgifarm sans autrement caractériser des circonstances propres à réaliser une atteinte à l'enseigne de la société Urgo, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation du texte précité ; Mais attendu que la cour d'appel a retenu que les sociétés Urgo et Urgifarm commercialisaient les mêmes produits et que la société Urgifarm avait adopté frauduleusement ce nom commercial pour entraîner une confusion avec le nom commercial Urgo dont elle tentait par ce moyen de bénéficier de la notoriété ; que par ces motifs la cour d'appel a caractérisé l'existence d'une atteinte au nom commercial de la société Urgo ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le troisième moyen pris en ses deux branches :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Urgifarm au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, que d'une part, en l'état des indications différentes propres aux produits respectivement exploités par Urgo et Urgifarm et susceptibles de donner lieu à un choix éclairé de la clientèle par le pharmacien, il ne saurait y avoir de confusion caractéristique de la concurrence déloyale ; qu'en décidant le contraire, sans examiner la portée du conseil des professionnels, intermédiaires obligatoires avec la clientèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel n'a caractérisé aucun préjudice du chef d'Urgo à raison des faits reprochés à Urgifarm ; qu'en allouant dès lors à Urgo une somme forfaitaire de 500 000 francs, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; Mais attendu que la cour d'appel a relevé qu'il ressortait de nombreuses attestations de pharmaciens qu'une confusion existait dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des produits en raison de ce que les produits de la société Urgifarm étaient commercialisés sous une présentation et dans des conditions identiques et a apprécié le dommage causé à la société Urgo en tenant compte de la notoriété acquise par celle-ci ; qu'en l'état ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche invoquée, a pu retenir l'existence d'actes de concurrence déloyale et apprécié le préjudice en résultant ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le quatrième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable la mise en cause en appel du cabinet Regimbeau, alors, selon le pourvoi, que, suivant les articles 554 et 555 du nouveau Code de procédure civile, peuvent être appelés en appel, même aux fins de condamnation quand l'évolution du litige implique leur mise en cause, les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ; que la condamnation de la société Urgifarm et de Mme X... par les premiers juges constituait en l'espèce une évolution du litige justifiant la mise en cause du conseil en propriété industrielle ayant procédé aux recherches d'antériorité et au dépôt des marques incriminées ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes précités ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir énoncé que l'intervention forcée en cause d'appel impliquait la révélation d'un fait ou d'un élément nouveau né du jugement ou survenu postérieurement, a retenu que Mme X... et la société Urgifarm savaient dès l'origine du litige que le cabinet Regimbeau était intervenu à leur demande en qualité de conseil pour le dépôt des marques litigieuses ; qu'elle a ainsi, en déclarant irrecevable l'assignation en intervention forcée devant elle du cabinet Regimbeau, légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;