Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-17.533
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 janvier 2014), que la société Parabole Réunion, qui commercialise des bouquets de chaînes de télévision en réception directe par satellite sur les territoires de l'Ile de La Réunion, de l'Ile Maurice, de Mayotte et de Madagascar, est titulaire de la marque verbale française « I-Message » n° 3 209 724, déposée le 14 février 2003 pour désigner des produits et services en classes 9, 38 et 41 ; qu'elle a assigné en contrefaçon de marque la société Apple qui avait, le 14 septembre 2011, procédé au dépôt d'une demande d'enregistrement de la marque verbale communautaire « iMessage » n° 10264026 pour désigner des produits et services en classes 9, 38 et 42 et qui faisait usage de ce signe depuis le 6 juin 2011 pour une nouvelle fonctionnalité du système d'exploitation iOS 5 installé sur ses iPod, iPhone et iPad permettant à l'utilisateur de recevoir et d'adresser des messages sans coût supplémentaire de l'opérateur téléphonique ; que la société Apple a formé, à titre reconventionnel, une demande en déchéance des droits de la société Parabole Réunion sur la marque « I-Message » n° 3 209 724 pour l'ensemble de ses produits et services ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que la société Apple fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en déchéance des droits de la société Parabole Réunion sur la marque verbale française « I-Message » n° 3 209 724 pour les services de transfert de données et de communication audiovisuelle en classe 38 alors, selon le moyen, que l'usage d'une marque française ne peut être qualifié de sérieux qu'à la condition de constituer un usage quantitativement suffisant, dans le secteur économique considéré, pour maintenir ou créer des parts de marché, en France, pour les produits ou services protégé par la marque ; que le caractère sérieux de l'usage de la marque doit être apprécié en tenant compte de l'ensemble des faits et circonstances pertinents, en particulier des usages considérés comme justifiés, dans le secteur économique considéré, pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou services protégés par la marque, de la nature de ces produits ou de ces services, de l'étendue territoriale et quantitative de l'usage et de la fréquence de ce dernier ; qu'en se bornant à affirmer, après avoir relevé que la société Parabole Réunion, exerçant ses activités dans diverses îles de l'Océan indien, dont La Réunion et Mayotte, revendiquait « 250 000 téléspectateurs au quotidien pour 90 000 foyers abonnés », et s'être contentée de décrire le mode de fonctionnement du service « I-Message » de cette société, qu'« en regard des éléments pertinents ci-avant rappelés, les données factuelles de l'espèce permettent à la marque « I-Message » d'échapper à la déchéance», sans justifier concrètement en quoi un tel usage de cette marque sur le territoire français, limité à La Réunion et Mayotte, pourrait être considéré comme suffisant, dans le secteur économique considéré, pour maintenir ou créer des parts de marché, en France, pour les services litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;
Mais attendu, d'abord, que l'usage, même minime, d'une marque peut être suffisant pour être qualifié de sérieux, à condition qu'il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou services protégés par la marque, et, ensuite, que l'importance territoriale de l'usage n'est qu'un des facteurs, parmi d'autres, devant être pris en compte ; qu'après avoir relevé que la société Parabole Réunion avait pour activité la commercialisation d'un bouquet de chaînes, en ce qui concerne le territoire français, à l'île de La Réunion et Mayotte, et qu'elle revendiquait 250 000 téléspectateurs au quotidien pour 90 000 foyers abonnés, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient qu'il est justifié, par les publicités accompagnées d'attestations, les dépliants publicitaires, les brochures de présentation et d'utilisation du service IMédia 4.0, de l'usage, par cette société, de la marque « I-Message » depuis la fin de l'année 2004, pour désigner un service permettant à l'utilisateur de recevoir, consulter et effacer, sur son écran de télévision, des messages personnalisés tels que des programmes exceptionnels à ne pas manquer, des événements à La Réunion en partenariat avec la société, des avantages exclusifs et offres spéciales réservés à ses abonnés, des jeux concours ou jeux SMS ; que par ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir le caractère sérieux, eu égard aux spécificités du marché considéré, de l'usage, par la société Parabole Réunion, de la marque en ce qui concerne les services de transfert de données et de communication audiovisuelle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société Parabole Réunion fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en contrefaçon de sa marque française « I-Message » n° 3 209 724 résultant, d'une part, de l'utilisation par la société Apple du signe « iMessage » pour désigner un service de messagerie et, d'autre part, du dépôt par cette même société de la demande d'enregistrement de la marque communautaire « iMessage » n° 10264026 et tendant à l'indemnisation du préjudice en résultant, à la nullité de la marque communautaire n° 10264026, à ce qu'il soit fait interdiction à la société Apple d'utiliser le signe « iMessage » pour désigner les classes de produits et services protégées par la marque « I-Message » et à ce qu'elle procède à différentes publications judiciaires alors, selon le moyen :
1°/ que, dans ses conclusions d'appel, la société Parabole Réunion soutenait, d'une part, que le service iMessage proposé par la société Apple permet de transférer des données, que celle-ci soient graphiques, alphanumériques ou vidéos, d'un appareil X doté d'un espace de mémorisation vers un appareil Y également doté d'un espace de mémorisation, cet appareil pouvant être un téléphone -iPhone-, une tablette -iPad-, un lecteur mp3 -iPod-, un ordinateur -iMac- et que le service iMessage répond donc parfaitement à la qualification de transfert de données telle qu'elle est communément donnée et, d'autre part, que, les services iMessage, proposés par la société Apple peuvent apparaître sur un écran de télévision tout comme les services I-Message proposés par la société Parabole Réunion peuvent apparaître sur l'écran d'un ordinateur créant un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne quant à l'origine des services ; qu'en se bornant à affirmer que les services enregistrés par la société Parabole Réunion et celui fourni par la société Apple ne répondent pas aux mêmes besoins, n'ont pas la même finalité et ne sont pas utilisés en complément l'un de l'autre, pour conclure à l'absence de toute similarité entre eux, sans préciser concrètement en quoi ces usages et finalités divergeraient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que la comparaison des produits doit porter sur ceux visés par l'enregistrement des marques en question et non sur ceux pour lesquels la marque a effectivement été utilisée ; qu'en affirmant, par motif adopté, que les services comparés ne seraient pas similaires car ceux de la société Parabole Réunion n'ont pas pour objet d'envoyer à l'utilisateur sur son écran de télévision ou de téléphone des informations déterminées par l'exploitant ou un de ses prestataires mais de permettre à un utilisateur de communiquer avec un autre utilisateur de ce service, la cour d'appel, qui s'est référé à l'usage de la marque plutôt qu'aux services désignés par l'enregistrement, a violé les articles L. 711-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que dans l'appréciation de la similitude entre des produits ou services, il y a lieu de tenir compte de la politique de diversification des entreprises du secteur concerné et du risque induit que les consommateurs puissent attribuer une origine commune à des produits ou services en provenance d'entreprises différentes ; que la société Parabole Réunion soutenait qu'il existait un double mouvement de diversification susceptible d'entraîner une confusion dans l'esprit du public quant à l'origine de ses services par rapport à ceux commercialisés par la société Apple, la société Parabole Réunion ayant d'un côté entrepris, pour suivre le mouvement technologique et économique impulsé par les opérateurs de télécommunications, de développer des services de messagerie interactif par le biais de décodeurs connectés à l'Internet, et la société Apple ayant, de son côté, multiplié les développements de ses terminaux vers la télévision avec la Apple TV capable de faire fonctionner la messagerie iMessage ; qu'en se bornant à affirmer que les services de transfert de données et de télécommunication audiovisuelle enregistrés par la société Parabole Réunion et celui fourni par la société Apple ne répondent pas aux mêmes besoins, n'ont pas la même finalité et ne sont pas utilisés en complément l'un de l'autre, pour conclure à l'absence de toute similarité entre eux, sans analyser s'il ne pouvaient être regardés comme similaires dans l'esprit du public compte tenu de la diversification croisée des activités des parties en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que pour examiner le risque de confusion dans l'esprit du public, il y a lieu de procéder à une appréciation globale fondée sur l'impression d'ensemble produite par les signes en présence ; que ne constitue pas un facteur pertinent dans l'appréciation du risque de confusion la notoriété de l'exploitant du signe argué de contrefaçon ; qu'en considérant que la confusion entre la marque I-Message et le signe iMessage, malgré leur importante similitude, devait être écartée compte tenu de la notoriété de la société Apple auprès des consommateurs, la cour d'appel a violé l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ que dans l'appréciation du risque de confusion, il y a lieu de tenir compte de la politique de diversification des entreprises du secteur concerné et du risque induit que les consommateurs puissent attribuer une origine commune à des produits ou services en provenance d'entreprises différentes ; que la société Parabole Réunion soutenait qu'il existait un double mouvement de diversification susceptible d'entraîner une confusion dans l'esprit du public quant à l'origine de ses services par rapport à ceux commercialisés par la société Apple, la société Parabole Réunion ayant d'un côté entrepris, pour suivre le mouvement technologique et économique impulsé par les opérateurs de télécommunications, de développer des services de messagerie interactif par le biais de décodeurs connectés à l'Internet, et la société Apple ayant, de son côté, multiplié les développements de ses terminaux vers la télévision avec la Apple TV capable de faire fonctionner la messagerie iMessage ; qu'en se bornant à affirmer que rien ne permet de considérer que le consommateur moyen confondra les signes en conflit compte tenu de la notoriété de la société Apple, sans analyser si le risque de confusion ne pouvait pas procéder de la diversification croisée des activités des parties en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
6°/ que constitue un acte de contrefaçon par usage non autorisé le fait de déposer à l'enregistrement la marque d'autrui ; qu'en considérant que la contrefaçon par usage de la marque française « I-Message », appartenant à la société Parabole Réunion, devait s'accompagner, outre le dépôt du signe « iMessage » par la société Apple, d'actes d'exploitation de la marque seconde pour qu'un usage contrefaisant soit caractérisé, la cour d'appel a violé l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir rappelé que le risque de confusion entre les signes doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents de l'espèce, ce qui implique une certaine interdépendance entre ceux-ci, et qu'un faible degré de similitude entre les produits et services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, l'arrêt retient, d'abord, qu'en dépit de l'importante similitude visuelle et phonétique entre les signes en présence, rien ne permet de considérer que le consommateur moyen, nécessairement familiarisé, en raison de l'importante dimension économique de la société Apple dans son secteur d'activité, avec la gamme des produits de cette société désignés sous des appellations composées de la voyelle i en minuscule accolée à un terme dont l'initiale est en majuscule, se méprendra sur l'origine des services proposés en pensant qu'ils sont offerts par la même entreprise ou par des entreprises liées économiquement ; qu'il retient, ensuite, que les services de transfert de données et de communication audiovisuelle, visés à l'enregistrement de la marque invoquée, et l'activité portant sur les services de messagerie instantanée exploitée par la société Apple, qui ne répondent pas aux mêmes besoins, n'ont pas la même finalité et ne sont pas utilisés en complément l'un de l'autre, ne peuvent être considérés comme similaires ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, dont elle a déduit qu'il n'existait pas de risque de confusion dans l'esprit du public entre les signes en présence, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui a pu prendre en considération, notamment, la connaissance par le public de la gamme de produits dans laquelle s'inscrivait le nouveau service offert par la société Apple, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé qu'en toute hypothèse, la similitude entre les services en présence n'était pas démontrée, c'est par un motif erroné mais surabondant que la cour d'appel a retenu que le dépôt de la demande d'enregistrement de la marque « iMessage » par la société Apple ne pouvait pas à lui seul constituer un acte de contrefaçon de la marque « I-Message » ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en ses deuxième et sixième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident