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Décisions

Cass. com., 7 avril 1998, n° 95-20.361

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezard

Rapporteur :

M. Nicot

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Me Baraduc-Benabent, Me Luc-Thaler

Versailles, 12e ch. sect. 2, du 21 sept…

21 septembre 1995

Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Versailles, 21 septembre 1995), que la société Poleval a mis au point un procédé de conditionnement de médicaments appelé Diapack pour lequel elle a déposé un brevet le 28 mai 1985 et un brevet additif le 21 novembre 1987 pour protéger notamment l'exploitation du procédé à l'étranger; que des pourparlers se sont engagés, dans le courant de l'année 1987 entre cette société et la société Sandoz Suisse, elle-même informée par la société Sandoz France; que plusieurs réunions ont eu lieu et des correspondances ont été engagées; que la société Sandoz Suisse a adressé à la société Poleval plusieurs projets de contrat; que la société Poleval y a répondu favorablement, mais après études de faisabilité, la société Sandoz Suisse a fait connaître à son interlocuteur, le 19 décembre 1989, qu'elle n'entendait pas donné suite au projet; que cependant la société Sandoz France a poursuivi ses études de faisabilité et à la fin du mois d'août 1990, les relations ont été définitivement rompues entre les deux sociétés; que la société Poleval a assigné les sociétés Sandoz France et Sandoz Suisse en réparation du préjudice résultant de cette rupture ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que les sociétés Sandoz France et Sandoz Suisse font grief à l'arrêt d'avoir déclaré fautive la rupture des pourparlers alors, selon le pourvoi, d'une part, que le principe de la liberté de ne pas contracter qui inclut la liberté de rompre à tout moment les pourparlers trouve sa limite dans le devoir de bonne foi et de loyauté de chacun des interlocuteurs;

que ne peut être tenue pour fautive pour avoir laissé espérer à la société Poleval pendant quatre années la conclusion d'un accord définitif, son attitude dont la cour d'appel constate que la société Sandoz Suisse a rompu le 19 décembre 1989 des pourparlers commencés deux ans auparavant, en novembre 1987, qu'elle n'était ensuite plus intervenue, seuls les projets par elle rédigés ayant été transmis à la société Poleval par la société Sandoz France;

qu'en déclarant que la société Sandoz Suisse avait manqué de loyauté à l'égard de la société Poleval et en condamnant solidairement cette société avec la société Sandoz France, la cour a violé l'article 1382 du Code civil;

alors, d'autre part, que méconnaît les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui ne précise pas les documents sur lesquels elle se fonde ni ne procède à une analyse des pièces qui lui sont soumises; qu'en indiquant que "les différents tests réalisés rendaient le projet viable tant sur le plan de sa mise en oeuvre industrielle que sur celui de ses débouchés commerciaux" tandis qu'elles faisaient valoir que les pourparlers avec la société Sandoz France avaient été rompus en août 1990 dès qu'il s'était révélé certain que le cahier des charges imposé pour la taille de la machine destinée à réaliser le conditionnement et le rendement de celle-ci ne pouvaient être respectés, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation des articles 455 et suivants du nouveau Code de procédure civile;

et alors, enfin, qu'en ne se prononçant pas sur les différents documents versés aux débats par elles, postérieurs à la rupture des pourparlers avec la société Sandoz Suisse le 19 décembre 1989, et notamment sur les conclusions signifiées par elles le 9 mars 1995 qui mettaient en lumière l'accord des parties pour subordonner la passation des conventions à la réalisation de deux conditions suspensives tenant à l'acceptabilité du conditionnement par les patients et les praticiens et à la construction d'une machine prototype répondant au cahier des charges et l'impossibilité de l'entreprise Serea, choisie par la société Poleval, pour remettre une offre répondant au cahier des charges, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en retenant que le fait de laisser espérer à la société Poleval pendant quatre années un accord définitif qui n'a été abandonné selon les propres dires de la société Sandoz que pour des considérations internes au groupe ne mettant aucunement en cause la qualité du produit, ce dont il résulte que la rupture de pourparlers s'étant étendus sur un temps très long et ayant occasionné de nombreuses études ne tenait aucunement au résultat des dites études et se trouvait dépourvue de motif légitime, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre au moyen inopérant invoqué par la troisième branche, a, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche du moyen, pu décider que la société Sandoz avait manqué de loyauté à l'égard de la société Poleval lui causant un préjudice;

d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le second moyen :

Attendu que les sociétés Sandoz fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de la somme de quatre millions de francs alors, selon le pourvoi, qu en réparant par une somme globale de quatre millions de francs à la fois le préjudice résultant de l'immobilisation du projet breveté et celui résultant de la perte de la chance de contracter avec elles ou avec un autre partenaire, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur les modalités d'indemnisation de la perte de la chance de contracter et de s'assurer que la réparation du préjudice ainsi subi n'était pas intégrale;

que sa décision manque de base légale au regard l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu qu'en précisant que la société Poleval avait en raison du comportement fautif de la société Sandoz immobilisé en pure perte son procédé breveté pendant quatre années sans pouvoir négocier avec un autre partenaire pendant cette période et avait également de ce fait divulgué son savoir-faire et en, appréciant le préjudice en résultant, la cour d'appel a légalement justifié sa décision;

d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.