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Décisions

Cass. com., 11 mars 2014, n° 13-10.366

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

M. Le Dauphin

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Waquet, Farge et Hazan

Aix-en-Provence, du 18 oct. 2012

18 octobre 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société à responsabilité limitée Rubens & Partner (la société) a pour associés M. X..., M. Moïse Y... et M. Paul Y... ; que par acte du 21 avril 2009, ce dernier a cédé ses parts sociales à M. X... ; que faisant valoir que cet acte était intervenu en violation de la clause des statuts prévoyant qu'en cas de cession, les parts devront être proposées par priorité aux autres associés, au prorata de leur participation, M. Moïse Y... en a demandé l'annulation ; que les premiers juges ayant accueilli cette demande par une décision assortie de l'exécution provisoire, M. Paul Y... a, par acte du 14 janvier 2011, cédé deux de ses trois parts à M. Moïse Y... ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à l'annulation de la vente du 14 janvier 2011 alors, selon le moyen :

1°) que la cassation de l'arrêt attaqué sur le premier moyen, en ce que la cour d'appel a confirmé la nullité de la cession des parts à M. X..., entraînera la cassation de l'arrêt attaqué en ce que la cour d'appel a refusé, en conséquence de la nullité de cette cession, d'accueillir la demande de M. X... en annulation de la cession de ces mêmes parts à M. Moïse Y... le 14 janvier 2011 en violation de son droit de propriété, par application des dispositions de l'article 625, alinéa 2 du code de procédure civile ;

2°) qu'en écartant l'irrégularité et partant la nullité de la cession des deux parts à M. Moïse Y..., après avoir considéré que la clause litigieuse obligeait les associés, à offrir préalablement à toute cession, l'acquisition des parts aux autres associés et après avoir constaté qu'en l'espèce, M. Paul Y... s'était contenté d'offrir à M. X... par courrier reçu par ce dernier le 2 février 2011, l'acquisition de la part qu'il n'entendait pas céder à M. Moïse Y..., auquel il avait d'ores et déjà cédé ses deux autres parts le 14 janvier 2011, ce dont il résulte que cette cession avait été consentie au mépris de l'article 13 des statuts tel qu'interprété, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard de l'article 1134 du code civil qu'elle a violé ;

3°) que la nullité de la cession consentie au mépris de la priorité prévue par les statuts au profit des associés n'est pas subordonnée à la preuve d'un grief, de sorte qu'en se déterminant comme elle l'a fait sur le fondement de l'absence d'irrégularité faisant grief, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

4°) que si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond ; qu'en se fondant pour écarter la demande de nullité de la cession consentie à M. Moïse Y... par M. Paul Y..., sur la non comparution de ce dernier, la cour d'appel, qui a qualifié de surcroît sa décision d'arrêt réputé contradictoire, a violé l'article 472 du code de procédure civile ;

Mais attendu, de première part, que le chef de l'arrêt rejetant la demande d'annulation de la cession de parts du 14 janvier 2011 ne se rattache pas par un lien de dépendance nécessaire à celui prononçant l'annulation de la cession de parts intervenue le 21 avril 2009 entre M. Paul Y... et M. X... ;

Attendu, de deuxième part, qu'après avoir rappelé qu'aux termes des statuts les parts sociales devaient, en cas de cession, être proposées aux autres associés à proportion de leur participation, l'arrêt relève, d'un côté, que M. Paul Y... avait proposé de céder deux de ses trois parts à M. Moïse Y... et la dernière à M. X... et, de l'autre, que l'acceptation de cette proposition par M. Moïse Y... n'avait pas mis obstacle à l'acceptation par M. X... de la proposition le concernant ; qu'ainsi, c'est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel a statué comme elle a fait ;

Attendu, de troisième part, que M. X... ayant fait valoir, dans ses écritures d'appel, que la nullité d'un acte conclu en violation d'un pacte de préférence était subordonnée à la double condition de la connaissance du pacte et de la connaissance de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, le moyen est incompatible avec l'argumentation développée devant les juges du fond ;

Et attendu, enfin, que les motifs critiqués par la quatrième branche sont surabondants ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches :

Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'annuler la cession du 21 avril 2009 alors, selon le moyen :

1°) que la clause des statuts selon laquelle « en cas de cession, les parts devront être proposés par priorité aux autres associés au prorata de leur participation », stipulée à propos de la cession des parts à un tiers et après qu'il ait été précisé que les parts sont « librement cessibles entre associés », ne s'applique qu'en cas de cession des parts à un tiers ; qu'en faisant application de cette clause à une cession de parts entre associés, la cour d'appel a dénaturé l'article 13 des statuts de la société et violé l'article 1134 du code civil ;

2°) qu'en statuant comme elle l'a fait, sans même répondre aux conclusions de M. X... qui faisait valoir que la clause litigieuse ne peut recevoir application qu'en cas de cession à un tiers, la cour d'appel a en tout état de cause, violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) que le droit de préemption permet à son bénéficiaire de se substituer à l'acquéreur dans les droits et obligations d'un contrat de vente déjà signé tandis que le pacte de préférence donne à son bénéficiaire le droit de se voir proposer la vente par priorité préalablement à toute cession ; qu'en prononçant la nullité de la cession faute de preuve que préalablement à la cession du 21 avril 2009, M. Moïse Y... s'est vu proposer l'acquisition des parts de son fils Paul Y... au prorata de sa participation, après avoir décidé que la clause litigieuse ne constituait pas un pacte de préférence mais un droit de préemption ce dont il résulte qu'aucune offre préalable de vente ne pouvait être exigée, la cour n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard de l'article 1134 du code civil qu'elle a violé ;

Mais attendu, d'une part, que M. X... ayant soutenu devant la cour d'appel que l'interprétation de la clause litigieuse devait donner un sens à celle-ci, le moyen, qui invoque une dénaturation de cette stipulation, est incompatible avec la position ainsi adoptée devant les juges du fond ;

Attendu, d'autre part, qu'en faisant application de cette stipulation à des cessions consenties entre associés après avoir relevé qu'elle ne portait pas atteinte au principe de « libre négociabilité » des parts sociales entre associés affirmé par l'article L. 223-16 du code de commerce, même si elle y apportait une restriction, la cour d'appel a répondu aux conclusions invoquées ;

Et attendu, enfin, que la cour d'appel n'a fait qu'appliquer la stipulation considérée en retenant qu'elle imposait à l'associé cédant de proposer ses parts par priorité aux autres associés, à proportion de leur participation ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le même moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles 1134 et 1142 du code civil ;

Attendu que la violation d'une clause de préemption figurant dans les statuts d'une société à responsabilité limitée n'emporte pas par elle-même nullité de la cession de parts conclue entre deux associés ;

Attendu que tout en constatant, pour rejeter la demande de M. Moïse Y... tendant à la condamnation de M. X... au paiement de dommages-intérêts au titre de « l'accaparement irrégulier de parts », que la collusion frauduleuse entre ce dernier et M. Paul Y... n'est pas caractérisée, l'arrêt retient que la cession de parts entre associés consentie en violation des droits d'un coassocié bénéficiaire d'une clause statutaire de préemption est nulle ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation de ce chef du dispositif de l'arrêt atteint, par voie de conséquence, celui rejetant la demande de dommages-intérêts formée par M. Moïse Y... à l'encontre de M. X..., qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a annulé la cession de parts du 21 avril 2009 et rejeté la demande de M. Moïse Y... en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt rendu entre les parties, le 18 octobre 2012, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les partie dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.