Cass. com., 6 janvier 2015, n° 13-21.940
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boutet-Hourdeaux
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mai 2013), que la société Hachette Filipacchi presse (la société HFP) est titulaire des marques françaises verbales « Match » n° 1 419 920 et « Paris-Match » n° 1 459 968, déposées par la société Cogedipresse respectivement les 18 juillet 1977 et 8 mai 1968 et régulièrement renouvelées, pour, en dernier lieu, désigner les produits et services des classes 1 à 45, dont elle a concédé le droit d'exploitation à la société Hachette Filipacchi associés (la société HFA) ; que la société Match.Com LP est titulaire de la marque communautaire verbale « Match.com », déposée le 1er avril 1996, laquelle, à l'issue d'une procédure d'opposition engagée le 27 mars 1998 par la société Cogedipresse et clôturée le 8 juillet 2002, a été enregistrée le 9 mars 2004 sous le numéro 000182253 pour désigner, en classe 42, les « services d'information et de conseils concernant et sous la forme de présentation et d'agence matrimoniale en ligne » puis a été renouvelée ; qu'estimant qu'il était porté atteinte à leurs marques notoires, les sociétés HFP et HFA (les sociétés Hachette) ont assigné la société Match.Com International Limited et la société Match.Com LP (les sociétés Match.Com), sur le fondement de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, ainsi qu'en contrefaçon de marque ; que les sociétés Match.Com ont soulevé une fin de non-recevoir, tirée de la forclusion par tolérance ; que la société Match.Com LLC, venant aux droits de la société Match.Com LP, est intervenue volontairement à l'instance ;
Attendu que les sociétés Hachette font grief à l'arrêt de dire que la société HFP a toléré l'usage de la marque communautaire « Match.com » déposée le 1er avril 1996 durant plus de cinq ans sur le territoire français et, en conséquence, que l'action des sociétés Hachette tendant à voir prononcer l'interdiction d'usage en France de cette marque est irrecevable alors, selon le moyen :
1°) que dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Hachette faisaient valoir que la forclusion par tolérance ne pouvait concerner qu'une action en contrefaçon stricto sensu et non une action en responsabilité concernant des marques notoires ; qu'ainsi, la forclusion par tolérance ne pouvait rendre irrecevable qu'une action en contrefaçon fondée sur la défense d'un droit de propriété intellectuelle, ce que n'était pas l'action en responsabilité qui est une action personnelle ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) que la forclusion par tolérance présuppose nécessairement un usage effectif de la marque communautaire postérieure dans l'État membre où la marque antérieure ou l'autre signe antérieur est protégé et qu'il n'y a pas d'exploitation sur le territoire national d'un site informatique lorsque celui-ci n'est pas orienté vers le public français ; qu'en se bornant à relever que la société Hachette avait eu connaissance de l'existence du site « Match.com » en 2000 ayant été informée à cette occasion de l'existence de 1 978 abonnés audit site exploité en langue anglaise, quand la circonstance que ce site n'ait pas été exploité en langue française avant 2002, ainsi que cela était soutenu, et le faible nombre d'abonnés, établissaient que le site n'était pas destiné au public de France et qu'ainsi il ne faisait pas l'objet d'une exploitation en France, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 54 du règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 ;
3°) qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si, en procédant au dépôt de la marque litigieuse, les sociétés Match.Com n'avaient pas précisément en vue l'instauration d'une confusion en raison de la grande notoriété de la marque « Match » depuis de très nombreuses années, ainsi que cela était rappelé dans les conclusions, la cour d'appel a de nouveau privé son arrêt de base légale au regard de l'article 54 du règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu que la forclusion par tolérance pouvait être opposée à tout titulaire d'une antériorité et non pas seulement aux titulaires d'une marque ou d'un signe exploité dans la même spécialité, la cour d'appel a répondu au moyen par lequel il était soutenu que cette fin de non-recevoir ne s'appliquait pas à l'action en responsabilité pour atteinte aux marques jouissant d'une renommée ou notoirement connues ;
Attendu, d'autre part, qu'après avoir relevé qu'il résultait d'un article du quotidien Libération, daté du 17 avril 1998, que le site « Match.com » était l'un des sites de rencontres les plus fréquentés, que, nonobstant sa rédaction en langue anglaise, il comptait, à cette date, des abonnés français et que, selon les pièces versées aux débats, au cours de l'année 2000, ce site comportait 1 978 abonnés français, l'arrêt retient qu'étaient ainsi démontrés sa destination effective en France et, partant, l'usage effectif de la marque éponyme sur le territoire français ; qu'il constate, en outre, qu'à l'occasion de la procédure d'opposition à l'enregistrement de la marque litigieuse, la société Match.Com a, le 22 juin 2000, présenté des observations auxquelles était jointe une liste confirmant la présence de 1 978 adhérents en France ; qu'il en déduit que la société HFP a, au plus tard en 2000, eu connaissance de l'usage, en France, du signe contesté, de sorte qu'au jour de la délivrance de l'assignation, cette société avait toléré en connaissance de cause, pendant plus de cinq années, l'usage de ce signe ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, enfin, qu'ayant constaté que le signe Match.com constituait depuis 1995 la dénomination sociale de la société déposante et que celle-ci était titulaire d'une marque éponyme enregistrée aux Etats-Unis le 8 mai 1995, puis retenu que la mauvaise foi du titulaire de la marque seconde ne pouvait résulter de la simple connaissance de la marque antérieure, la cour d'appel, qui s'est placée au moment du dépôt et qui a pris en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.