Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-28.127
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Avocats :
Me Balat, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Thouin-Palat et Boucard
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. P... que sur le pourvoi incident relevé par M. Q... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par un jugement du 4 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société unipersonnelle à responsabilité limitée 40 BC, dont M. P... est l'associé fondateur et le gérant ; que M. Q... a déclaré une créance au passif de la société 40 BC correspondant aux loyers impayés depuis le mois d'octobre 2015 au titre du bail, conclu le 5 mars 2005, portant sur des locaux dans lesquels la société 40 BC exerçait son activité ; que M. Q... a, le 5 octobre 2016, saisi le juge-commissaire d'une requête aux fins de constatation de la résiliation de plein droit du bail ; que par un jugement du 22 novembre 2016, le tribunal a prononcé la conversion en liquidation judiciaire de la procédure de redressement, la Selafa MJA étant désignée liquidateur ; que M. P... est intervenu volontairement à l'instance introduite par M. Q... en résiliation du bail pour qu'il soit jugé qu'il est le seul titulaire du droit au bail ; que, par une ordonnance du 19 janvier 2017, le juge-commissaire a rejeté la requête de M. Q... et la demande de M. P... ; que celui-ci a formé un recours contre cette ordonnance ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que M. P... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°) que la reprise des engagements souscrits par une personne qui a agi au nom d'une société en formation résulte soit de la signature des statuts lorsque l'engagement figure sur un état qui y est annexé, soit d'un mandat donné avant l'immatriculation de la société et déterminant la nature et les modalités des engagements à prendre, soit, après l'immatriculation, d'une décision prise à la majorité des associés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par motifs propres, que « bien que les statuts de la société 40 BC, société à associé unique, ne mentionnent pas la reprise du bail dans ses annexes et qu'il n'existe aucun mandat écrit autorisant M. P... à contracter le bail au nom de la société, il résulte de l'ensemble des éléments produits que les parties avaient la volonté de substituer la société 40 BC à M. P... lors de la signature du bail et que, de fait, la société 40 BC s'est bien substituée à lui dans tous les actes concernant un preneur » ; que la cour d'appel a énoncé que tous les actes d'exécution du bail avaient été accomplis par la société 40 BC, qu'elle s'était comportée comme la seule titulaire du bail, qu'elle avait payé les loyers et était titulaire du dépôt de garantie fixé dans le bail, et qu'elle avait emprunté de quoi financer les travaux d'aménagement du fonds de commerce, avec un nantissement comprenant le droit au bail qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que les statuts de la société 40 BC ne mentionnaient pas, dans un état annexé, la reprise du bail conclu par M. P..., que la société n'avait ni confié à M. P... avant immatriculation un mandat pour conclure le bail en son nom et pour son compte, ni, après l'immatriculation, décidé, par un acte exprès, de ratifier le contrat prétendument conclu en son nom par M. P..., seules circonstances de nature à rendre la société 40 BC titulaire du bail commercial litigieux, de sorte que M. P... était demeuré le seul titulaire de ce bail, la cour d'appel a violé les articles L. 210-6 et R. 210-5 du code de commerce, l'article 1843 du code civil et l'article 6 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 ;
2°) que la reprise des engagements souscrits par une personne ayant agi au nom et pour le compte d'une société en formation ne peut résulter, après l'immatriculation, que d'une décision prise à la majorité des associés ; que si, dans le cas où la société ne comporte qu'un seul associé, ce dernier est habile à prendre une telle décision aux lieu et place de l'assemblée des associés, celle-ci ne peut alors résulter que d'un acte exprès répertorié dans le registre prévu à cet effet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, par motifs réputés adoptés, que M. P... avait « explicitement marqué sa volonté de se voir substituer par cette société dans le bail initialement conclu entre lui et M. E... Q... », après avoir relevé l'existence de « trois actes positifs », à savoir une instance en référé initiée par la société 40 BC se présentant comme titulaire du bail, la signature par cette société d'un contrat de prêt afin de financer l'aménagement des locaux, et l'inscription du droit au bail dans sa comptabilité ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant relevé que le contrat de bail avait été signé par M. P... avant l'immatriculation de la société 40 BC, de sorte que cette dernière ne pouvait reprendre l'engagement pris pour son compte qu'à la condition d'une décision expresse de M. P... répertoriée dans le registre prévu à cet effet, la cour d'appel a violé les articles L. 210-6 et R. 210-5 du code de commerce, l'article 1843 du code civil et l'article 6 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que le contrat de bail mentionne qu'il est signé par M. P... « pour le compte d'une société à constituer devant se substituer, qui aura pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce dans le locaux loués... », l'arrêt retient qu'en signant ce contrat, le bailleur, M. Q..., et le signataire, M. P..., ont donné de façon non équivoque leur accord pour que l'engagement souscrit par ce dernier pour le compte de la future société soit exclusivement assumé par cette dernière ; qu'il relève que la société 40 BC a bien exploité le fonds de commerce dans les locaux loués conformément au contrat de bail, que son siège social y était situé, que tous les actes d'exécution du bail ont été accomplis par la société 40 BC et que depuis la signature du bail en 2005, cette société s'est comportée comme étant la seule titulaire du bail et le bailleur l'a considérée comme telle ; qu'il constate ensuite que les loyers ont été payés par la société 40 BC et non par son gérant, qui produit quatorze chèques dont seulement deux sont émis par lui, l'un en qualité de caution, ce qui suppose qu'il n'était pas le titulaire du bail, et l'autre du 26 septembre 2016, qui semble avoir été impayé ; qu'il relève encore que c'est la société 40 BC qui a sollicité en référé des délais pour se libérer des sommes dues au titre des loyers, se comportant de manière non équivoque en titulaire du bail, qu'elle était titulaire d'un dépôt de garantie du montant fixé initialement dans le bail, montant que le cessionnaire a remboursé à la liquidation judiciaire, et que le bailleur a fait délivrer les commandements de payer à cette société et a produit sa créance de loyers à la liquidation judiciaire de la société 40 BC sans que M. P... ne conteste cette créance ; qu'il relève enfin que la société 40 BC a souscrit un emprunt pour financer des travaux d'aménagement du fonds de commerce et que le nantissement en garantissant le remboursement comprend le droit au bail ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu, en l'état des termes de la clause de substitution stipulée au bail, qui la dispensait de faire application des dispositions de l'article 1843 du code civil, déduire, bien que les statuts de la société 40 BC, société à associé unique, ne mentionnent pas la reprise du bail dans ses annexes et qu'il n'existe aucun mandat écrit autorisant M. P... à contracter le bail au nom de la société, que les parties avaient la volonté de substituer la société 40 BC à M. P... lors de la signature du bail et que, de fait, la société 40 BC s'était bien substituée à lui dans tous les actes d'exécution de ce contrat habituellement accomplis par un preneur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le pourvoi incident :
Sur le moyen relevé d'office, en application de l'article 620, alinéa 2, du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article L. 622-14, 2° du code de commerce ;
Attendu que lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement de ce texte d'une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d'un immeuble utilisé pour l'activité de l'entreprise, en raison d'un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de redressement judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l'article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail ;
Attendu que pour rejeter la demande de constatation de la résiliation de plein droit du bail, l'arrêt, après avoir relevé que la requête en résiliation du bail introduite par M. Q... le 5 octobre 2016 visait les loyers et charges des mois d'août, septembre et octobre 2016, ainsi que la taxe foncière, et qu'aucun commandement n'avait été délivré concernant cette période, retient que si M. Q... a bien fait délivrer un commandement le 9 janvier 2017, l'audience devant le juge commissaire devant statuer sur le sort du bail a eu lieu le lendemain et son ordonnance a été rendue le 19 janvier, soit moins d'un mois avant l'acquisition de la clause résolutoire ; qu'il en déduit que celle-ci doit être écartée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. Q..., qui demandait la constatation de la résiliation de plein droit du bail sans revendiquer le bénéfice d'une clause résolutoire, n'était pas dans l'obligation de délivrer le commandement exigé par l'article L. 145-41 du code de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi incident :
REJETTE le pourvoi principal.
Et sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il consent deux mois de délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire du bail pendant ce délai, rejette la demande en résiliation du bail formée par M. Q..., et statue sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 26 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.