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Décisions

Cass. com., 15 septembre 2015, n° 14-19.497

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Thouin-Palat et Boucard

Paris, du 21 févr. 2014

21 février 2014

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 février 2014), que M. X... est titulaire de la marque française semi-figurative VII, chiffre romain entouré d'un cercle (VII), déposée le 14 décembre 2004 à l'Institut national de la propriété industrielle sous le n° 04 3 330 867, publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle le 28 janvier 2005 pour désigner en classes 3, 5 et 14, notamment les parfums, lesquels sont commercialisés sous la dénomination « Parfum VII Bonheur Triomphant » par la société Editions du chariot ; que reprochant à la société Cartier de vendre un parfum dénommé « VII Heure : l'heure défendue », M. X... l'a assignée en contrefaçon et paiement de dommages-intérêts ; que la société Cartier a formé une demande reconventionnelle en déchéance des droits de ce dernier sur la marque ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le déclarer déchu de ses droits sur la marque, en ce qu'elle désigne les produits de la classe 3, à compter du 28 janvier 2010 et de déclarer irrecevable son action en contrefaçon alors, selon le moyen :

1°) que des factures, dès lors qu'elles décrivent les produits vendus conformément à la marque enregistrée, établissent l'usage sérieux de ladite marque ; que l'arrêt attaqué a retenu que les factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 constituaient un simple référencement et non pas la preuve d'une exploitation sérieuse de la marque VII enregistrée par M. X... au prétexte qu'elles n'étaient pas accompagnées de bons de commandes, catalogues, échantillons ou photographies du produit, mode de conditionnement ou de commercialisation ; qu'en statuant ainsi, quand elle relevait que ces factures désignaient les produits vendus sous le libellé « Parfum VII Bonheur triomphant » et qu'elles étaient établies au nom de librairies situées en France, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ces constatations au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle qu'elle a violé ;

2°) que M. X... soulignait que le parfum VII était commercialisé depuis 2005 via le site internet de la société les Editions du chariot ; qu'en retenant que seules faisaient l'objet des débats les trois factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 par application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°) que, lorsqu'une partie produit plusieurs éléments de preuve d'un même fait, le juge doit les regrouper afin de rechercher s'ils ne se corroborent pas les uns les autres et ne constituent pas un faisceau d'indices faisant présumer ce que, considérés isolément, ils ne permettraient pas d'établir ; qu'ainsi la capture d'écran du site internet de la société les Editions du chariot, effectuée le 29 mars 2012, devait être rapprochée des factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 afin de vérifier si le site internet et les factures, une fois regroupés, ne se corroboraient pas mutuellement pour constituer un faisceau d'indices faisant présumer l'usage sérieux et continu de la marque enregistrée par M. X..., depuis l'année 2005 et au moins jusqu'en 2012, via le site internet et les points de vente que constituaient les librairies auxquelles les parfums de la marque étaient facturés ; qu'en examinant isolément la capture d'écran d'un côté, jugée non probante en raison de sa date, et les trois factures de l'autre, jugées constitutives d'un simple référencement, pour en déduire qu'il n'y avait pas d'usage sérieux de la marque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 du code civil et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) que le caractère sérieux de l'usage de la marque s'apprécie in concreto et peut être établi même en présence de ventes en quantités minimes de produits de la marque ; qu'en se bornant à affirmer que les factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 constituaient un simple référencement, sans répondre au motif des premiers juges, que M. X... s'était approprié, pris de ce qu'il fallait tenir compte du caractère artisanal de l'exploitation des parfums sous la marque enregistrée par l'exposant de sorte que les factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 établissaient l'exploitation réelle, sérieuse et continue de ladite marque depuis 2005, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) que le titulaire d'une marque qui ne l'exploite pas pendant cinq ans après la publication de son enregistrement n'encourt aucune déchéance s'il en fait un usage sérieux plus de trois mois avant la demande de déchéance ; qu'à supposer même que les factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 n'eussent pas établi l'exploitation sérieuse de la marque VII de 2005 à 2010, en n'examinant que ces trois factures et non pas celle du 14 septembre 2010 non plus que la capture d'écran du site internet de la société les Editions du chariot quand ces deux derniers éléments, une fois regroupés, étaient susceptibles d'établir l'usage sérieux de la marque plus de trois mois avant la demande de déchéance de la société Cartier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

6°) qu'en retenant, d'une part, que les factures des 5 juillet 2005, 27 novembre 2007 et 24 octobre 2008 étaient seules en discussion et n'établissaient pas l'exploitation de la marque enregistrée par M. X... mais un simple référencement, et d'autre part, que ladite marque était exploitée sous une forme modifiée que constituaient l'élision du cercle et l'adjonction des mots « bonheur triomphant », la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

7°) que des modifications mineures de la marque enregistrée ne lui font pas perdre son caractère distinctif et n'empêchent pas qu'elle soit sérieusement exploitée ; que l'arrêt attaqué a constaté que la marque enregistrée par M. X... était constitué du chiffre romain VII entouré d'un cercle ; qu'en écartant son usage sérieux au prétexte qu'elle était exploitée sous une forme modifiée qui éludait le cercle et ajoutait les mots « bonheur triomphant », sans relever que la taille, la forme, l'aspect d'ensemble des chiffres romains VII qui distinguaient la marque enregistrée auraient fait l'objet de modifications majeures, seules susceptibles d'ôter à la marque son caractère distinctif et de s'opposer à son usage sérieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

8°) que l'arrêt attaqué a jugé irrecevable l'action en contrefaçon de M. X... contre la société Cartier au motif qu'il était déchu de ses droits sur la marque VII ; que la cassation du chef de la déchéance de ses droits sur la marque emportera, par voie de conséquence, celle du chef déclarant irrecevable son action en contrefaçon, en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties ; qu'en appel, ces prétentions ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées sont formulées dans les conclusions et que la partie qui, sans énoncer de moyens nouveaux, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs ; qu'ayant relevé que M. X..., qui avait demandé de déclarer la société Cartier mal fondée en son appel incident, s'était abstenu de débattre des moyens d'appel de cette dernière, se bornant à se référer à ceux soutenus en première instance et au dispositif du jugement, la cour d'appel, qui a exactement retenu que le débat se limitait devant elle aux trois factures soumises aux premiers juges, n'a pas méconnu les termes du litige ;

Attendu, en deuxième lieu, que le titulaire d'une marque enregistrée doit rapporter la preuve de son usage sérieux à titre de marque pendant une période ininterrompue de cinq ans ; que l'arrêt constate que les trois factures produites, émises en 2005, 2007 et 2008, qui ont pour destinataires deux librairies, totalisent la vente de cent huit produits référencés sous la désignation « Parfum VII Bonheur Triomphant » ; qu'il relève encore que ces factures ne sont pas accompagnées de bons de commande, catalogues, échantillons du produit qui pourrait en être griffé ou même de sa photographie et ne se présentent ainsi que comme un simple référencement, aucun document ne venant attester d'une exploitation de la dénomination « Parfum VII Bonheur Triomphant » dans la relation avec la clientèle ; qu'il relève enfin que la marque (VII) soit un chiffre romain cerclé, seule marque sur laquelle M. X... peut revendiquer la titularité de droits, fait l'objet d'une exploitation sous une forme modifiée qui en altère le caractère distinctif dès lors que l'adjonction au chiffre romain VII des mots « Parfum » et « Bonheur Triomphant », et l'élision du cercle, qui caractérise la marque semi-figurative telle que déposée, sont de nature à affecter la perception que l'éventuel public concerné pourrait en avoir; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas contredite, a pu déduire que la preuve de l'usage sérieux de la marque (VII) entre le 28 janvier 2005 et le 28 janvier 2010 n'était pas rapportée ;

Attendu, en troisième lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que M. X... ait soutenu devant la cour d'appel que la facture du 14 septembre 2010 et la capture d'écran du site internet du 29 mars 2012 étaient susceptibles d'établir l'usage sérieux de la marque plus de trois mois avant la demande de déchéance de la société Cartier ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et droit ;

Et attendu, enfin, que le rejet du moyen pris en ses sept premières branches rend sans objet la huitième, qui invoque une cassation par voie de conséquence ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.