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Décisions

Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-18.434

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Darbois

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin

Pau, du 31 janv. 2014

31 janvier 2014

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que les sociétés Ocmis et Irtec font grief à l'arrêt de dire que la déchéance des marques « Micro Rain » et « Big Rain » prendra effet au 24 juillet 2009 et de les condamner pour contrefaçon pour la période antérieure à la déchéance alors, selon le moyen :

1°) que les juges du fond sont tenus de respecter les limites du litige telles qu'elles sont fixées par les conclusions respectives des parties ; que les sociétés Ocmis et Irtec avaient expressément fait valoir, dans leurs écritures, que « la société Otech ne vers ait pas aux débats la moindre pièce pertinente pour établir un usage de ses marques Big Rain et Micro Rain depuis la date de publication de leurs enregistrements, en juin et juillet 1996 » ; qu'en affirmant cependant, que les sociétés Ocmis et Irtec auraient « délimité les termes du débat sur la question de la déchéance en reprochant aux sociétés Otech et Irrimec Srl de ne pas démontrer l'usage constant de ces deux marques » sur la seule « période quinquennale qui est écoulée entre le 24 avril 2004 et le 24 avril 2009 » et encore qu'elles auraient « enserr é le débat sur l'usage de la marque à cette période de temps bien définie », la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°) que la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s'en approprier les motifs qui valent alors conclusions ; que les sociétés Ocmis et Irtec qui sollicitaient la confirmation du jugement ayant prononcé la déchéance des marques litigieuses à compter des 21 juin et 19 juillet 2001, étaient réputées s'être approprié les motifs par lesquels les premiers juges avaient retenu que les sociétés Otech et Irrimec « ne démontr aient pas de façon pertinente l'usage sérieux et régulier qu'elles avaient pu faire de leurs marques à compter de leur enregistrement » ; qu'en affirmant cependant, que les sociétés Ocmis et Irtec auraient « délimité les termes du débat sur la question de la déchéance en reprochant aux sociétés Otech et Irrimec Srl de ne pas démontrer l'usage constant de ces deux marques » sur la seule « période quinquennale qui est écoulée entre le 24 avril 2004 et le 24 avril 2009 » et encore qu'elles auraient « enserr é le débat sur l'usage de la marque à cette période de temps bien définie », la cour d'appel a violé ensemble les articles 4 et 954, alinéa 4, du code de procédure civile ;

3°) que la déchéance ne prend effet qu'à la date d'expiration du délai de cinq ans pendant lequel le propriétaire n'a pas fait un usage sérieux de la marque ; que lorsque la marque n'a jamais été exploitée, le point de départ du délai de cinq ans est fixé à la date à laquelle son enregistrement a été publié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a relevé aucun acte d'exploitation des marques litigieuses depuis la publication de leur enregistrement, à savoir le 21 juin 1996 pour la marque « Big Rain » et le 19 juillet 1996 pour la marque « Micro Rain », de sorte que leur déchéance aurait dû être respectivement fixée au 21 juin et 19 juillet 2001 ; qu'en fixant cependant la date de déchéance des marques litigieuses au 24 juillet 2009, la cour d'appel a violé l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) que la déchéance ne prend effet qu'à la date d'expiration du délai de cinq ans pendant lequel le propriétaire n'a pas fait un usage sérieux de la marque ; que la preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée ; qu'en affirmant que les sociétés Otech et Irrimec auraient été conduites à « tenter » de justifier, sans y parvenir, de l'usage des marques litigieuses durant la seule période comprise entre le 24 avril 2004 et le 24 avril 2009, la cour d'appel a statué par un motif impropre à établir la prise d'effet de leur déchéance au 24 juillet 2009, violant ainsi l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

5°) qu'après avoir affirmé d'une part, que les sociétés Ocmis et Irtec avaient délimité les termes du débat sur la question de la déchéance à la période quinquennale comprise entre le 24 avril 2004 et le 24 avril 2009 et d'autre part, que la déchéance prendrait effet « au terme de la période considérée par les sociétés Ocmis et Irtec », c'est-à-dire le 24 avril 2009, la cour d'appel a fixé la date de déchéance des marques litigieuses au 24 juillet 2009 ; qu'en statuant ainsi, elle a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une interprétation, exclusive de dénaturation, des écritures d'appel des sociétés Ocmis et Irtec, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que ces sociétés avaient limité le débat sur la déchéance des droits de marque à la période de cinq années, comprise entre le 24 avril 2004 et le 24 avril 2009, précédant leur demande, ce qui avait conduit les sociétés Otech et Irrimec à ne produire des preuves de l'usage des marques que sur cette seule période et non sur la période antérieure ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que les sociétés Otech et Irrimec ne justifiaient pas d'un usage sérieux des marques « Micro Rain » et « Big Rain » au cours de la période ininterrompue de cinq années définie par la demande de déchéance, c'est à bon droit que la cour d'appel a prononcé la déchéance des droits de la société Otech sur ces marques au jour de la demande ;

Et attendu que le grief qui, sous le couvert d'une violation de la loi, ne tend qu'à dénoncer une erreur matérielle pouvant être réparée selon la procédure prévue par l'article 462 du code de procédure civile, ne donne pas lieu à ouverture à cassation ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que les sociétés Otech et Irrimec font grief à l'arrêt de prononcer la déchéance pour défaut d'usage sérieux des droits de la société Otech sur la marque française « Micro Rain » n° 95 585 425 pour tous les produits visés à son enregistrement, et ensuite de juger que la déchéance de la marque « Micro Rain » prendra effet au 24 juillet 2009 alors, selon le moyen :

1°) que l'usage réel et sérieux d'une marque sur le territoire national français peut être établi par l'usage de sa forme modifiée, elle-même enregistrée à titre de marque, dès lors que le caractère distinctif de la marque initiale est conservé ; qu'au cas présent, les sociétés Otech et Irrimec faisaient valoir que la marque « Mini Rain », par elles exploitée, ne différait de la marque litigieuse « Micro Rain » que par des éléments n'en altérant pas le caractère distinctif, de sorte que la condition d'usage de la marque « Micro Rain » était remplie ; qu'en affirmant, pour prononcer la déchéance de la marque « Micro Rain », dont la société Otech était titulaire, qu'« il est de droit constant depuis 2007, tant au niveau européen qu'au niveau national, que la preuve de l'usage d'une marque enregistrée ne peut résulter de l'usage d'une autre marque enregistrée, qu'importe que celle-ci n'en soit qu'une variante sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif », de sorte que l'exploitation de la marque « Mini Rain », déposée, ne saurait constituer la preuve de l'exploitation de la marque « Micro Rain », également déposée, la cour d'appel a violé l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) que l'usage réel et sérieux d'une marque sur le territoire national français peut être établi par l'usage de sa forme modifiée, elle-même enregistrée à titre de marque, dès lors que le caractère distinctif de la marque initiale est conservé ; qu'au cas présent, les sociétés Otech et Irrimec faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, qu'«entre les deux appellations, il n'existe pas à proprement parler de différence significative », que « les termes Mini et Micro sont similaires dans l'esprit du public en ce qu'ils expriment la petitesse et en l'espèce cela signifie qu'il s'agit d'un petit enrouleur dont la fonction essentielle est de pouvoir être utilisé pour des petites surfaces comme des stades ou des surfaces maraîchères », que « tant les termes Mini que Micro traduisent la volonté de désigner un matériel de petite taille destiné aux petites surfaces », et enfin « qu'il y a donc une similitude évidente entre les deux termes, qui permet au public de confondre les deux »; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la marque « Mini Rain », très proche de la marque « Micro Rain », n'était pas une variante de cette dernière, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

3°) que les juges du fond doivent motiver leurs décisions ; qu'au cas présent, les sociétés Otech et Irrimec faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, qu'« entre les deux appellations, il n'existe pas à proprement parler de différence significative », que « les termes Mini et Micro sont similaires dans l'esprit du public en ce qu'ils expriment la petitesse et en l'espèce cela signifie qu'il s'agit d'un petit enrouleur dont la fonction essentielle est de pouvoir être utilisé pour des petites surfaces comme des stades ou des surfaces maraîchères », que « tant les termes Mini que Micro traduisent la volonté de désigner un matériel de petite taille destiné aux petites surfaces », et enfin « qu'il y a donc une similitude évidente entre les deux termes, qui permet au public de confondre les deux » ; qu'en se contentant, pour rejeter cette démonstration, d'affirmer, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que « les défenderesses ne démontrent pas que Micro Rain et Mini Rain ne présentent pas de différences significatives altérant le caractère distinctif de la première », sans expliquer en quoi, malgré la proximité sémantique des termes Mini et Micro, adossés au même terme « Rain », les deux marques seraient significativement différentes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la Cour de justice de l'Union européenne (C-553/11, Rintisch, 25 octobre 2012, point 29), interprétant l'article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, a précisé que, dans le contexte particulier d'une « famille » ou d'une « série » de marques, l'usage d'une marque ne saurait être invoqué aux fins de justifier de l'usage d'une autre marque ; que la société Otech s'étant prévalue de l'appartenance de la marque « Micro Rain » à une « famille » de seize marques composées autour du terme Rain, utilisé comme suffixe ou préfixe, pour désigner les produits et services proposés dans le cadre de son activité de fabrication et de commercialisation de systèmes d'irrigation agricole, elle ne peut, pour échapper à la déchéance de ses droits sur ladite marque, invoquer l'usage, par elle-même et la société Irrimec, de la marque « Mini Rain » ; que par ce motif de pur droit, substitué, après avertissement délivré aux parties, à ceux critiqués par la première branche, la décision se trouve légalement justifiée et les griefs des deuxième et troisième branches privés d'objet ;


PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident.