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Décisions

Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-10.514

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 17 sept. 2010

17 septembre 2010

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et huitième branches :

Attendu que les sociétés A & F Trademark et Abercrombie & Fitch Europe font grief à l'arrêt d'avoir constaté que la première ne démontrait pas avoir fait un usage sérieux des marques communautaires " Abercrombie & Fitch " n° 325 258 et " Abercrombie " n° 2 315 083 ainsi que des marques françaises n° 1 511 852, n° 99 767 270, n° 3 008576 et n° 3 008 578 portant sur les mêmes dénominations et d'avoir en conséquence prononcé leur déchéance à compter de différentes dates, alors, selon le moyen :

1°) qu'une marque communautaire fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée dans la Communauté conformément, d'une part, à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée et, d'autre part, à sa raison d'être commerciale consistant à créer ou à conserver un débouché pour lesdits produits ou services provenant d'autres entreprises ; que constitue un usage conforme à la fonction essentielle d'une marque l'usage de celle-ci qui conduit le public à établir un lien entre le signe et les produits ou services commercialisés en lui permettant d'en identifier l'origine ; qu'en l'espèce, pour retenir que les articles de presse concernant l'implantation de la boutique " Abercrombie & Fitch " à Londres seraient " dénués de pertinence ", la cour d'appel s'est bornée à relever qu'ils ne feraient " état que de l'activité de la société A & F Trademark " à Londres, " sans que soient distinguées voire même mentionnées les marques en cause " ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi que la société A & F Trademark l'y invitait dans ses conclusions d'appel, si l'ouverture médiatisée en Grande-Bretagne d'un magasin de vêtements à l'enseigne " Abercrombie & Fitch " ne conduisait pas le public de Grande-Bretagne à faire un lien entre cette dénomination et les vêtements commercialisés sous son enseigne en en identifiant l'origine, et n'était pas, en conséquence, de nature à caractériser un usage effectif de la marque communautaire « Abercrombie & Fitch » au sein de la Communauté pour désigner des vêtements, la cour d'appel a violé les articles 15 et 50 du Règlement CE n° 40/ 94 du 20 décembre 1993 (aujourd'hui devenu les articles 15 et 51 du Règlement CE n° 207/ 2009 du 26 février 2009) ;

2°) que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner les arguments et les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties à l'appui de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour justifier de l'exploitation de ses marques en France, la société A & F Trademark faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les catalogues " Back to School " 2001, 2003, 2004 et 2006 de la société A & F Trademark décrivaient et présentaient des vêtements sur lesquels ses marques étaient apposées et qu'ils renvoyaient expressément au site internet de vente en ligne accessible à l'adresse " abercrombie. com " ; qu'ayant constaté que " son site internet accessible à l'adresse abercrombie. com permet au consommateur résidant en France de connaître ses produits et d'en faire l'acquisition ", la cour d'appel ne pouvait se borner à retenir qu'il n'était " pas justifié de la diffusion en France des catalogues " back to school " des années 2001, 2003, 2004 et du catalogue Christmas 2006 " de la société A & F Trademark sans examiner, ainsi que la société A & F Trademark l'y invitait, si lesdits catalogues ne permettaient pas d'identifier les vêtements commercialisés sur le site internet abercrombie. com ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) qu'en retenant que les tableaux certifiés par notaire des ventes en France de produits via la site Internet abercrombie. com ne renseignaient pas sur les marques exploitées, quand ceux-ci faisaient précisément état de ventes en France de produits de marques " Abercrombie & Fitch " pour adultes et de marque " Abercrombie " pour enfants de 2000 à 2009, la cour d'appel a dénaturé les pièces n° 70 et 123, en violation de l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que les articles de presse ne font état que de l'activité de la société A & F Trademark à Londres et que les publicités parues dans divers journaux ou magazines mentionnent uniquement sa dénomination sociale sans référence aux marques en cause ; qu'en l'état de ces constatations, dont il résulte que le public avait seulement connaissance que la société A & F Trademark exploitait un magasin de vêtements à Londres, la cour d'appel a pu retenir qu'il n'était pas justifié d'un usage effectif de la marque communautaire " Abercrombie & Fitch " pour désigner des vêtements dans l'Union européenne ;

Attendu, d'autre part, que la société A & F Trademark n'ayant pas soutenu dans ses conclusions d'appel que ses catalogues de 2007 permettraient d'identifier les produits vendus dans la boutique qu'elle avait ouverte à Londres en mars 2007, le grief pris de ce que la cour d'appel n'aurait pas procédé à cette recherche est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

Attendu, enfin, que les tableaux certifiés par notaire ne portant aucune mention d'où résulterait de manière claire et précise que les ventes en France sont relatives à des vêtements commercialisés sous les marques " Abercrombie & Fitch " ou " Aberccrombie ", la cour d'appel a pu en déduire, hors toute dénaturation, qu'ils ne donnaient aucune information sur l'exploitation de ces marques ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les sociétés A & F Trademark et Abercrombie & Fitch Europe font grief à l'arrêt d'avoir prononcé la déchéance de la marque française " Abercrombie & Fitch " n° 1511852 à compter du 13 juillet 1994, alors, selon le moyen, que seul l'article 11 de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 est applicable pour statuer sur une demande en déchéance de marques, dès lors que la période de non-exploitation alléguée s'est partiellement écoulée avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991, soit le 28 décembre 1991 ; que sous l'empire de la loi de 1964, le délai à prendre en compte pour l'appréciation de l'exploitation de la marque correspondait aux cinq années précédant la demande en déchéance, la déchéance prenant effet à la date de la demande ; qu'en l'espèce, la société BSD 265 sollicitait la déchéance de la marque française " Abercrombie & Fitch " n° 1511852, enregistrée le 13 juillet 1989, à compter du 13 juillet 1994 ; qu'en retenant, pour prononcer la déchéance de cette marque à compter du 13 juillet 1994, que le délai de cinq ans courait " à compter de la date de la publication de l'enregistrement au bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI) ", la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi de 1964 ;

Mais attendu que l'arrêt ayant relevé que la marque n° 1511852 avait été déposée le 31 janvier 1989 et son enregistrement publié le 13 juillet 1989 et que la période alléguée de non-exploitation s'était en partie écoulée après le 28 décembre 1991, date d'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991, en a exactement déduit que les dispositions de ce texte étaient applicables et que la déchéance des droits sur cette marque devait prendre effet à compter du 13 juillet 1994 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen, pris en ses cinquième et sixième branches :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que pour refuser d'examiner les pièces 66 et 69 de la société A & F Trademark, l'arrêt retient qu'elles sont postérieures au 18 septembre 2008, date de la demande de déchéance formée par la société BSD 265 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la pièce 66 comportait des articles de presse rédigés en français, datés des 3 mars 2008, 27 juillet et 29 août 2008, concernant les marques en cause et que la pièce 69 était notamment constituée de confirmations de commandes de produits, revêtus des marques de la société A & F Trademark, transmises avant le 18 septembre 2008 à la société A & F Trademark, par des personnes habitant en France, la cour d'appel a dénaturé les dispositions claires de ces pièces et violé le texte susvisé ;

Sur ce moyen, pris en sa septième branche :

Vu l'article 50 du règlement CE n° 40/ 94 du 20 décembre 1993 et l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour écarter les factures versées aux débats par la société A & F Trademark, après avoir constaté qu'elles rendaient compte de la réalité de ventes d'articles vestimentaires en France à compter de l'année 2002, l'arrêt relève que ces factures ne comportent aucune référence aux marques invoquées ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si certaines des dénominations mentionnées sur les factures ne correspondaient pas à des vêtements revêtus des marques " Abercrombie & Fitch " ou " Abercrombie " représentés sur le catalogue " Abercrombie & Fitch " " Spring Break " 2007, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'article 6 bis de la convention d'union de Paris ;

Attendu que le régime spécifique de protection organisé par l'article 6 bis de la convention d'union de Paris protège les marques notoirement connues indépendamment de tout enregistrement ;

Attendu que pour refuser d'examiner si la marque française A & F était une marque notoire au sens du texte susvisé et débouter par voie de conséquence la société A & F Trademark de sa demande en contrefaçon, l'arrêt retient que la société A & F Trademark ne pouvait plus se prévaloir de droits sur les marques françaises à la date des actes argués de contrefaçon ;

Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé ce texte ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société A & F Trademark sur les marques françaises " Abercrombie & Fitch " n° 1511852, " Abercrombie & fitch " n° 99767270, " Abercrombie " n° 3008578, " A & F " n° 3008576, en ce qu'elles désignent les vêtements en classe 25, en ce qu'il a prononcé la déchéance des droits de la société A & F Trademark sur les marques communautaires " Abercrombie & Fitch " n° 325258 et " Abercrombie " n° 2315083, pour les même produits en ce qu'il a débouté la société A & F Trademark de sa demande en contrefaçon fondée sur les marques françaises " Abercrombie & Fitch " n° 1511852, " Abercrombie & Fitch " n° 99767270, " Abercrombie " n° 3008578, " A & F " n° 3008576 et sur la marque " A & F " au sens de l'article 6 bis de la convention d'union de Paris, l'arrêt rendu le 17 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet en conséquence sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.