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Décisions

Cass. crim., 19 avril 2005, n° 04-84.854

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Nîmes, ch. corr., du 22 juin 2004

22 juin 2004

Sur le premier moyen de cassation, pris de violation des articles 28, 40 et 385 du Code de procédure pénale, L. 115-16 du Code de la consommation, défaut de motifs, défaut de base légale ;

" en ce qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception de nullité de la procédure en ce qui concerne les chefs d'usurpation d'AOC ;

" aux motifs que les agents de la DDCCRF ont compétence, selon le Code de la consommation, pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions sanctionnées par les délits de tromperie, fraude, falsification, publicité de nature à induire en erreur ou des contraventions de 3ème classe telle que celles prévues par le décret du 21 avril 1972 ; qu'en l'espèce, c'est dans le cadre de ce pouvoir d'enquête et d'investigation que l'inspecteur s'est rendu au sein de l'entreprise Gabriel Y... et a relevé les faits pour lesquels Bertrand X... est poursuivi ; qu'il convient de remarquer que si, certes, l'agent de la DDCCRF ne pouvait pas en 1998 rechercher les infractions réprimées par l'article L. 115-16 du Code de la consommation et relatives aux appellations d'origine, il pouvait en revanche et selon une jurisprudence constante, relever à l'occasion d'infractions, entrant dans son champ de compétence, des faits pouvant être qualifiés d'usurpation d'appellation d'origine ;

qu'en relevant ces faits et en les transmettant, ainsi que l'ensemble des actes y afférents, au procureur de la République, l'inspecteur de la DDCCRF n'a fait que remplir les obligations que lui imposait l'article 40 du Code de procédure pénale, laissant par ailleurs le procureur de la République seul maître de la poursuite ; qu'en conséquence, le jugement qui a rejeté l'exception de nullité est en voie de confirmation sur ce point ;

" alors que les pouvoirs d'investigation conférés à certains fonctionnaires par des lois spéciales ne peuvent être exercés que dans les conditions et dans les limites fixées par les textes qui les prévoient sans qu'il leur soit permis de mettre en oeuvre des pouvoirs que la loi ne leur a pas reconnus ; qu'il en est ainsi en matière d'infractions au Code de la consommation ; que, pour rejeter l'exception de nullité de la procédure relative au fait d'usurpation d'AOC, la cour d'appel énonce que si l'agent de la DDCCRF ne pouvait pas en 1998 rechercher les infractions réprimées par l'article L. 115-16 du Code de la consommation et relatives aux appellations d'origine, il pouvait en revanche relever à l'occasion d'infractions, entrant dans son champ de compétence, des faits pouvant être qualifiés d'usurpation d'appellation d'origine ;

qu'en statuant ainsi, alors que les agents de la DDCCRF n'ont pas le pouvoir d'enquêter sur des faits constitutifs de l'infraction prévue par l'article L. 115-16 du Code de la consommation, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 14 octobre 1998, un agent de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a procédé à un contrôle dans les locaux de la société anonyme Gabriel Y..., à Gigondas (Vaucluse) et a établi un procès-verbal concernant l'utilisation de la marque "La Châsse du Pape" pour commercialiser un vin d'appellation d'origine contrôlée côtes-du-Rhône ; que ce procès-verbal, transmis au procureur de la République, relève des faits de publicité de nature à induire en erreur, d'usage d'une marque de nature à créer une confusion et d'usurpation de l'appellation d'origine contrôlée Châteauneuf-du-Pape ; que le procureur de la République a fait procéder à une enquête de gendarmerie au cours de laquelle Bertrand X..., président du conseil d'administration de la société Gabriel Y..., a été entendu ; que, poursuivi devant le tribunal correctionnel des trois chefs précités, il a été relaxé pour le délit de publicité de nature à induire en erreur et la contravention d'usage d'une marque de nature à créer une confusion, mais a été condamné pour le délit d'usurpation d'appellation d'origine prévu par l'article L. 115-16 du Code de la consommation ; que cette condamnation a été confirmée par l'arrêt attaqué ;

Attendu qu'avant toute défense au fond, le prévenu avait invoqué la nullité de la procédure relative au délit d'usurpation d'appellation d'origine, au motif que les agents de la DGCCRF n'étaient pas habilités par les textes en vigueur à constater cette infraction au moyen de procès-verbaux ;

Attendu que, pour écarter l'exception, l'arrêt relève notamment, par motifs adoptés, que les mentions contestées du procès-verbal n'étant pas le support nécessaire des actes subséquents, ceux-ci ne sauraient être annulés ;

Attendu qu'en cet état, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, et dès lors qu'en raison de leurs éléments constitutifs, les infractions de publicité de nature à induire en erreur et d'usage d'une marque de nature à créer une confusion, régulièrement constatées par l'agent de la DGCCRF, ont pu, à elles seules, permettre au procureur de la République de faire procéder à une enquête sur les faits d'usurpation d'appellation d'origine, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 115-16 du Code de la consommation, de l'article L. 671-5 du Code rural et des articles 429, 485, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, contradiction de motifs, défaut de base légale ;

" en ce qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement sur la culpabilité de Bertrand X... du chef de délit d'usurpation d'AOC, sur la peine, et sur les intérêts civils ;

" aux motifs que si l'article L. 115-16 du Code de la consommation, tels que l'ont mentionné les premiers juges, réprime la reproduction d'une appellation inexacte sur des produits destinés à la mise en vente ainsi que l'utilisation d'un mode de présentation de nature à faire croire qu'un produit bénéficie d'une appellation d'origine, il ressort d'une jurisprudence constante et protectrice des appellations d'origine, qu'il n'est pas nécessaire que la marque reproduise exactement l'AOC, il suffit qu'elle soit de nature à induire en erreur et peu importe alors que la marque litigieuse soit ou non accompagnée d'indications susceptibles d'éviter toute confusion ;

qu'eu égard à la date des faits visés dans la citation, à savoir août 1998, 1999, 2000, l'application de l'ensemble de ces textes ne saurait être contestée par Bertrand X... ; attendu en l'espèce que l'AOC Châteauneuf-du-Pape jouit, au sein du secteur vini-viticole, d'une notoriété prestigieuse tenant à ses caractéristiques multiples ; qu'il ne peut être nié que le terme Pape confère à cette marque une spécificité individualisante et primordiale, particulièrement sur un plan commercial ; qu'en effet, si dans le langage courant le mot Pape recouvre un sens générique désignant le chef suprême de l'Eglise catholique, sens qui de ce fait ne saurait être réduit de quelque manière que ce soit dans son utilisation, il ne peut en être de même en revanche lorsque ce même mot est employé dans ce secteur d'activité particulier qui est celui du vin et de surcroît, dans un cadre géographique déterminant pour ce secteur, en l'espèce la vallée du Rhône, le terme Pape s'associant alors presque instantanément à l'AOC Châteauneuf-du-Pape ; attendu, en outre, que si la marque La Châsse du Pape comporte ce terme essentiel, elle utilise également les syllabes CHA et DU, ainsi que l'a à juste titre observé le tribunal, qui ne manquent pas de rappeler celles de l'appellation Châteauneuf-du-Pape ; qu'il apparaît au demeurant peu probable, au regard de ces rapprochements visuel et audible, que le prévenu ait pu ignorer les incidences commerciales d'un tel choix de dénomination et rechercher, par ce biais, un intérêt autre que celui d'évoquer de manière subtile voire subliminale, l'appellation prestigieuse dans les esprits de consommateurs plus ou moins aguerris en la matière ou, à tout le moins, celui de jouer sur une certaine ambiguïté de langage destinée notamment à des acheteurs étrangers ; que ces constatations sont confortées par le témoignage d'Antoine Chobriat, directeur administratif et financier de la SA Gabriel Y..., lorsqu'il déclare à l'inspecteur de la DDCCRF, que le " maintien de la marque La Châsse du Pape est capital pour l'entreprise " et lorsqu'il ajoute que " le maintien de ce marché est lié au maintien de cette marque, en particulier avec le client hollandais de l'entreprise qui exige le maintien de cette mention " ;

que, dès lors, l'ensemble de ces éléments suffit à caractériser le délit d'usurpation, la marque La Châsse du Pape évoquant l'AOC Châteauneuf-du-Pape pour un produit similaire ;

" alors, en premier lieu, que tout procès-verbal n'a de valeur probante que si son auteur a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement ;

que les agents de la DDCCRF n'ont aucune compétence pour recueillir des renseignements en matière d'infraction à l'article L. 115-16 du Code de la consommation ; que pour déclarer Bertrand X... coupable d'usurpation d'AOC, la cour d'appel s'est fondée sur les informations contenues dans le procès-verbal du 16 février 1999 dressé par un agent de la DDCCRF ; qu'en statuant ainsi alors qu'elle devait écarter des débats les renseignements issus d'un procès-verbal dépourvu de toute valeur probante relativement à cette infraction, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

" alors, en deuxième lieu, que le dispositif doit comporter l'énonciation des infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables, ainsi que les peines et les textes de loi appliqués ; que ces dispositions ont notamment pour but d'assurer l'exercice des droits de la défense dans le cadre des voies de recours ; qu'en l'espèce, Bertrand X... était prévenu d'avoir commis des faits d'usurpation d'appellation d'origine, constitutifs des infractions prévues à l'article L. 115-16, alinéa 1, du Code de la consommation et à l'article L. 671-5 du Code rural qui renvoie aux infractions de l'article L. 115-16, alinéa 2, du Code de la consommation, de l'article L. 115-16, alinéa 4, du Code de la consommation et de l'article L. 115-18 du Code de la consommation ; que l'arrêt ne précise pas sur la base de quel texte la culpabilité de Bertrand X... est retenue alors qu'il était prévenu d'infractions comportant des éléments constitutifs différents ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

" alors, en troisième lieu, que, l'atteinte à une appellation d'origine contrôlée est constituée en cas d'usage de cette appellation pour des produits ne relevant pas de cette appellation mais encore en cas d'imitation de l'appellation pour des produits identiques ne relevant pas de cette appellation ; que pour apprécier l'existence d'une imitation, il convient de rechercher si le signe litigieux est susceptible d'entraîner une confusion dans l'esprit du public, au terme d'une appréciation globale fondée sur l'appréciation d'ensemble produite par les signes ; que pour constater l'infraction d'usurpation d'AOC, la cour d'appel a relevé que l'AOC et la marque litigieuse avaient en commun les syllabes Pape au caractère instantanément associatif à l'AOC Châteauneuf-du-Pape, d'une part, et les syllabes CHA et DU qui ne manquent pas de rappeler l'appellation Châteauneuf-du-Pape, d'autre part ; qu'en examinant le risque de confusion entre Châteauneuf-du-Pape et La Châsse du Pape au vu des seules similitudes, alors que ces éléments n'étaient que des facteurs parmi d'autres permettant d'apprécier ce risque, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'usurpation d'appellation d'origine, l'arrêt relève, notamment, que la marque, "La Châsse du Pape" en ce qu'elle emploie le mot "pape", ainsi que les syllabes "châ" et "du" crée une confusion avec l'appellation Châteauneuf-du-Pape, et cela d'autant plus qu'elle est utilisée pour commercialiser un vin d'appellation côtes-du-Rhône, de même provenance géographique, en l'espèce la vallée du Rhône ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, et dès lors qu'il n'existe aucune incertitude quant aux infractions retenues et aux textes appliqués, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.