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Décisions

CA Paris, 31 octobre 2003, n° M20030610

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SNEAKERS USA (SARL)

Défendeur :

NIKE INTERNATIONAL LTD , ONE BY ONE (SARL)

TGI Paris, du 14 nov. 2001

14 novembre 2001

La cour est saisie d’un appel interjeté par la SARL SNEAKERS USA d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance de PARIS le 14 novembre 2001 dans un litige l’opposant aux côtés de la société ONE BY ONE à la société NIKE INTERNATIONAL LTD. La société NIKE INTERNATIONAL se prévalant de plusieurs marques déposées, notamment, pour protéger des chaussures et prenant connaissance de la vente de chaussures revêtues de ces marques sans, selon elle, son autorisation, a, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société SNEAKERS puis chez l’un des fournisseurs de cette dernière, la société ONE BY ONE, fait citer ces deux sociétés par actes d’huissier des 3 septembre 1999 et 31 mai 2000 en contrefaçon pour obtenir, outre des mesures d’interdiction et de publication, paiement de dommages et intérêts. Les sociétés défenderesses avaient conclu au rejet des demandes, en exposant principalement que les produits en cause avaient été acquis licitement dans l’Espace économique européen auprès de sociétés qui avaient été autorisées par NIKE à vendre de tels produits, et avaient à titre reconventionnel réclamé paiement de dommages et intérêts et d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Par le jugement déféré, le tribunal, retenant qu’il n’existait aucune preuve de l’accord de la société NIKE INTERNATIONAL LTD à la commercialisation de ces produits portant sa marque et que l’absence de la justification d’un réseau de distribution sélective des produits NIKE ne saurait dispenser le revendeur de la justification de la licéité de ses approvisionnements, a :

- dit qu’en détenant et en offrant à la vente, sans l’autorisation de la société NIKE INTERNATIONAL LTD, des articles revêtus des marques NIKE, les sociétés SNEAKERS USA et ONE BY ONE ont commis des actes de contrefaçon de ces marques,

- en conséquence, condamné in solidum les sociétés SNEAKERS USA et ONE BY ONE à payer à NIKE INTERNATIONAL LTD la somme de 45 734,71 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société SNEAKERS USA à payer à NIKE INTERNATIONAL LTD la somme complémentaire de 30 489,80 euros à titre de dommages et intérêts eu égard aux nouveaux faits de contrefaçon établis en janvier 2001,

- interdit à SNEAKERS USA et à ONE BY ONE de poursuivre ces agissements sous astreinte de 2000 francs par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

- autorisé NIKE INTERNATIONAL LTD à faire publier le dispositif du présent jugement par extraits ou en entier, dans deux journaux ou revues de son choix in solidum aux frais de la société SNEAKERS USA et de la société ONE BY ONE, le coût total de ces insertions ne pouvant excéder la somme de 4573,47 euros,

- ordonné l’exécution provisoire du jugement pour les mesures d’interdiction,

- condamné in solidum SNEAKERS USA et ONE BY ONE à payer à NIKE INTERNATIONAL LTD la somme de 1524,49 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. SNEAKERS, appelante, par ses dernières écritures du 18 septembre 2003, prie la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande de :

- A titre principal :

— débouter NIKE INTERNATIONAL LTD de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,

- condamner NIKE INTERNATIONAL à lui payer une somme de 7 623 euros à titre de dommages et intérêts,

- A titre subsidiaire,

- réduire le montant des dommages et intérêts éventuellement dus en considération de l’importance du préjudice effectivement subi en considération du nombre limité d’articles en cause,

- diminuer en conséquence de façon substantielle le montant des sommes allouées par les premiers juges à NIKE INTERNATIONAL pour les faits de contrefaçon de l’année 1999,

- décharger SNEAKERS de toute condamnation au titre de l’année 2000,

- condamner NIKE à payer à SNEACKERS USA une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. – A titre infiniment subsidiaire, condamner la société ONE BY ONE à la garantir de toutes condamnations susceptibles d’être prononcées aux termes de l’arrêt. Par ses dernières écritures du 23 septembre 2003, NIKE INTERNATIONAL LTD demande à la cour de :

- vu l’article L 716-7 du Code de la propriété intellectuelle,

- Vu les articles L 713-2, L. 713-4, L. 716-1 et L. 716-9 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance en toutes ses dispositions,

- et y ajoutant,

- condamner SNEAKERS USA et ONE BY ONE à verser chacune à NIKE INTERNATIONAL la somme de 7500 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Par écritures du 11 septembre 2003, ONE BY ONE prie la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter NIKE de toutes ses demandes et à titre subsidiaire de réduire les dommages et intérêts alloués en première instance en considération de la réalité du préjudice éventuellement subi.

Considérant que selon l’appelante, le tribunal a, à tort, écarté les justificatifs produits par elle pour démontrer que son approvisionnement de chaussures NIKE avait été effectué régulièrement dans l’Espace Economique Européen ; qu’elle expose que :

- elle a été obligée d’acquérir auprès de la société FOOT LOCKER, distributeur régulier de la marque NIKE, plus de 350 paires de chaussures NIKE afin de remplacer la marchandise dont elle avait passé commande auprès de la société NIKE en juillet 1998 qui, en définitive, n’a livré aucune des marchandises commandées,

- en outre, le procès-verbal de saisie contrefaçon comporte des imprécisions, l’huissier n’ayant fait qu’un décompte approximatif global des chaussures de toutes marques en stock, sans déterminer le nombre précis de chaussures NIKE,

- elle a produit également aux débats les factures d’un autre de ses fournisseurs, la société ONE BY ONE qui a justifié de l’origine licite de son approvisionnement auprès de sociétés situées dans l’EEE,

- dès lors que la société NIKE n’a pas mis en place un réseau de distribution sélective, la mise dans le commerce de la Communauté européenne des marchandises revêtues des marques dont est titulaire NIKE interdit à cette société de se prévaloir de l’existence d’un préjudice lié à une contrefaçon inexistante, puisqu’elle distribue en réalité discrétionnairement ses produits et oppose à certains revendeurs, de façon discriminatoire et abusive, des refus totalement injustifiés, comme en l’occurrence à son égard ;

Considérant que la société ONE BY ONE fait valoir pour sa part qu’elle a acquis les chaussures NIKE de manière tout à fait licite auprès de fournisseurs se trouvant dans l’Espace économique européen et que le fait que ces fournisseurs ne soient pas des clients directs de NIKE n’implique pas ipso facto que l’origine de ces marchandises soit illicite dès lors au surplus que NIKE ne dispose d’aucun réseau de distribution exclusive ou sélective, qu’il n’existe aucune restriction à la commercialisation des produits revêtus de la marque qui sont donc librement disponibles, soit auprès de NIKE directement, soit auprès de revendeurs grossistes ou détaillants et qu’elle a justifié de ce que les produits en cause avaient été acquis directement chez NIKE par une société EUROTIME ;

Considérant, cela exposé, que selon l’article L 713-4 du CPI, le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire « d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou de l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement » ;

Qu’il convient donc pour celui qui est poursuivi en contrefaçon de prouver que les produits qu’il a acquis auprès de revendeurs dans l’Espace économique européen ont été mis sur le marché avec l’autorisation du titulaire de la marque ;

Considérant, toutefois, que lorsque le tiers parvient à démontrer qu’il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux (en particulier, lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l’Espace économique européen au moyen d’un système de distribution exclusive), il appartient alors au titulaire de la marque d’établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l’Espace économique européen et que si cette preuve est apportée, il incombe alors au tiers d’établir l’existence d’un consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l’EEE ;

Considérant qu’en l’espèce, il n’est nullement prétendu ni établi que NIKE aurait eu un comportement de nature à provoquer un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux, que, par ailleurs, NIKE n’a pas mis en place un réseau de distribution sélective ; qu’il s’ensuit que ONE BY ONE et SNEAKERS USA doivent prouver que les produits ont été mis en vente dans l’Espace économique européen avec l’accord de NIKE ;

Considérant que les saisies contrefaçon pratiquées le 24 août 1999 ont mis en évidence que :

- dans le magasin SNEAKERS […] (11e) étaient proposées en vente 336 paires de chaussures revêtues des marques NIKE,

- dans la réserve du magasin se trouvait tout un lot de chaussures également revêtues de la marque NIKE que l’huissier a évalué sans les comptabiliser exactement à 1764 paires de chaussures ; Que s’ajoutent à ces constatations, :

- un procès-verbal de saisie contrefaçon de Maître L du 16 mai 2000 dans les locaux de ONE BY ONE,

- un procès-verbal de constat de Maître L en date du 17 janvier 2001 dans le magasin SNEAKERS où était exposé un modèle de chaussures SHOX revêtu de la marque figurative Swoosh qui n’a fait l’objet d’un lancement commercial par NIKE qu’en février 2001 ;

Considérant que NIKE ne prétend pas que la société FOOT LOCKER auprès de laquelle SNEAKERS a acquis, selon les tickets de caisse produits, 359 paires de chaussures ne serait pas autorisée à vendre des produits NIKE ; que SNEAKERS verse au surplus aux débats des documents (photocopies de pages du site internet de FOOT LOCKER) qui démontrent que cette société est un distributeur autorisé par NIKE à commercialiser les produits en France ; que le tribunal a ainsi indiqué à tort qu’il n’était pas établi que FOOT LOCKER avait les droits de vendre dans l’EEE et notamment en France ;

Considérant que la société ONE BY ONE a vendu à SNEAKERS selon factures des 24 juin 1998, de mars 19998 et juin 1999, respectivement 500 chaussures de type CORTEZ, 379 et 156 paires de chaussures de sport ; qu’elle verse aux débats en appel des documents permettant d’établir qu’elle a acquis ces chaussures auprès des sociétés HABECO (le 10 juin 1998 pour 280 paires), PUFFIN INVESTMENTS LTD (le 16 mars 1998 pour 4112 paires) et SPORTIVE TRADING (le 19 mai 1999 pour 2004 paires) et que la société PUFFIN les aurait acquises auprès de la société EUROTIME LTD (à DUBLIN) qui est « importateur officiel de marchandises et textiles NIKE » ;

Considérant que rien toutefois ne permet de dire que cette dernière société aurait acquis les chaussures litigieuses auprès de NIKE ; qu’en effet, la lettre émanant de NIKE versée aux débats est non datée et ne se réfère qu’à une autorisation de vente de « marchandises et textiles NIKE » sans précision sur la date et l’importance des produits en cause ni sur leur nature ; que le jugement sera confirmé en ce qu’il a sur ce point estimé que ONE BY ONE et SNEAKERS ne rapportaient pas la preuve du consentement de NIKE à la commercialisation des chaussures, objet des saisies contrefaçon, sur le territoire français ; qu’il s’ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné SNEAKERS et ONE BY ONE pour contrefaçon ;

Considérant que, sur le préjudice subi, la cour relève que, :

- une partie des chaussures commercialisées par SNEAKERS a une origine licite (celle provenant de FOOT LOCKER),

- ONE BY ONE a acquis un volume de chaussures plus important que celui commercialisé par SNEAKERS et, en conséquence, la réparation du préjudice ne peut être identique pour ces deux sociétés,

- SNEAKERS a, certes, en janvier 2001 proposé en vente une paire de chaussures de NIKE dénommée SHOX sans l’autorisation de NIKE qui de toute manière ne voulait les lancer sur le marché français qu’en février 2001 mais aucun document n’établit que SNEAKERS en aurait eu un stock important de nature à justifier le préjudice retenu par les premiers juges,

- NIKE invoque un achat illicite en juillet 2003 mais ne produit qu’un ticket de vente qui ne prouve pas, contrairement à ce qu’elle prétend que ce ticket serait relatif à la vente d’une paire de chaussures qui n’aurait pas à cette date été commercialisée en Europe (les photographies jointes à ce ticket de caisse n’ayant pas été authentifiées par un officier ministériel) ;

Considérant qu’ainsi, au regard de ces éléments, il convient de confirmer la condamnation prononcée à l’encontre de ONE BY ONE pour le montant retenu par le premier juge, cette condamnation étant in solidum avec SNEAKERS à hauteur de 22 000 euros ; que la cour réformant le jugement fixe le montant des dommages et intérêts qui réparera le préjudice subi par NIKE du fait des actes commis en 2001 à la charge de SNEAKERS à la somme de 12 000 euros ;

Considérant que les mesures d’interdiction et de publication seront confirmées, étant précisé que ces dernières tiendront compte du présent arrêt ;

Considérant que SNEAKERS demande à être garantie par son fournisseur ; que toutefois dès lors qu’elle n’invoque aucune clause contractuelle de garantie et qu’elle ne démontre pas en quoi à son égard une faute aurait été commise par ONE BY ONE, sa demande sera rejetée, étant elle-même une professionnelle avisée qui devait, avant de mettre en vente les produits litigieux, vérifier l’origine licite des marchandises ;

Considérant que l’équité commande de laisser à la charge des parties les frais non compris dans les dépens ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts mis à la charge de la société SNEAKERS ;

Réformant de ce chef, statuant à nouveau ; Dit que la condamnation in solidum prononcée à l’encontre de SNEAKERS sera limitée à hauteur de 22 000 euros ; Condamne la société SNEAKERS USA à payer à NIKE INTERNATIONAL la somme supplémentaire de 12 000 euros au titre des actes de contrefaçon commis en 2001 ;

Dit que les publications ordonnées tiendront compte du présent arrêt ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne in solidum la société SNEAKERS USA et la société ONE BY ONE aux entiers dépens ;

Autorise la SCP J.L LAGOURGUE et CH-H OLIVIER, avoué, à recouvrer les dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.