CA Montpellier, 1re ch. D, 24 novembre 2015, n° 14/00345
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LGI (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mallet
Conseillers :
M. Gaillard, Mme Vier
« La société LGI est titulaire d’un bail commercial dans des locaux appartenant aux époux B-C et Z X pour l’exercice d’une activité de transactions et gestion immobilière.
Elle a fait assigner les bailleurs qui avaient refusé d’accepter sa demande de déspécialisation plénière, en ce qu’elle concernait notamment l’exercice d’activités de petite restauration.
Par conclusions en cours de procédure, la société LGI a déclaré se désister de la demande de déspécialisation dans la mesure où elle avait donné congé au bailleur, et maintenir une demande en dommages-intérêts au motif que l’opposition des bailleurs résultait de la seule intention de nuire.
Le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Montpellier le 20 décembre 2013 énonce dans son dispositif :
Déboute la société LGI de l’ensemble de ses demandes.
Condamne la société LGI à payer à B-C et Z X ensemble la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts.
Condamne la société LGI à payer à B-C et Z X ensemble la somme de 5000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société LGI aux dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Calafell.
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le jugement retient que la société LGI ne démontre aucun préjudice résultant du refus d’une demande de déspécialisation formée le 28 février 2012 en lien de causalité avec le renoncement intervenu antérieurement le 12 décembre 2011 d’un candidat acquéreur pour l’exercice d’une activité de crêperie.
La société LGI a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 15 janvier 2014 .
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 30 septembre 2015.
Les dernières écritures pour la société LGI ont été déposées le 3 septembre 2015.
Les dernières écritures pour B-C et Z X ont été déposées le 30 septembre 2015.
Le dispositif des écritures pour la société LGI énonce :
Réformer le jugement en toutes ses dispositions.
Et statuant à nouveau :
Dire que les conditions posées pour l’acceptation de la déspécialisation n’étaient pas fondées.
Dire que la société LGI a subi un préjudice directement causé par le comportement fautif des époux X.
Condamner en conséquence solidairement les époux X au paiement d’une somme de 35 000 € à titre de dommages-intérêts.
Condamner solidairement les époux X à payer la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles.
Condamner solidairement les époux X aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec pour ces derniers faculté de recouvrement direct au profit de l’avocat.
La société LGI expose que le bailleur n’a pas accepté une première demande amiable d’un accord de déspécialisation pour permettre la vente du fonds de commerce pour une activité de crêperie de sorte que le candidat acquéreur a dû renoncer, qu’après le refus persistant du bailleur sur la même demande formulée par acte extrajudiciaire du 25 mai 2012 alors que seule une activité de restauration offrait des candidats, elle a dû délivrer congé pour le 31 mars 2014.
Elle soutient, au visa de s articles L. 145-52, 145-48, et 145-53 du code de commerce, le caractère abusif, sans motif grave et légitime, du refus du bailleur de permettre de substituer à son activité qui périclitait une activité plus adaptée à l’évolution de la conjoncture économique.
Elle relève que la commune d’environ 9000 habitants hébergeait six agences immobilières.
Elle oppose aux motifs du premier juge que la demande de déspécialisation par acte extrajudiciaire a succédé à une première demande informelle, justement dans le cadre de discussions avec un acquéreur pour une activité de restauration.
Elle soutient que les bailleurs n’ont apporté aucune justification des deux motifs exprimés de refus des conditions proposées par acte d’huissier du 25 mai 2012 : suppression des activités de petite restauration en raison de la conjoncture économique et de la concurrence à moins de 20 m des locaux ; rénovation des bâtiments.
Elle caractérise son préjudice par la perte du droit au bail qui n’a pas pu être cédé, la contrainte de se maintenir jusqu’à la fin du bail sans possibilité d’exploitation du fonds en poursuivant le paiement des loyers, alors que le fonds de commerce avait été acquis en 2005 pour la somme de 80 458 €.
Elle conteste l’appréciation par le jugement déféré d’une volonté de nuire au bailleur par le maintien de la demande indemnitaire, qu’elle prétend justement fondée.
Le dispositif des écritures pour B-C et Z X énonce :
Vu les articles L. 145-47 et 145-48 du code de commerce, confirmer la décision de première instance.
Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil, débouter la société LGI de ses demandes.
À titre subsidiaire, dire le montant de la somme réclamée imprécis et injustifié.
Condamner la société LGI à payer la somme de 20 000 € de dommages-intérêts, et de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Calafell.
Les époux X exposent qu’ils avaient été destinataires en 2011 d’un mail avec un projet de bail pour une activité de crêperie, supposant la levée de la clause de garantie du cédant des obligations du cessionnaire, puis d’un acte extrajudiciaire du 28 février 2012 pour autoriser une substitution d’activités de petite restauration, de prothésistes et audio prothésistes, professions médicales et paramédicales, d’agent d’assurances, qui serait justifiée par la conjoncture économique et la nécessité d’organisation rationnelle de la distribution.
Ils ont répondu par une acceptation partielle le 25 mai 2012, sous les réserves de : la suppression de la liste de toute activité de restauration, en raison de la conjoncture économique et de la concurrence située à moins de 20 m des locaux ; du maintien de la clause de solidarité ; de l’adjonction au bail d’un avenant faisant mention des nouvelles règles édictées par le syndicat des copropriétaires suite à la rénovation du bâtiment.
Ils soutiennent que le projet initial de cession était confus, dans un premier temps formulé pour un salon de coiffure au bénéfice d’une société CKKS dont le Kbis fait apparaître l’activité de restauration.
L’acte extrajudiciaire du 28 février 2012 formule une demande d’autorisation à exercer dans les lieux des activités différentes de celle prévue au bail, alors que la société LGI n’a jamais souhaité modifier son activité.
Ils considèrent que cette demande à seule fin de faciliter la cession du droit au bail est un détournement de procédure, au regard des dispositions de l’article L. 145-48 du code de commerce.
Ils relèvent que la société LGI ne produit pas des bilans de nature à fonder la conjoncture économique invoquée, ni des éléments justificatifs de sa qualité à exercer l’une ou l’autre des activités qu’elle voulait voir autoriser, et n’a fait aucune tentative pour céder son fonds de commerce à une activité immobilière similaire.
Ils rappellent qu’ils ont seulement refusé certaines activités qui n’étaient pas compatibles avec l’environnement, qu’ils étaient légitimes à refuser de renoncer au bénéfice de la garantie des obligations du cessionnaire, qu’ils n’ont pas été informés d’un quelconque projet d’acquisition pour l’une des activités sollicitées par la demande de déspécialisation dans les formes de la loi.
MOTIFS
Le déroulement des faits
Le bail commercial consenti à compter du 1er avril 2005 prévoit l’exercice par le preneur, la société LGI, de l’activité exclusive de transactions et gestion immobilière.
La société LGI invoque une première demande de déspécialisation par mail pour une activité de crêperie dans le cadre d’une cession de son fonds de commerce à une société CKKS, laquelle lui écrit le 12 décembre 2011 qu’elle renonce à son projet d’acquisition au motif que LGI n’a pas pu lui donner un accord du bailleur pour exploiter ce fonds de commerce.
Le bailleur ne conteste pas l’existence d’un échange informel, mais aucune pièce n’est produite à ce sujet.
Par un acte extrajudiciaire du 28 février 2012, la société LGI a fait connaître à son bailleur sur le fondement de l’article L. 145-48 du code de commerce son intention de substituer à l’activité prévue au bail celles de :
petite restauration sans transformation ; crêperie sans transformation ; glacier ; prothésiste ; audio prothésiste ; profession médicale et paramédicale ; agent d’assurance.
L’acte indique que cette adaptation est indispensable à la survie de l’entreprise.
Par acte du 25 mai 2012, les époux X ont signifié au preneur une acceptation sous conditions : la suppression de la liste des activités envisagées de celles de restauration et crêperie, le maintien de la clause de solidarité prévue dans le bail, un avenant faisant mention de nouvelles règles édictées par le syndicat des copropriétaires suite à la rénovation des bâtiments.
Le preneur a délivré à son bailleur le 17 septembre 2013 un congé en mentionnant notamment :
Un litige a opposé les parties suite à une demande de déspécialisation l’ayant conduit à saisir le tribunal de grande instance.
En l’état, la société LGI ne peut plus faire face au paiement des loyers ; l’impossibilité dans laquelle s’est trouvée de déspécialiser le bail doit la conduire à donner congé.
Les conditions de la demande de déspécialisation.
L’article L 145-47 du code de commerce énonce pour définir une telle demande :
L e locataire peut adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires.
Il doit faire connaître son intention au propriétaire par acte extrajudiciaire, en indiquant les activités dont l’exercice est envisagé.
Cette formalité vaut mise en demeure du propriétaire de faire connaître dans un délai de deux mois s’il conteste le caractère connexe ou complémentaire.
L’article L. 145-48 du même code énonce :
Le locataire peut être autorisé à exercer une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
Ces dispositions légales donnent à l’évidence vocation à la déspécialisation de permettre au preneur d’adjoindre à l’activité prévue au bail d’autres activités connexes ou complémentaires (L 145-47), ou d’exercer une activité différente en raison de la conjoncture économique (L 145-48).
Dans l’espèce, la société LGI ne prétend pas avoir souhaité exercer une quelconque activité complémentaire ou distincte, ni même avoir espéré par ces transformations, comme elle l’écrit pourtant dans l’acte du 28 février 2012, assurer la survie de son entreprise.
Il résulte en revanche sans équivoque des débats que sa demande n’était motivée que par des démarches pour céder son entreprise au plus vite à toutes sortes de repreneurs, comme le démontre à titre d’exemple la diversité de ses propositions de nouvelles activités commerciales sans aucun lien avec l’activité spécifique de son entreprise d’agence immobilière.
Cette demande de déspécialisation ne répondait pas aux conditions légales posées par les dispositions du code de commerce.
Sur la faute, contractuelle ou délictuelle, imputée au bailleur bien que la demande de déspécialisation ne répond e pas aux critères des articles L 145-47 et L 145-48 du code de commerce de modification d’exercice par le preneur de l’activité prévue au bail, le bailleur a cependant donné une réponse positive d’acceptation sous réserve de conditions précisément énoncées en application du dernier alinéa de l’article L. 145-49 du code de commerce.
Le preneur n’a pas formulé de réponse au bailleur pour contester les conditions proposées, ni formé par la suite une demande d’autorisation judiciaire de la transformation totale ou partielle malgré le refus du bailleur, comme le lui permettait l’article L 145- 52 du code de commerce.
La société LGI est malvenue à opposer que le bailleur ne démontrerait pas un motif grave et légitime de refus visé par l’article L. 145-52, sans avoir elle-même saisie le tribunal en contestation du refus, et alors qu’elle-même ne démontre pas la conjoncture économique et la nécessité de l’organisation rationnelle de la distribution, condition nécessaire d’une demande de déspécialisation fondée sur l’article L. 145-48.
L a société LGI ne démontre pas dans ces conditions un caractère abusif de la réponse du bailleur à sa demande de déspécialisation.
Sa demande de dommages-intérêts n’est pas fondée.
La cour ajoute la confirmation du motif pertinent du premier juge retenant l’absence de preuve d’un lien de causalité entre la réponse du bailleur signifiée le 25 mai 2012 et un courrier de refus d’un candidat acquéreur daté du 12 décembre 2011.
Sur les autres prétentions, il convient de confirmer la condamnation prononcée de la société LGI à des dommages-intérêts pour les motifs exposés par le jugement déféré, retenant un maintien abusif de l’instance après l’abandon de la demande initiale de déspécialisation, en ajoutant sans avoir jamais eu l’intention d’exercer dans les lieux loués une activité complémentaire ou connexe, ou distincte.
Les époux X ne justifient pas d’un préjudice supérieur au montant alloué par le premier juge de 5000 €, au soutien d’une demande de nouvelle condamnation à ce titre en cause d’appel.
Il est équitable de confirmer la condamnation de la société LGI prononcée en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et de prononcer sur le même fondement une condamnation au paiement d’une somme de 3000 € pour les frais engagés en cause d’appel.
La société LGI sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe ;
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant :
Condamne la société LGI à payer à B-C et Z X ensemble la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en appel ;
Condamne la société LGI aux dépens de l’appel, dont distraction au profit de Maître Calafell. »