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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 11 mai 2016, n° 14/05936

BORDEAUX

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fourniel

Conseillers :

M. Franco, Mme Brisset

TGI Bordeaux, ch. 5, du 18 sept. 2014, n…

18 septembre 2014

Selon acte à effet au 1er janvier 2001, la SCI MP Nomade dont le gérant est M. N. a donné à bail commercial à M. Ben H. un local commercial situé [...]. L'objet exclusif du bail était le commerce d'articles pour la maison, objets de décoration, produits artisanaux divers, à l'exclusion de tout autre même temporairement.

Le bail commercial du 1er novembre 1996 portant sur l'immeuble voisin du [...] appartenant à M. N. a été cédé à M. Ben H. le 6 novembre 2003. Ce bail a été consenti pour les activités de brocante, antiquité, vente d'articles d'ameublement et de décoration pour la maison, à l'exclusion de tout autre même temporairement.

M. Ben H. a assigné tant la SCI MP Nomade que M. N. devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de déspécialisation.

Par jugement du 18 septembre 2014, M. Ben H. a été débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné au paiement de la somme de 1 500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a relevé appel de la décision le 15 octobre 2014.

Dans ses dernières écritures en date du 11 mai 2015, il conclut à l'infirmation du jugement et à l'autorisation de transformer la destination contractuelle du local situé [...] en la destination de 'salon de thé avec vente de pâtisserie avec café, thé et toutes boissons sauf boissons alcoolisées, vente d'épices, de fruits secs et épicerie fine'. Il demande que le nouveau loyer soit fixé à la somme annuelle de 11 000 € hors taxes et hors charges et subsidiairement la désignation sur ce point d'un expert. Il sollicite la condamnation solidaire des intimés au paiement de la somme de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et s'oppose à toutes leurs demandes.

Il soutient que la pièce numéro 13 de son adversaire ayant été obtenue de façon déloyale doit être écartée des débats. Il fait valoir que l'évolution économique et du quartier conduit à ce que son activité telle qu'exercée actuellement ne peut plus être rentable. Il invoque un projet de synergie entre les activités du numéro 4 pour un salon de thé marocain et du numéro 6 pour l'artisanat marocain de nature à créer un ensemble cohérent alors que c'est avec l'accord du propriétaire qu'il a fait communiquer les deux fonds. Il conteste que son projet puisse engendrer des nuisances et avoir procédé à une déspécialisation de fait. Il précise que les pâtisseries qui constituent des produits artisanaux divers sont vendus au numéro 6. Il s'explique sur la valeur du loyer. Il fonde l'ensemble de ses prétentions sur les articles L. 145-48 et suivants du code de commerce.

Dans leurs dernières écritures en date du 10 mars 2015, les intimés concluent à la confirmation du jugement. Subsidiairement ils sollicitent la fixation du loyer à la somme annuelle de 21 600 € hors taxes et hors charges et la désignation d'un expert. En tout état de cause, ils demandent qu'il soit interdit à M. Ben H. l'activité de salon de thé avec vente de pâtisseries, café, thé et toutes boissons non alcoolisées, exercée de fait depuis le mois d'août 2012 sans autorisation du bailleur. Ils demandent qu'il soit pris acte de ce que la demande de déspécialisation ne concerne que le local du [...] d'eux demande la somme de 3 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que les conditions de déspécialisation tenant à la conjoncture économique et aux nécessités rationnelles de la distribution sont cumulatives et qu'en l'espèce elles ne sont pas remplies. Ils ajoutent qu'il convient également de tenir compte de la saturation du marché. Ils invoquent l'impact des travaux [...] lesquels sont désormais achevés. Ils soutiennent qu'en outre il n'existe pas de définition claire du projet. M. N. invoque le risque de trouble aux autres occupants de l'immeuble dont il est propriétaire. Il invoque en outre un motif grave et légitime tenant à la déspécialisation de fait des lieux laquelle procède bien du [...]. Subsidiairement, il s'explique sur le montant du loyer.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 1er mars 2016.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les parties se sont longuement expliquées et opposées sur la mauvaise foi que chacune impute à l'autre. Le débat est cependant celui de l'article L 145-48 du code du commerce. De ces dispositions, il résulte que le preneur peut être autorisé à exercer une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités son compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier.

Les conditions tenant à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution sont cumulatives et c'est sur le demandeur à la déspécialisation que repose la charge de la preuve qu'elles sont réunies.

Or, si M. Ben H. conclut à la réformation du jugement qui l'a débouté de sa demande de déspécialisation, force est de constater qu'il ne satisfait pas à cette charge probatoire.

En effet, l'appelant procède essentiellement par affirmation. S'il soutient que son commerce en l'état ne serait plus rentable, il indique uniquement que l'artisanat marocain ne serait plus à la mode sans donner d'éléments, autres que ses affirmations, qui permettraient de caractériser que pour des motifs économiques et de conjoncture son activité n'est plus rentable et que celle projetée, qui s'inscrit toujours pour partie dans le cadre de l'artisanat marocain, sera meilleure pour le consommateur. Il justifie certes de la baisse de son chiffre d'affaire entre 2011 et 2014, sans donner aucun élément pour 2015, mais surtout sans produire de pièces qui permettraient de retenir que cette baisse procède effectivement d'une diminution de l'attractivité de l'artisanat marocain alors qu'il s'explique longuement sur les travaux du quartier qui ont généré des difficultés en termes d'attractivité pour l'ensemble des commerces quelque soit leur spécialité. Il justifie encore moins que l'activité de salon de thé marocain qu'il envisage relèverait d'une organisation rationnelle de la distribution. En effet, s'il verse aux débats ce qu'il dénomme étude de marché, il s'agit en réalité uniquement de son argumentation dépourvue de tout élément extrinsèque venant l'étayer ce qui ne peut constituer une preuve. Il indique sans davantage de preuve avoir adressé un questionnaire à 200 personnes et ce dans des conditions invérifiables. On ne saurait déduire d'un tel argumentaire que la seconde condition de l'article L.145-48 du code de commerce est bien remplie. Cela est d'autant plus le cas que M. Ben H. indique lui même que dans le quartier il existe déjà plusieurs salons de thé marocains mais ajoute, sans plus d'éléments, que le marché ne serait pour autant pas saturé.

En outre s'agissant des activités compatibles avec la destination de l'immeuble. M. Ben H. considère qu'il n'existerait aucune nuisance engendrée par son projet. On ne peut toutefois que constater l'impréparation de ce projet. S'il invoque des horaires qui resteraient ceux, de journée, de son commerce actuel, il évoque aussi une perspective de café littéraire alors que le bailleur produit un document publicitaire faisant état de ce qu'un vernissage a été organisé à partir de 19 heures ce qui est quelque peu contradictoire. De même s'agissant des possibles répercussions sur le voisinage d'un commerce de bouche, M. Ben H. fait valoir qu'il n'envisage pas la confection des plats au sein de son établissement mais a formulé une demande de déspécialisation ne comportant aucune restriction de ce chef.

De l'ensemble de ces éléments, et sans qu'il y ait lieu de s'attacher à la pièce 13 de son adversaire dont l'appelant soutient qu'elle a été obtenue de manière déloyale, il se déduit que M. Ben H. ne rapporte pas la preuve de ce que les conditions de l'article L.145-48 du code de commerce sont remplies de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté sa demande de déspécialisation. Le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions y compris tenant à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimés demandent à la cour dans leur dernières écritures de 'prendre acte' que la demande ne portait que sur le numéro [...] ce qui ne correspond pas à une prétention au sens du code de procédure civile.

Quant à la demande d'interdiction à M. Ben H. de pratiquer l'activité de salon de thé, il n'est pas contesté qu'en l'état cette activité n'est pas autorisée par le bail, l'action de l'appelant visant précisément à y être autorisé judiciairement. Le rappel d'une interdiction ne constitue donc pas davantage une prétention alors que les intimés ne tirent aucune conséquence en termes de demandes au sens procédural de la violation qu'ils invoquent. Il existe certes un débat entre les parties sur la vente des pâtisseries orientales que l'appelant considère comme relevant des produits artisanaux, aucune exclusion n'étant stipulée de ce chef. Mais là encore aucune des parties ne tire une conséquence de ce débat en termes de prétentions au sens du code de procédure civile.

Ces demandes doivent donc être rejetées.

L'appel étant mal fondé, M. Ben H. sera condamné à payer aux intimés unis d'intérêts la somme de 2 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. Ben H. à payer à la SCI MP Nomade et M. N. unis d'intérêts la somme de 2 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, 

Rejette les demandes d'interdiction et de donner acte de M. N. et la SCI MP Nomade,

Condamne M. Ben H. aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame Catherine FOURNIEL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.